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Dieu qu’on était prêts à l’adorer, ce film ! Hélas, non. Pourtant, le pari théorique est relevé sans fausse note. L’exhaustivité documentaire propre à l’écrasante majorité des biopics est balayée, remplacée par un onirisme subjectif à base de gueules géantes, d’un double méphistophélique du héros et d’envols libérateurs à la Peter Pan. La ressemblance et le mimétisme hallucinants d’Éric Elsmonino à l’égard de son modèle sont cultivés jusqu’au vertige. Quant à la mise en images de Joann Sfar, elle est ample et parfois inventive. Sauf que l’essentiel se voit comme « ripoliné » par une admiration et une bienveillance paralysantes pour le personnage. Les démons de Gainsbourg ? On les voit à peine. L‘origine profonde de sa musique ? Un juke-box arbitraire de saynètes informatives suivies de clips. La nature de ses relations avec les femmes ? Un défilé de sosies où, pour une Laetitia Casta géniale en Bardot, la France Gall de Sara Forestier et la Juliette Greco d’Anna Mouglalis relèvent du bonus DVD, rubrique « Scènes coupées ». Faute
d’une progression dramatique digne de ce nom et d’une approche générale plus racée, le collage bio de morceaux choisis, sans tabac ni alcool (ou si peu), devant lequel on se retrouve souvent séduits, émeut cependant rarement.
Toutes les critiques de Gainsbourg (Vie héroïque)
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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De l’étoile jaune à Rouget de l’Isle de la Jamaïque, la “vie héroïque” de Serge Lucien Ginzburg vue par Sfar, c’est ça : un exemplaire parcours d’intégration républicaine, une identité nationale rêvée et réelle, à la fois indiscutablement française et sensuellement métèque, incarnée par un Juif érotomane, grilleur de Gitanes, mal rasé, qui a secoué l’héritage de Nerval, Prévert et Vian à coups de modernité anglaise et de déhanchements rastas. “Roll over Besson, tell Sarkozy the news” : apparemment situé dans le passé, le film de Sfar projette un roman national de salubrité publique pour notre temps.
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Par ses oublis volontaires (le billet de 500 francs brûlé devant une caméra de TV, par exemple) et son insistance sur d'autres points (la rencontre avec Vian, la polémique « La Marseillaise »), ses choix esthétiques marqués (morceaux qu'on redécouvre réarrangés et chantés par les acteurs, Gainsbourg joué par une non-star - Eric Elmosnino - au jeu subtilement décalé) et ses libertés réjouissantes (les frères Jacques joués par le Quatuor, jolis portrait des parents de Gainsbourg), le film de Sfar impose un vrai personnage de cinéma, un « Gainsfar » attachant, drôle, insaisissable et forcément fantasmé : à la hauteur du mythe.
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Donner chair au double de Gainsbourg, le fameux Gainsbarre, grâce à une marionnette vivante affublée d'une gigantesque gueule de carnaval n'est pas la seule idée de génie du réalisateur. Il y a également cette volonté de montrer les femmes de Gainsbourg telles que l'inconscient collectif les désire (mention spéciale à Laetitia Casta en Brigitte Bardot) et la chance (il en faut aussi) d'être tombé sur Eric Elmosnino, suffisamment talentueux pour éviter le simple numéro mimétique. Et, de la décoration à la lumière en passant par les costumes, tout participe d'un élan artistique désignant Gainsbourg (vie héroïque) comme l'exemple parfait du vrai bon film français.
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Eric Elmosnino ressuscite l'artiste avec brio, tandis que Laetitia Casta incarne une Brigitte Bardot plus sensuelle que jamais.
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(...) le film ne tiendrait pas sans l'incroyable interprétation d'Eric Elmosnino. Acteur de théâtre renommé, il a chopé l'élégance, le phrasé, l'ironie de Gainsbourg sans jamais tomber dans l'imitation. Du grand art.
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Cette « gueule » qui accompagne l’homme à la tête de choux, lui colle même aux basques, est une belle idée du réalisateur venu de la bande dessinée, univers omniprésent dans ce film. Joann Sfar, auteur du célèbre « Le chat du rabbin » s’accapare avec une belle énergie Gainsbourg et ses mensonges qui deviennent grâce au cinématographe des vérités; il réalise une œuvre libre, un portrait irrespectueux mais amoureux de l’artiste aux semelles de Repeto. Frehel, Greco, Vian, les frères Jacques, Bardot et Birkin sont là, comme cet homme de génie torturé sans doute de ne jamais avoir pu vivre de ses premières amours, la peinture. Oui, cet immense auteur/compositeur hanté par Bacon et d’autres fantômes, dissimulés dans les célèbres murs noirs de la maison de la rue de Verneuil, est tout entier dans ce conte.
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Dommage que le film n'interroge pas plus ces sardoniques échecs et mat à la connerie car ce sont dans ces petits gestes en regard de son oeuvre, mais si signifiants pour le personnage, que vibre l'héroïque panache de Gainsbourg Serge.
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par Yann Lebecque
Visuellement abouti, Gainsbourg (vie héroïque) n'a pas été réalisé par un dessinateur de BD pour rien : la cadre est travaillé, les arrières-plans souvent splendides, le générique d'ouverture en dessins animé, très réussi, rappelant la filiation entre le septième et huitième art.
Il faut aller voir ce "Gainsbourg", premier long-métrage de Joann Sfar, dont les parties les plus réussies sont celles où le dessinateur ne s'efface pas derrière l'admiration qu'il a pour son sujet. Le rôle-titre est tenu par Eric Elmosnino, d'autant plus exceptionnel qu'il allie ressemblance étonnante et singularité, en s'échappant sans cesse de la copie.
C’est inventif, inspiré, porté par l’époustouflant Eric Elmosnino, théâtreux qui ne devrait pas le rester, et par un casting féminin à vous mettre l’eau à la bouche.
Ce qui n'aurait pu être qu'un biopic classique se révèle comme une ode à l'artiste. Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar vibre de talents conjugués. Eric Elmosnino éblouit dans le rôle-titre. Les muses, de Laetitia Casta et Anna Mouglalis à la regrettée Lucy Gordon, sont exceptionnelles. Philippe Katherine compose un épatant Boris Vian, source d'inspiration pour Gainsbourg comme pour Gainsbarre. Joann Sfar, star de la BD passée à la réalisation, ne se contente pas de livrer une galerie de clichés. Il puise dans son monde intérieur pour fantasmer celui de son sujet, faisant prendre à son film des allures de fête foraine. Le «péril juif», créature cauchemardesque, et la «gueule», marionnette alter ego, marquent le film du sceau d'un auteur complet.
Cette balade à la bande-son magique rappelle que le compositeur reste inégalé dans ses créations comme dans ses provocations. On peut ne pas adhérer au parti pris de Sfar, qui a privilégié sa vision de Gainsbourg à la réalité. Il faut lui concéder des points pour son originalité et sa passion communicative pour l'Homme à tête de chou. Néophytes et inconditionnels trouveront leur compte dans cette vie rêvée, coup de chapeau malicieux d'un artiste à un autre.
Certes, Joann Sfar a encore à trouver sa voie sur le terrain cinématographique ; le film manque parfois de s’essouffler, cherche la direction qu’il doit prendre. Mais il faut lui reconnaître, accompagné d’une certaine humilité, un investissement personnel et créatif riche en inventivité, qui fait de Gainsbourg un film au final très intime, sur un artiste qui a pourtant toujours joué de la frontière entre provoc’ publique et affaires privées. Ses idées scénographiques, peuplées comme il se doit de dessins et de créatures aux contours déformés, qui se matérialisent dans le réel sans moins de magie que dans un « conte » - la plus belle et la plus suivie étant le personnage de La Gueule, sorte de Mister Hyde individuel du Serge lunatique et solitaire -, sont rehaussées par une photographie et des décors veloutés, où objets et corps apparaissent comme irréels dans une lumière savoureuse. Servis par cette atmosphère d’inquiétante féerie, les acteurs choisis pour le film n’ont plus qu’à jouer les cartes des mythes qu’ils incarnent, depuis une Laetitia Casta toute fauve en léopard et cuissardes, jusqu’au mimétique Éric Elmosnino, à la « gueule » hagarde derrière ses écrans de fumée de cigarette. Gainsbourg a le mérite de se déprendre de la logique traditionnelle du biopic ; foyer de notes et de couleurs, réconciliant les genres comme le faisait Serge avec le reggae et l’hymne national, il fait tout pour que nous l’aimions... le temps d’une chanson.
C'est avec le bout incandescent d'une Gitane bien allumée que le dessinateur Joann Sfar signe le plus beau tableau cinématographique que l'on pouvait faire du grand Serge. En réincarnant d'une façon sidérante ce grand séducteur à la beauté des laids, Eric Elmosnino se fait mieux qu'un nom : une renommée. Les actrices sont sublimes, et Casta, plus Bardot que jamais. Gainsbourg est un beau film d'auteur, un objet artistique à la fois élégant et décontracté, un peu comme une barbe de trois jours...
Quelques trouvailles poétiques et une séquence hilarante laissent encore entrevoir le film que Sfar n'aura pas fait, faute d'avoir su trancher entre laisser libre cours à son imagination et respecter les passages obligés du biopic.
En tenant fermement la réalité à distance, Joann Sfar peut peindre le Gainsbourg qu'il aime, celui dans lequel il se reconnaît. (...) Ces fantaisies dans le récit s'incarnent dans une distribution presque toujours judicieuse. (...) Hélas, le temps qui passe semble avoir pesé sur les épaules de Joann Sfar et les vingt dernières années de la vie du chanteur sont moins bien traitées que sa jeunesse. Le film aligne alors les anecdotes, met littéralement en scène des épisodes connus (dont l'affrontement avec les associations d'anciens combattants qui protestaient contre la mise au pas du reggae de La Marseillaise) et surtout se montre d'une grande gaucherie lorsqu'il lui faut parler des aspects les moins sympathiques de la vie du chanteur.
Après la tornade Bardot, Joann Sfar a un peu de mal à cacher ce qu'il avait brillamment dissimulé dès le début : un scénario fait de sketchs successifs. Défilent, mécaniquement, Serge et Jane B. (mmhouais), Serge et La Marseillaise (bof), Serge et Bambou (boum badaboum). Gainsbarre ne semble plus seulement avoir dévoré Gainsbourg, mais Sfar, aussi, incapable, soudain, de couper des scènes trop longues. Et d'aller droit à l'essentiel. Alors que ce que l'on aime, dans cette biographie qui n'est pas un « biopic » à l'américaine, c'est, précisément, la réunion, à travers le temps, d'un fan éperdu et de son idole. La rencontre de leurs deux imaginaires. Et leur déraison.
Gainsbourg est un tel trésor national cool qu'on s'étonne aussi que le dessinateur prolifique ait pu faire passer dans une reconstitution coûteuse les quelques idées visuelles et scénaristiques qui tiennent ce film à des kilomètres du Panthéon mi-film mi-récité d'usage.