Alice Winocour signe un film ambitieux, impressionnant de maîtrise, au message délibérément féministe.
Sorti fin 2019 au cinéma, Proxima sera diffusé ce soir sur Arte. Première vous le conseille, surtout si vous aimez Eva Green, par ailleurs en ce moment à l'affiche des Trois Mousquetaires - Milady. Voici notre critique du film d'Alice Winocour.
À chaque film, Alice Winocour aime explorer de nouveaux territoires. Son premier long, Augustine racontait les relations entre le professeur Charcot et sa patiente atteinte d’hystérie dans la France de la fin du XIXe siècle. Son deuxième, Maryland, était un thriller paranoïaque centré sur la relation entre un garde du corps atteint de stress post-traumatique à son retour d’Afghanistan et la femme qu’il devait protéger.
Avec Proxima, la réalisatrice part à la découverte du monde de la conquête spatiale : une astronaute est confrontée à la séparation d’avec sa fille de 8 ans avant son embarquement pour un voyage d’un an en orbite de la Terre. Des films comme autant de voyages guidés par la même ambition. Celle d’évoluer à chaque fois dans un environnement extrêmement réaliste. Avec Proxima, Alice Winocour nous ouvre les portes des structures où s’entraînent les astronautes européens, à Cologne, à Star City près de Moscou et à Baïkonour. Elle détaille la minutie de la préparation, la précision des entraînements. Tout est fait pour que le spectateur vive cette expérience en immersion dans un monde qui cultive son mystère vis-à-vis du grand public. Le tout avec un réalisme qui n’empêche jamais le lyrisme et la poésie, comme le souligne la musique subtile et entêtante de Ryuichi Sakamoto (The Revenant).
MISOGYNIE AMBIANTE
Le premier atout de Proxima, c’est de présenter les voyageurs de l’espace comme des gens ordinaires. Finie, l’époque des superhéros ! Les astronautes du cinéma d’aujourd’hui sont des scientifiques, des athlètes hors du commun mais aussi des êtres humains avec leurs faiblesses et leurs émotions. Voilà pourquoi, si la réalisatrice rejoint les problématiques de films récents comme Ad Astra ou First Man, son Proxima ne bégaie jamais avec eux.
Car son originalité tient dans le choix comme protagoniste d’une astronaute femme, Sarah. Une héroïne qui évolue dans un univers professionnel essentiellement masculin où ses compétences sont sans cesse remises en cause, où elle doit à chaque instant prouver plus que les autres. Être une femme astronaute, raconte la réalisatrice, c’est faire face à la misogynie ambiante, mais aussi, parfois, refuser sa féminité. Ce qui est encore plus complexe quand on est aussi mère, comme Sarah. Une mère divorcée qui, sans que son ex-compagnon soit absent – bien au contraire –, se retrouve le plus souvent à assumer le quotidien de son enfant.
Et, là encore, dans la description de cette relation mère-fille, Alice Winocour trouve le ton juste. Proxima ne cherche jamais à magnifier la maternité : le film rappelle qu’un enfant, c’est aussi des angoisses à calmer, des caprices à gérer... Une succession de montagnes russes émotionnelles alourdies par la question de la longue séparation et du potentiel danger de mort qui entoure cette mission.
DIFFICULTÉ D’ÊTRE FEMME
Pour jouer cette mère courage, la réalisatrice a choisi Eva Green, dont le port altier, l’apparente froideur et le jeu dépouillé de tout artifice apportent de la profondeur au récit. La comédienne n’a jamais été aussi convaincante. Alice Winocour l’a entourée de seconds rôles solides, d’où émerge l’impressionnante débutante Zélie Boulant-Lemesle qui, ni modèle, ni rebelle, oscille entre la maturité d’une enfant de divorcés et l’innocence d’une gamine bercée de rêves. On ressort de Proxima marqué durablement par la beauté de cette aventure, l’envie de saluer avec respect toutes les femmes astronautes présentées dans le générique de fin et la certitude d’avoir vu, par-delà son sujet, un très beau film sur la difficulté d’être femme dans le monde d’aujourd’hui. Un film féministe, au sens le plus exaltant du terme.
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