Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVÉNEMENT
JOKER ★★★★★
De Todd Phillips
L’essentiel
Un immense film politique sous influence scorsesienne assumée, porté par l’interprétation magistrale de Joaquin Phoenix.
N’en déplaise aux pessimistes persuadés que les studios hollywoodiens ont définitivement rendu les armes côté ambition artistique, les yeux rivés sur les recettes de leurs films devenus produits, il est possible de regarder un film centré sur un personnage de comics sans devoir se fader des déluges d’effets spéciaux comme on essaie de noyer une viande avariée sous une sauce épaisse. Oui, dans ces temps de suites, reboots, spin-off à la pelle avec leurs personnages au kilo, il est possible de tendre vers l’épure pour revenir à l’essentiel : une histoire implacable servie par une réalisation au cordeau et une interprétation jamais inutilement spectaculaire.
Thierry Cheze
PREMIÈRE A ADORÉ
CHAMBRE 212 ★★★★☆
De Christophe Honoré
Qui a dit que seuls les hommes étaient volages ? Dans le nouveau film de Christophe Honoré, découvert dans la section Un certain regard en mai dernier à Cannes, c’est son héroïne, Maria (Chiara Mastroianni), qui se révèle être une serial croqueuse d’hommes, seul moyen à ses yeux de faire durer son couple de 20 ans peu à peu gangrené par l’habitude. À condition bien sûr de le faire en douce. Sauf qu’un soir, Richard (Benjamin Biolay), son mari, découvre un SMS qui ne laisse guère place au doute sur la joyeuse partie de jambes en l’air qui a eu lieu l’après-midi avec un dénommé Asdrubal, étudiant, dont Maria est tout à la fois la prof et la maîtresse depuis des mois. Elle ne nie pas. Le ton, forcément, monte. Alors, elle part. Pas loin. Juste en face. Dans une chambre d’hôtel du quartier parisien de Montparnasse, où vont défiler différents personnages liés à sa vie passée ou présente, qui ont en commun d’avoir chacun une idée très précise de ce qu’elle doit faire de son couple.
Thierry Cheze
ON VA TOUT PÉTER ★★★★☆
De Lech Kowalski
2017. Pendant neuf mois, en discontinu, Lech Kowalski a filmé le combat des ouvriers de GM&S pour la sauvegarde de leurs emplois. Au plus près des grévistes, lors des assemblées ou des opérations coup de poing, ce passionnant documentaire en immersion s’interroge en filigrane sur la notion de combat dans notre société de consommation qui valorise l’individu au détriment du collectif. « Est ce que les consommateurs sont prisonniers des entités qui leur fabriquent des choses ? » La réponse des ouvriers de GM&S, précurseurs des Gilets Jaunes, est clairement non.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A AIMÉ
SŒURS D’ARMES ★★★☆☆
De Caroline Fourest
Il y a ici deux histoires qui avancent en parallèle avant de se rejoindre. D’abord, le récit de Zara, une jeune Kurde qui voit son père exécuté par les djihadistes, devient l’esclave sexuelle d’un converti barbu et décide de prendre sa revanche. Puis, il y a le parcours de quelques combattantes internationales kurdes, françaises, italiennes, israéliennes et même américaines. Elles sont engagées volontaires et n’ont qu’un seul point commun : la haine du djihadiste qu’elles vont éliminer par tous les moyens (kalach, couteau, lance-roquettes ou grenade).
Gaël Golhen
LA FAMEUSE INVASION DES OURS EN SICILE ★★★☆☆
De Lorenzo Mattoti
L’illustrateur italien, Lorenzo Mattotti, n’avait jusqu’ici fait qu’un petit pas dans la réalisation avec un des segments du film collectif gothique Peur(s) du noir. Il passe ici à la vitesse supérieure et signe un véritable coup de maître avec son premier long. La Fameuse Invasion des ours en Sicile est l’adaptation d’une nouvelle de Dino Buzzati, publiée en 1945. Léonce, roi des ours, au désespoir d’avoir vu son fils enlevé par des chasseurs, part le chercher chez les hommes en bas de la montagne, où les humains belliqueux vont se mettre en guerre contre les animaux pacifiques. À l’époque, les phrases de Buzzati faisaient écho à la dictature en Italie. Aujourd’hui, l’histoire rocambolesque et grave, racontée par deux baladins, sonne comme une ode à la nature et au vivre-ensemble. Il faut dire que les magnifiques images de Lorenzo Mattotti, dont la réputation de maître de la couleur n’est pas usurpée (il a conçu les interludes du film à sketchs Eros, coréalisé par Wong Kar-Wai, Soderbergh et Antonioni), nous plongent dans une Sicile majestueuse et resplendissante. Les paysages semblent tout droit sortis de tableaux impressionnistes. L’animation est traversée de lignes de force magnifiques. Il faut voir arriver les alignements d’ours prêts à en découdre avec les humains ! À coup sûr, ce film d’animation redonne ses lettres de noblesse aux fables poétiques et politiques.La Fameuse Invasion des ours en Sicile est un spectacle familial de haute tenue.
Sophie Benamon
PAPICHA ★★★☆☆
De Mounia Meddour
La résistance à l’intégrisme se niche souvent dans les contrastes. Retourner par exemple s’attabler en terrasse après les attentats de novembre 2015 pour montrer aux fanatiques que faire régner leur ordre barbare par la peur était peine perdue. Le premier long de Mounia Meddour obéit à cette même idée de lutte par un biais en apparence futile : l’organisation d’un défilé de mode dans l’Algérie des années 90 dominée par la montée en puissance des islamistes du FIS. Nedjma, la papicha (« jolie fille » en français) du film, veut vivre sa vie sans se soucier de ce ciel qui s’assombrit. Elle fait ainsi régulièrement le mur de la cité U pour aller s’amuser en boîte, malgré le risque des contrôles routiers inopinés. Elle n’a pourtant rien d’une écervelée, elle entend juste faire fi du discours machiste dominant et assouvir sa passion du stylisme dans ses tenues et celles qu’elle crée pour les autres. Jusqu’au jour où cette haine lui explose en pleine figure avec l’assassinat de sa sœur journaliste. Défendre ses idéaux de liberté devient alors son obsession et organiser ce défilé, l’étendard de sa révolte, tant elle hérisse le poil des intégristes prêts à tout pour l’interdire. Parfois maladroit dans la conduite de son récit, Papicha a le mérite d’aller au bout de son idée de contraste. De transformer une réalité sombre en un film lumineux où les cris de joie recouvrent le bruit des larmes. À l’image de l’énergie vibrante déployée par Lyna Khoudri. Celle-ci fait mieux que confirmer les espoirs placés en elle depuis Les Bienheureux. Elle s’affirme comme un des jeunes talents essentiels du cinéma français.
Thierry Cheze
DONNE-MOI DES AILES ★★★☆☆
De Nicolas Vanier
Après la Sibérie de L’Odyssée sauvage ou la campagne solognaise de L’École buissonnière, Nicolas Vanier nous emmène dans les airs aux côtés des oies sauvages. Un ornithologue s’est mis en tête d’apprendre aux oies un nouvel itinéraire de migration car celui dont elles ont l’habitude les fait passer au-dessus d’endroits fréquentés par des chasseurs ou au-dessus des villes et de leurs fils électriques. L’histoire est vraie, inspirée du parcours de Christian Moullec, un scientifique qui vole avec des oiseaux en voie de disparition afin de les sauver. Elle n’est pas sans rappeler une aventure similaire racontée dansL’Envolée sauvage en 1997. Mais derrière le récit environnementaliste et l’épopée lyrique, le réalisateur du Dernier Trappeur prend soin de tisser un véritable récit initiatique à travers le développement d’une relation entre le héros et son adolescent de fils, peu réceptif de prime abord à la nature et à l’altruisme. Le voyage aller-retour en ULM de la Camargue à la Norvège va le transformer. À la faveur de la transmission d’une passion, père et fils vont relever un défi qui passe par la désobéissance et l’émancipation. Le film gagne en humour et en légèreté grâce à l’interprétation tout en finesse de Jean-Paul Rouve. Le comédien apporte un second degré et une distance qui rendent l’aventure moins clichée que prévue. Mélanie Doutey et lui forment un couple parental très crédible dont l’intrigue secondaire irrigue le périple courageux du fiston. Bref, une belle idée d’aventure familiale pour les vacances.
Sophie Benamon
POUR SAMA ★★★☆☆
De Waad al-Kateab & Edward Watts
C’est un de ces sujets qui font régulièrement la une des médias mais que le temps long du cinéma permet d’approfondir. Quelques mois après le remarquable Still Recording, Pour Sama nous plonge lui aussi à l’intérieur de la guerre civile syrienne. Et ici, « à l’intérieur » ne sont pas des vains mots. Puisque sa coréalisatrice Waad al-Kateab a filmé sa vie de résistante au régime de Bachar el-Assad mais aussi de femme amoureuse et de jeune maman tout au long du siège d’Alep, la bataille la plus sanglante de ce conflit sans fin. Ses images ont d’abord alimenté le site d’une chaîne d’info britannique. Mais une fois qu’elle a dû fuir ce pays devenu invivable pour elle et les siens, elle a décidé d’utiliser les centaines d’heures de rushes inédits pour bâtir un documentaire en compagnie d’Edward Watts, journaliste spécialiste de la question, mais qui n’a jamais mis les pieds en Syrie. Ce duo symbolise ce film et sa puissance. Pour Sama avance tout à la fois le nez dans le guidon mais avec le recul qui ne laisse jamais le profane à sa porte. Il montre les faits de guerre atroce (les images du bombardement de l’hôpital dirigé par le mari de Waad al-Kateab et ses victimes piégées, prises par les caméras de surveillance), mais aussi la joie d’être mère, l’amour qui unit ce couple. Pour Sama est un film unique car il n’aurait pu être fait en l’état par aucun autre. Intime sans être voyeuriste, subjectif sans être propagandiste, pédagogique sans être simplificateur, il a été récompensé de l’Œil d’or, célébrant le meilleur docu de Cannes 2019. Ce jury a eu l’œil et le bon !
Thierry Cheze
LA GRANDE CAVALE ★★★☆☆
De Christoph Lauenstein
Dans le village de Morneville, une bande d’animaux bien dingos lutte contre un voleur de tableaux retors... Ce n’est pas grâce à son animation –un peu trop rigide et datée malgré quelques beaux effets de matière – que le film marque des points, mais grâce à son character designtout en décalage et jouant avec les clichés : un âne qui se fait passer pour un zèbre, une chatte qui se croit agent secret, un chien de garde qui n’est pas un dur, un coq qui refuse d’engrosser la basse-cour... Et puis, surtout, c’est son scénario à la fois rigolo et dégénéré de caper movietordu, qui évoque à ses meilleurs moments les beaux temps du studio Aardman. À voir avec les plus petits : La Grande Cavale remplacera très avantageusement n’importe quel dessin animé d’une matinée pluvieuse de vacances.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
NOS DÉFAITES ★★☆☆☆
De Jean-Gabriel Périot
Les films tournés par des lycéens ont toujours une fraîcheur indéniable : invité l’an dernier par la ville d’Ivry-sur-Seine pour initier des jeunes au cinéma, le cinéaste Jean-Gabriel Périot (Une jeunesse allemande) leur a proposé, pour son nouveau film, de reproduire plusieurs fois de suite les scènes de classiques post-Mai 68 (La Reprise du travail aux usines Wonder de Jacques Willemont, La Chinoise de Jean-Luc Godard, Camarades de Marin Karmitz) puis de les interroger face caméra sur des termes de ces scènes : c’est quoi la lutte des classes ? Le capitalisme ? La révolution ? Si les lycéens font preuve d’une percutante intelligence dans leurs réponses, le procédé (à l’image des films reproduits par Périot et ses élèves) semble surgi d’un autre âge : celui de la révérence à une lutte passée (celle de Mai 68, évidemment), à ses images et son vocabulaire. Peu de charme, donc.
Sylvestre Picard
TOUT EST POSSIBLE ★★☆☆☆
De John Chester
À quoi tient un destin ? Pour le couple formé par John et Molly Chester, il tient à leur chien, devenu persona non grata dans leur immeuble. Ils quittent alors Los Angeles, cap sur la campagne et se lancent dans le développement d’une ferme écoresponsable. Tout est possible raconte ce changement de vie de l’intérieur, puisqu’il est filmé par John Chester lui-même (réalisateur avant d’être d’agriculteur), comme une chronique de leurs aventures riches en émotions. Ce documentaire écolo a la bonne idée de s’intéresser aux solutions pratiques plutôt que de pointer pour la énième fois les causes des problèmes dont souffre notre monde. Le réalisateur montre toute la difficulté qu’il y a à passer des meilleures intentions du monde aux actes, sans se donner le beau rôle. Dommage que la forme de son film, ployant sous des musiques tire-larmes, ne vienne affadir son propos.
Thierry Cheze
QUELLE FOLIE ★★☆☆☆
De Diego Governatori
Son ami depuis quinze ans, Diego Governatori consacre un documentaire à Aurélien, atteint du syndrome autistique d’Asperger. Et ce en lui donnant la parole pour qu’il raconte la rage qui l’anime, née de cette difficulté à incorporer les codes régissant les interactions sociales qui le condamne à une certaine solitude. Aurélien est volubile et Governatori capte la libération du chant de colère et d’espoir, toujours à bonne distance. Mais se révèle moins convaincant quand il s’essaie au symbolique : le parallèle entre ce qui se passe dans le cerveau d’Antoine et les taureaux qui déboulent dans les rues étroites de Pampelune lors des ferias est un brin balourd... Son geste cinématographique aurait mérité plus de radicalité ou de trouver une forme aussi convaincante que celle de Julie Bertuccelli dans Dernières Nouvelles du cosmos qui plongeait dans le quotidien d’une autiste devenue écrivain.
Thierry Cheze
Et aussi
Betty Marcusfeld de Martine Bouquin
Cervin, la montagne du monde de Nicolò Bongiorno
Jacob et les chiens qui parlent d’Edmund Jansons
Reprises
L’homme qui rit de Paul Leni
Souvenirs d’en France d’André Téchiné
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