En racontant l’affrontement entre Truman Capote et la jet-set new-yorkaise, la nouvelle saison de l’anthologie produite par Ryan Murphy interroge la place de l’artiste dans la société.
Dans l’immense usine à séries dirigée depuis quelques années par Ryan Murphy, les productions sont rangées par anthologies, sous des intitulés permettant de mieux s’y retrouver parmi l’océan de contenus maison. La section "frissons" s’appelle American Horror Story, les grands sujets politico-judiciaires se classent au rayon American Crime Story, et la dernière-née, Monster, inaugurée en 2022 avec le carton de Dahmer, promet de revenir sur les affaires criminelles les plus glaçantes de l’histoire… Planquée dans l’arrière-boutique, Feud avait presque fini par se faire oublier. Sept ans se sont écoulés depuis sa première saison, consacrée aux flamboyantes prises de bec entre les divas Bette Davis et Joan Crawford sur le plateau de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, en 1962. Il a été un temps question que la saison 2 dissèque le divorce entre Charles et Lady Di, mais qui allait avoir envie de voir ça après The Crown ?
Voici donc Feud : les trahisons de Truman Capote (Feud : Capote vs The Swans en VO), qui raconte comment l’auteur de De sang-froid déclara la guerre à ses "Cygnes" (une bande de mondaines new-yorkaises richissimes), en révélant leurs sales petits secrets dans son livre Prières exaucées. On voit, en surface, la continuité formelle d’une saison de Feud à l’autre : plaisir du name-dropping et du potin mondain, esthétique "Hollywood décadent" mêlant luxe ostentatoire et parfum de fleurs fanées, casting d’actrices à la gloire elle-même un peu fanée (Naomi Watts, Diane Lane, Demi Moore, Calista Flockhart, Molly Ringwald) à qui Murphy sert sur un plateau un come-back en majesté. Le tout filmé par un Gus Van Sant enivré par l’opulence arrogante de ce paradis barricadé de la 5ème Avenue, où l’on tue le temps à coups d’alcool et de cancans.
Seppuku social
Comme souvent dans les productions Murphy, néanmoins, les vraies intentions s’avancent masquées. La deuxième saison d’American Crime Story, alias The Assassination of Gianni Versace, avait été vendue comme une sorte de show kitsch et tape-à-l’œil, avant qu’on ne comprenne qu’il s’agissait en réalité d’une plongée d’une violence ahurissante dans les entrailles de la folie homophobe américaine. Pareil ici : les affiches de Feud 2 s’ornaient aux Etats-Unis du slogan "The Original Housewives" - un clin d’œil à The Real Housewives, émission de télé-réalité sur des ménagères friquées – afin d’attirer un public friand de crêpage de chignons cathodique. Mais c’est l’absolue tristesse du ton qui frappe d’emblée. En publiant ses écrits scandaleux, Truman Capote se livre à un seppuku social, qui va précipiter son destin de freak absolu, de suicidé de la (haute) société. Toléré pour ses excentricités (et son irritante diction, rendue avec gourmandise par Tom Hollander) tant qu’il reste à sa place et sert les intérêts de l’establishment wasp, l’écrivain dès lors qu’il dérange est vite repoussé vers la marge, où il retrouve ses vieux démons – honte, aliénation, haine de soi, homophobie intériorisée.
La série s’appelle Feud mais d’autres appellations de la maison Murphy lui auraient tout aussi bien convenue, tant les productions du mogul tournent de façon concentrique, de plus en plus obsessionnelle, autour des mêmes thèmes. Et le programme camp au fumet rétro de se retrouver quelque part au croisement de Monster (c’est comme ça que Capote se voit), d’American Crime Story (ses écrits tuent, parfois littéralement) et même d’American Horror Story, quand surgit dans l’épisode 2 un fantôme joué par Jessica Lange… C’est une compilation des grandes horreurs systémiques et des petites monstruosités ordinaires de la société US. Une anthologie des anthologies de Ryan Murphy.
Feud : les trahisons de Truman Capote, créée par Jon Robin Baitz, avec Tom Hollander, Noami Watts, Diane Lane… Sur Canal + Séries et MyCanal.
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