Devant la caméra de Nuri Bilge Ceylan, elle campe admirablement une jeune prof amputée d’une jambe après d’un attentat, dont tombent amoureux deux de ses collègues. Rencontre.
Quel souvenir gardez- vous de la journée du palmarès cannois ?
Merve Dizdar : On a su à la fin de la matinée que le film allait être récompensé d’un prix mais bien évidemment sans savoir lequel. Je peux simplement vous assurer que pas une seconde je pense que ce prix est pour moi. J’ai vraiment profité pleinement de ce festival puisqu’après la projection des Herbes sèches, je suis restée à Cannes jusqu’à la clôture, en faisant juste un saut de puce en Turquie pour une journée de tournage, et j’ai donc pu voir la majeure partie des films en compétition. Il y avait tellement de rôle féminin forts et d’interprétations qui m’avaient impressionnée que j’avais pour ce prix une bonne demi- douzaines de comédiennes en tête, mais pas moi ! (rires) Alors imaginez ma surprise quand j’ai entendu mon nom. Ce soir- là, j’ai vécu comme un rêve éveillé
Quels films avaient particulièrement retenu votre attention ?
The Zone of interest, notamment pour la composition de Sandra Hüller qui me paraissait intouchable pour le prix d’interprétation mais aussi May december de Todd Haynes avec Natalie Portman et Julianne Moore.
Comment êtes- vous venue à ce métier de comédienne ?
J’ai commencé à faire du théâtre très tôt, enfant, à l’école primaire. C’est là qu’est née mon envie de devenir comédienne. J’ai donc fait des études d’art dramatique à l’université Onsekiz Mart de Canakkale puis à celle de Kadir Has où j’ai obtenu un master. J’ai ensuite commencé à travailler professionnellement, début 2010, au théâtre. C’était le cœur de mon métier et ça l’est toujours. Depuis mes débuts, j’ai joué au moins une pièce par an. Et pour tout dire, sans doute pour une question d’expérience, je trouve le cinéma un exercice plus complexe que le théâtre pour moi, dans la construction d’un rôle.
Vous travaillez cependant tout aussi régulièrement depuis 2010 à la télévision comme au cinéma. Comment se fait votre arrivée sur Les Herbes sèches ?
Très simplement par casting. A la suite d’un long processus. Mais j’avais tellement envie de ce rôle et de travailler avec Nuri Bilge Ceylan !
Qu’est ce qui vous a séduit dans ce personnage de professeur tentant de se reconstruire après avoir été amputée d’une jambe, suite à un attentat ?
Mon personnage n'était pas très détaillé dans le scénario, il fallait interpréter ce qu’elle pouvait penser. Et ce qui m’a tout de suite frappé dans la manière dont Nuri Bilge Ceylan l’avait imaginée, c’est sa force impressionnante malgré – ou sans doute grâce à – ce qu’elle a traversé. Et qui combat le profond sentiment de solitude qui a souvent tendance à l’envahir
LES HERBES SECHES EST LE NOUVEAU CHEF D'OEUVRE DE CEYLAN [CRITIQUE]Une fois ce rôle obtenu, comment le composez- vous ?
Il y a d’abord une évidence. N’ayant heureusement pas vécu dans ma vie ce qu’elle a vécu dans sa chair avec cet attentat, il m’est impossible de ressentir ce qu’elle peut ressentir. Mais j’ai pu m’appuyer sur le travail que nous a demandé Nuri Bilge Ceylan. Il ne m’a pas donné de référence particulière, pas de film à regarder. Il m’a demandé de me concentrer sur les sentiments de mon personnage. Et nous a tout de suite fait part à moi comme à mes partenaires de sa première exigence : la maîtrise absolue du texte qu’il faut connaître sur le bout des doigts. Et ce pour que nous puissions entrer avec fluidité dans sa manière de travailler sur le plateau où il aime filmer à plusieurs reprises les mêmes scènes, nous interrompre entre les prises et échanger avec nous de la psychologie de nos personnages. Or tout ceci ne peut se faire que si chacun connaît son texte. Je n’avais jamais eu l’occasion de travailler ainsi, avec à la fois autant de précision et de pas de côtés par rapport à ce qui était écrit ou ce que j’avais pu ressentir en le lisant
Comment qualifieriez- vous ce que vous avez vécu sur le plateau ?
Je l’ai vécu comme un laboratoire. Tourner sous la direction de Nuri Bilge Ceylan est comme une danse où les sentiments se mélangent. J’aimais déjà son cinéma avant de travailler avec lui. Il est l’un de mes cinéastes contemporains préférés avec Emin Alper (Burning days). J’avais vu tous ses films mais en découvrant Les Herbes sèches la veille de son présentation cannoise, j’ai été éblouie. C’est tellement valorisant de travailler avec lui. A la fois pour ce qu’on apprend et pour la manière dont il vous sublime à l’écran.
Les Herbes sèches. De Nuri Bilge Ceylan. Avec Deniz Celiloğlu, Merve Dizdar, Musab Ekici... Durée 3h17. Sortie le 12 juillet 2023
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