Troué de partout, le biopic de Bob Marley tient debout grâce à son interprète habité et son souffle mystique.
Rappelez-vous l’intro du premier épisode de la saison 6 des Soprano, Members Only ("Retraite anticipée" en français) : une intro démente en forme de montage-sequence, rythmée par la chanson Seven Souls où William Burroughs récite un extrait de son roman Les Terres occidentales décrivant les "sept âmes" des anciens Egyptiens. Vous vous demandez sûrement ce que viennent faire Les Soprano et les trips de l’écrivain junkie dans une critique de One Love, le biopic de Bob Marley ? Ne partez pas : dans ce récit des dernières années de la vie de l’icône du reggae, le musicien est obsédé par une prophétie rastafarie proclamant que de grands bouleversements adviendront l’année où les "sept s’affrontent" -et, évidemment, dans One Love, on lui annonce le cancer qui lui sera fatal le 7 juillet 1977. Et si on vous disait que l’un des scénaristes de One Love est un certain Terence Winter, pilier de la série et auteur du script de cet épisode culte ? Et si on vous disait aussi que Michael Gandolfini, fils de James et incroyable dans The Many Saints of Newark, apparaît aussi dans One Love, comme pour rendre encore une fois hommage aux grandes figures mortes ?
On nous objectera, à raison, que le responsable de l’inclusion de cette chanson est David Chase, qui voulait la coller dès le pilote des Soprano. Et il est difficile pour le moment de savoir à quel point le travail de Winter a été conservé dans le montage cinéma de One Love. Annoncé initialement comme durant plus de deux heures, One Love atteint finalement 1h45 dans la version présentée à la presse. En attendant, cette (petite) connexion occulte nous permet de mettre le doigt sur ce qui fonctionne mieux dans le film : son souffle mystique, certes autorisé, validé, approuvé et produit par la famille Marley. Bob y est montré comme un véritable Messie, certes un peu négligent dans sa vie de famille mais généreux, altruiste, messager d’une cause plus grande que lui. A la fin des années 70, Bob Marley veut monter un concert ultime pour ramener la paix dans une Jamaïque ravagée par la guerre entre deux factions politiques, tout en suivant les préceptes de sa religion et propager la bonne parole du reggae sur toute la planète.
Ce qui frappe surtout, c’est comment le film se définit par ses manques -on reste sans cesse sur notre faim, tant le film semble éviter soigneusement tout risque d’aspérité en gommant le plus de passages possibles. Au fond, le film ne surprendra pas les accros aux biopics musicaux-pâtés en croûte, sur-verrouillés par l’entourage de l’idole concernée, façon Bohemian Rhapsody. Le film alterne une double structure (le récit de la jeunesse et un concert-clef) qui rappelle celle de Walk the Line, sauf que l’histoire de Bob Marley Begins s’arrête au bout d’un moment pour aucune raison. On ne verra pas grand-chose de l’étonnant bouillon musical de la Jamaïque 50s dans laquelle grandit le jeune Marley, pas plus que l’on ne captera la source de son génie musical. Plutôt que de tenter d’invoquer la voix des morts, le film exprime la voix officielle des survivants. Difficile, ceci dit, de ne pas vibrer quand la musique remplit la salle de cinéma, canalisée par Kingsley Ben-Adir -une perf complètement casse-gueule mais réellement habitée par le comédien, investi à fond dans son rôle, jusqu’à l’effacement. Grâce à lui, One Love capte un peu la mystique qui guidait Marley dans son art et dans sa vie -oui, bon, OK, on peut même dire qu’il y a une "natural mystic blowing through the air". Une mystique qui s’exprime le plus lors des scènes de retraite spirituelle rasta, menées par Mortimer Planno, conseiller spirituel rasta de Bob et joué par l’étonnant Wilfred Chambers. En somme, One Love a trouvé l’une des sept âmes de Marley. C’est déjà ça.
Bob Marley : One Love de Reinaldo Marcus Green, avec Kingsley Ben-Adir, Lashana Lynch, Micheal Ward… Sortie le 14 février.
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