Pour accompagner la sortie d'Arctic au cinéma, voici une sélection des tournages les plus risqués. Accrochez-vous.
Arctic n’est pas le premier film à être tourné dans des conditions extrêmes. Petit tour des productions les plus folles qui amenèrent leurs équipes au bord du gouffre. Où le risque augmente le réalisme et surtout… le plaisir du spectateur.
Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979)
"On est partis dans la jungle faire un film sur le Vietnam, et, petit à petit, ce tournage est devenu notre Vietnam". Personne n’a jamais mieux raconté le tournage dantesque d’Apocalypse Now que Coppola lui-même : englué aux Philippines dans un projet monstre qui prend l’eau de toute part (renvoi de la star Harvey Keitel, infarctus de son remplaçant Martin Sheen, décors emportés par un typhon, ratiocinations sans fin d’un Brando trop gros…), le cinéaste prend le risque de saborder sa carrière et de finir sur la paille (il a investi sa propre fortune dans le film). Mais le génie barbu a vite l’intuition que ces conditions de tournage abominables pourraient devenir le meilleur argument marketing du film. Une Palme d’or plus tard, Apocalypse Now devient effectivement légendaire et, depuis, tous les shootings de l’extrême ourdis par des démiurges mégalos (à commencer par le Fitzcarraldo de Werner Herzog) se mesurent à l’Apocalypse selon Francis Ford. Tout ça est parfaitement raconté dans Aux cœurs des ténèbres, l’un des making-of les plus démentiels de l’histoire du cinéma.
The Revenant (Alejandro Gonzalez Inarritu, 2015)
L’une des conditions sine qua non d’Inarritu pour raconter l’histoire (vraie) du trappeur Hugh Glass était que The Revenant soit tourné en décors naturels.
"On voulait se perdre, retrouver les sensations que ces aventuriers éprouvaient", nous racontait le cinéaste en 2015, de retour d’un tournage épique qui l’avait emmené du Canada à l’Argentine et qui avait contraint Leonardo DiCaprio à dormir dans des carcasses d’animaux, frôler l’hypothermie et manger du foie de bison cru. "Ça a été très compliqué : le froid, le matériel qui prend l’eau, l’équipe qui tombe malade, une énorme tempête à Vancouver, sans compter qu’il faisait nuit tous les jours à 15h30… Le tournage a duré huit mois. Les problèmes étaient immenses, incessants. (…) Le film cherche à raviver des sensations enfouies. A montrer le monde dans toute sa beauté et toute son horreur. Et pour ça, en effet, il fallait travailler avec la complexité de la lumière naturelle, utiliser le moins d’artifices et de CGI possible. Aujourd’hui, tous les films ressemblent à des jeux vidéo. A un moment donné du tournage, je suis devenu obsédé par l’idée de la brume qui tombe sur une rivière. On a attendu cette putain de brume pendant des jours". Moralité ? "Ma fille est venue me rendre visite sur le plateau, je lui ai montré des images, très fier de moi, et elle m’a dit : 'C’est beau, papa, on dirait Narnia'".
Kekexili, la patrouille sauvage (Lu Chuan, 2006)
Kekexili c’est cette région chinoise proche du Tibet, un immense désert montagneux où vivaient autrefois près d'un million d'antilopes du Tibet. Au début des années 90, une chasse intensive a ramené ce chiffre à une dizaine de milliers. En 1993, quelques Tibétains forment une patrouille pour arrêter les contrebandiers. Le film de Lu Chuan suit une de ces patrouilles qui se met à poursuivre des braconniers. Pour plus de réalisme, pour plus d’efficacité surtout, Lu Chuan a filmé cette chasse à l’homme in situ. Sur fond de paysage aussi hostile que surnaturel, le film devient le combat désespéré et écologique de deux groupes d'hommes. "Ce n’était pas un tournage difficile, ce fut quasiment impossible ! nous expliquait le cineaste au moment de la sortie. On était à plus de 4700 mètres d’altitudes : l’oxygène y est rare (un tiers de ce dont on a besoin) et on se fatigue en quelques secondes. D’autant plus que filmer réclame un travail physique éreintant. Mon équipe a souffert le martyr. La moitié a dû être rapatrié avant la fin du tournage pour des raisons médicales. Certains sont tombés dans les pommes en marchant. On avait froid, la bouffe était mauvaise, tout était insupportable. Mais dès que j’ai découvert cette région, l’endroit m’a frappé. Physiquement. Elle s’infiltre dans toutes choses – le comportement des gens, leur allure, leur rapport au monde… C’est pour ça que je voulais que ça devienne un personnage au même titre que les membres de la patrouille". A l’écran, le cinéaste semble effectivement inspiré par ces conditions dantesques. Il en tire des scènes hallucinantes : une poursuite à deux à l’heure entre un braconnier et un garde ; ou celle où l’un des personnages tombe dans des sables mouvants – à ce moment-là, tout le film semble alors se résumer dans cette terre froide et sans air qui fait bouillir le sang, et qui finalement, au bout du compte, sans prévenir, décide d'avaler les hommes qu'elle porte. Impressionnant.
Chang (Merian C Cooper et Ernest B Schoedsack, 1925, 1928)
Tout est recensé dans Kong, le fabuleux roman de Michel Le Bris qui raconte les aventures de Schoedsack et Cooper. Avant de donner naissance à King Kong, leur chef-d’œuvre, ces deux aventuriers de la pellicule s’étaient rencontrés sur le front de la première guerre mondiale. Au plus fort du conflit, ils découvrent le vrai visage de l’homme, capable du pire, mais aussi, par une forme de transcendance inédite, de se faire plus grand que lui-même. Comment raconter cette "force obscure", créatrice et destructrice ? Schoedsack et Cooper parient d’abord sur le réel. Le cinéma est balbutiant, la mode est au documentaire. Ils décident alors de partir aux confins du globe pour filmer l’humain face à la nature et surtout face à lui-même. Première destination : l’Iran, en 1925, où ils enregistrent la transhumance des Bakhtiaris, un peuple kurde qui doit traverser avec son troupeau une soixantaine de rivières et gravir une montagne pour rejoindre les pâturages de la Perse. Les deux hommes échappent de peu à la mort (ils manquent de se noyer, survivent aux températures mortelles et aux chutes de glace). Grass, le résultat, est un triomphe, une merveille qui capture l’esprit d’une tribu qui résiste. L’un des meilleurs doc de la période, avec Nanouk. Quelques mois plus tard, les deux hommes s’envolent pour le Siam où ils veulent filmer des tigres mangeurs d’homme et des troupeaux d’éléphants qui détruisent tout. Là encore Schoedsack et Cooper frôlent la mort (un des troupeaux a manqué de peu l’équipe de tournage et les maladies ont failli avoir raison de leur témérité), mais ils ramènent un nouveau film palpitant qui parlent autant de leur courage que de l’humain en général. Mais ça ne suffit pas. Ils sont prêts pour aller plus loin, imprégner la fiction de leur audace et de leur folie. Ils sont prêts pour King Kong.
Arctic, (Joe Penna, 2019)
Dans Arctic, Mads Mikkelsen livre un ultime combat contre les éléments pour sa survie, et on lutte à ses côtés. A la suite du tournage réalisé en Islande dans des conditions climatiques extrêmes, l’acteur danois raconte comment il a "perdu plusieurs kilos", lacéré par le vent polaire, jusqu’à "mourir littéralement de froid". Et on le croit sur parole. Le premier long-métrage de Joe Penna illustre parfaitement l’isolement et le désespoir du personnage, prisonnier d’un territoire hostile où chaque pic, chaque étendue de glace se ressemble. Pendant son périple, ce Robinson Crusoe moderne est exposé à un dilemme : survivre ou se laisser emporter par la douceur meurtrière du grand froid.
Arctic sort aujourd'hui au cinéma. Bande-annonce:
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