"Mon Dune devait durer 14 heures ! Je me dis que son format aurait finalement pu correspondre à celui d'une série contemporaine."
Dans les années 1970, Alejandro Jodorowsky rêvait d'adapter Dune au cinéma : il avait ainsi embauché Moebius, H.R. Giger, Dan O'Bannon et Chris Foss pour imaginer son univers visuel, puis voulait diriger Salvador Dali, Alain Delon, Mick Jagger ou encore Orson Welles pour mener à bien sa propre vision de l'oeuvre de Frank Herbert pour en tirer un film de 14h. Les studios hollywoodiens ayant pris peur face à l'ampleur du projet, son (très) long métrage n'a jamais pu être tourné, mais a donné lieu à un documentaire captivant, Jodorowsky's Dune, en 2013.
Jodorowsky's Dune : histoire d'un film mauditCette vision inachevée étant entrée dans la légende, le réalisateur de La Montagne sacrée et El Topo est régulièrement interrogé sur le nouveau projet d'adaptation, un nouveau Dune étant en cours de création par Denis Villeneuve (Premier contact, Blade Runner 2049). Durant l'été, Jodo a ainsi expliqué qu'il irait le voir "avec plaisir, parce que ce sera très différent" de sa version, mais il ajoutait tout de même se faire du souci pour son "successeur" (et celui de David Lynch, dont le film de 1984 est plutôt mal-aimé): "En secret, ils se disent : ‘maintenant on va faire cet énorme film que Jodorowsky n’a pas fait ! Et ce sera fantastique ! Le réalisateur est un génie’. Sauf que personne ne peut être un génie à Hollywood. Personne. Parce que c’est un business".
David Lynch : "Je suis fier de tout ce que j’ai fait, sauf de Dune"Contacté par Le Point juste après la diffusion de la première bande-annonce de ce nouveau Dune porté par Timothée Chalamet, Rebecca Feguson, Zendaya, Josh Brolin et Oscar Isaac, le cinéaste de 92 ans a précisé sa pensée : "Je souhaite que son Dune ait un grand succès, car Denis Villeneuve est un réalisateur sympathique, dont on m'a dit beaucoup de bien. J'ai vu la bande-annonce. C'est très bien fait. On voit que c'est du cinéma industriel, qu'il y a beaucoup d'argent, et que ça a coûté très cher. Mais si ça a coûté très cher, ça doit rapporter en proportion. Et c'est là le problème : il n'y a aucune surprise. La forme est identique à ce qui se fait partout, l'éclairage, le jeu des acteurs, tout est prévisible. Le cinéma industriel est incompatible avec le cinéma d'auteur. Pour le premier, l'argent passe avant l'œuvre. Pour le second, c'est l'inverse. Et ce, quelle que soit la qualité d'un réalisateur, que ce soit mon ami Nicolas Winding Refn ou Denis Villeneuve. Le cinéma industriel promeut le divertissement, c'est un show qui n'a pas pour vocation de changer l'humanité ou la société."
Jodorowsky est également revenu sur les multiples aspects complexes de l'oeuvre littéraire de Herbert, qui lui semble par essence difficile à adapter au cinéma : "Pour moi, un film doit ouvrir sur un autre monde. Mon Dune, je le voyais un peu comme Nadja d'André Breton. Pas une œuvre, mais un manifeste pour pénétrer l'esprit des individus et provoquer une pandémie, mais qui soit tournée vers la vie et non vers la mort comme celle que nous connaissons aujourd'hui. Les amateurs de Dune attendent quelque chose de profond, de complexe, de littéraire, ce qui est parfaitement impossible à retranscrire dans la durée classique d'un film. Mon Dune devait durer 14 heures ! Je me dis que son format aurait finalement pu correspondre à celui d'une série contemporaine. Faire de Dune un film traditionnel, c'est se condamner à en proposer un fragment."
Dune est attendu en décembre au cinéma. Bande-annonce :
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