Le Conseil d'Etat a annulé hier le visa d'exploitation du film gore Saw 3D : chapitre final, sorti en 2010 avec le tampon "interdit aux moins de seize ans". "Le Conseil d’État a constaté que le film comportait de nombreuses scènes de très grande violence, filmées avec réalisme et montrant notamment des actes répétés de torture et de barbarie, susceptibles de heurter la sensibilité des mineurs", indique un communiqué du Conseil résumant la décision. Cette décision constitue une première et crée un précédent. Nous avons joint la haute juridiction administrative pour faire le point.

Il s'agit d'une stricte application de la loi

Si le Conseil d'Etat s'est prononcé suite à la plainte déposée par l'association Promouvoir cherchant à affirmer et défendre "les valeurs judéo-chrétiennes dans tous les aspects de la vie sociale", il n'a fait au fond qu'appliquer la loi. Et rappelle dans sa décision que "les dispositions de l’article 227-24 du code pénal, qui interdisent la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, d’un message à caractère violent ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur". En résumé : protéger l'enfance en ne la soumettant pas à des visions violentes. Saw 3D : Chapitre final, ultime volet de la saga emblématique du torture porn, ne pourra a priori plus être vu au cinéma par des mineurs.

Une décision qui crée un précédent

Le Conseil d'Etat ne s'est pas contenté de casser l'arrêt de la cour d'appel. Il a également choisi de se prononcer sur le fond afin d'établir l'illégalité de ce film - et de tous ceux qui pourront suivre dans cette veine. Outre ce que prévoit le code du cinéma et de l'image animée, dont le Conseil d'Etat estime que la cour administrative d'appel a mal appliqué les textes, la plus haute juridiction administrative a tenu à rappeler qu'une telle représentation de la violence était contraire à la loi française (cf l'article du code pénal cité plus haut). En demandant au ministère de la culture de délivrer "un nouveau visa d’exploitation plus restrictif que le visa initial", le Conseil a créé un précédent qui pourra difficilement être ignoré par la Commission de classification et, surtout, le ministère de la culture qui délivre les visas selon l'avis de la Commission. En clair, s'il y avait un Saw 8, son interdiction aux moins de 18 ans serait quasi certaine.

Saw 3 avait déjà été interdit aux moins de 18 ans

En novembre 2006, Saw 3 avait reçu du ministère de la culture (suivant l'avis de la commission de classification) le visa "interdit aux moins de 18 ans". La raison : "La commission recommande à nouveau pour ce film une interdiction aux mineurs de moins de dix huit ans. La très grande violence du film, qui enchaîne sans répit des scènes de tortures morales et physiques appuyées, gratuites, sadiques et pour certaines insoutenables, donne le sentiment qu'un palier est franchi dans ce qui est montré dans un film appartenant à cette catégorie cinématographique." Ce n'est donc pas une première pour Saw et ses successions de scènes gore sans justification dramatique. Saw 3 avait rassemblé 767 340 spectateurs, tandis que Saw 3D (interdit aux moins de 16 ans à sa sortie, donc) avait vendu 573 085 billets. Une baisse qui s'explique plus par la lassitude du public que par son visa.

C'est la première fois qu'un visa est annulé pour cause de violence

Si pour le troisième volet de la saga, la Commission de classification ne s'y était pas trompé et avait d'elle-même conseillé l'interdiction aux moins de 18 ans, le problème d'annulation d'un visa d'exploitation s'est posé plusieurs fois. Mais toujours pour la pornographie : en juin 2000, Baise-Moi, le film de Virginie Despentes, était sorti assorti d'une interdiction aux moins de 16 ans. Mais suite à une plainte déposée par l'association Promouvoir (déjà), le film a été interdit d'exploitation, son visa retiré par le Conseil d'Etat. Finalement, Baise-moi était sorti de nouveau en août 2001, interdit aux moins de 18 ans (une classification abandonnée sous Jack Lang et rétablie pour l'occasion) mais sans classement X. La liste des films interdits aux moins de 18 depuis ne concerne que des films à caractère sexuel, Saw 3 étant l'exception.

Le film pourra quand même sortir en salles

Avis à ceux qui voudraient quand même organiser une projection de Saw 3D : le film pourra tout à fait recevoir un visa d'exploitation temporaire. "Les articles R 211-45 à R 211-47 du Code du cinéma et de l’image animée prévoient la possibilité d'accorder des visas temporaires selon une procédure rapide et allégée avec un délai, pour effectuer une demande, ramené de un mois à quinze jours", indique-t-on au CNC. Une procédure adaptée notamment pour des films de festival et des rééditions mais qui pourrait s'appliquer à Saw 3D. Le Conseil d'Etat, rappelons-le, ne demande d'ailleurs pas de retirer le film des salles où il serait éventuellement projeté mais demande à la ministre de revoir son visa.

Il va falloir réimprimer des jaquettes

Saw 3D est disponible en DVD et Blu-ray depuis le 10 mars 2011, et la décision du Conseil d'Etat n'implique pas non plus de le retirer des magasins. Par contre, en cas de réédition, les pochettes devront indiquer "interdit aux moins de 18 ans". Nous n'avons pas encore pu joindre le distributeur du film pour savoir s'il apprécie ou non la nouvelle pub autour de la saga Saw. "Tellement gore qu'il a mis cinq ans à se faire interdire aux mineurs !", ça ferait une belle accroche...

SP