Toutes les critiques de Dans la chambre de Vanda

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Réalisé par Pedro Costa dans un quartier de Fontaínhas, Dans la chambre de Vanda soumet à notre jugement le principe d'un renversement des valeurs du Bien et du Mal, du noble et de l'ignoble, du beau et du laid.
    Par une sorte de processus alchimique, la pauvreté du matériel numérique utilisé par Pedro Costa révèle une richesse plastique et rythmique nouvelle. L'horreur qu'inspire le lent suicide raisonné de la toxicomanie montre aussi une vérité très tendre de la faiblesse, de la dépendance humaine, et tout ce monde délabré du quartier populaire de Fontaínhas à Lisbonne semble prodigieux comme le décor d'un mythe.Pendant tout le film, Vanda, sa soeur Zita et quelques-uns de leurs amis qui apparaissent chez elles où bien dans une maisonnette squattée, habitée par Manuel jusqu'à ce qu'elle soit démolie sous nos yeux, pratiquent tranquillement, imperturbablement, le sacrifice de leur propre chair dans la jouissance de la drogue qu'ils s'administrent sans arrêt. Nous les voyons régler les doses et les types de prises selon une stricte économie destinée à déjouer la menace du manque : "Saleté de manque", dit Zita, qui, plus que la mort, concentre toute l'angoisse de cette existence qu'ils ont "choisie", selon Vanda, ou qui était leur "destin", selon Manuel. Mais ce n'est pas tout, Vanda est belle. Il y a du trouble à le dire car elle est mourante, mais cela est stupéfiant, dans le film, la fascination qui se dégage des personnes tandis qu'elles sont entièrement occupées à faire les gestes de leur lente destruction. Vanda est belle comme une enfant sauvage, hirsute et féline. Sur son visage, les marques de l'épuisement composent une fièvre âpre : affleurements de sang, pincements bleutés, yeux vagues et brûlants, noirs. Belle comme une sorcière de Michelet et d'une impossible sensualité pour celui qui la regarde, car elle est intouchable.L'intimité du regard de Costa, son intrusion dans la chambre des filles comme dans la pièce où vivent les garçons ne provoque aucune hystérie bien qu'il ne soit question, dans tout son film, que de corps et de désir. C'est qu'ici tout est consommé, telle est la clef du renversement alchimique, nous sommes dans un monde d'incendie et de cendre. Le désir circule dans le corps drogué, il est comblé, recommencé, connu, maîtrisé à l'infini - sauf sa violence, sauf sa voracité -, jusqu'à la mort. Rien n'est rentré ou trop longtemps contenu, rien n'attend le moment d'exploser en cette sorte d'avancée guerrière de la frustration contre elle-même qui forme la base du mouvement hystérique. Pas d'explosion, pas d'obscénité ni de secret qui se dévoile, notre regard n'est pas celui du voyeur, mais celui de la participation ! Il est fraternel et nous ne voyons pas tant la chambre de Vanda que, doucement, à mesure qu'insensiblement s'installe notre proximité, le monde depuis la chambre de Vanda, par les yeux de Vanda. Nous sommes peu à peu envahis, nous aussi, par les brumes du souvenir. De son retrait dans une intériorité lointaine et de l'indifférence aux choses de ce monde, nous percevons bientôt l'étrange et l'horrible douceur.Voilà… Nous ne sommes pas tous junkies à Lisbonne dans le quartier populaire de Fontaínhas en cours de démolition. Cependant nous avons tous passé du côté de la peur du manque, un peu de temps au moins. Nous avons tous, contre elle qui est comme la conscience claire de notre irrévocable faiblesse, nos anathèmes et conjurations, nos pratiques rituelles et protectrices. C'est la paix du désir dans l'absence d'illusion que ces gens gagnent en échange de leur sacrifice. Ils sont abandonnés, au sens lascif et sensuel, comme au sens tragique et social que peut avoir ce terme.Dans la chambre de Vanda (No quarto da Vanda
    Réalisé par Pedro Costa
    Portugal, Documentaire (2000). 02h 50mn.
    Avec Vanda Duarte, Zita Duarte, Lena Duarte, Manuel Gomes Miranda, Diego Pires Miranda
    Date de sortie : 19 Septembre 2001