Première
par Christophe Narbonne
Tom Egan pilote des drones depuis sa base, à Las Vegas. Il fait son travail, consistant principalement à bombarder des Talibans, puis rentre chez lui où il boit et fait la gueule à sa femme, qui le comprend de moins en moins. Combien de temps cela peut-il durer ? Spécialiste des films dystopiques ("Bienvenue à Gattaca", "Time Out", "Les Âmes vagabondes"), Andrew Niccol en a peut-être signé un nouveau avec "Good Kill" : son personnage principal n’évolue-t-il pas dans un monde semi-virtuel symbolisé par le caisson sécurisé dans lequel il entre pour accomplir sa mission aux commandes d’un simulateur de vol (ou plutôt d’une arme de destruction massive) ? L’impact douloureux de cette réalité parallèle se refl ète sur le visage de plus en plus creusé du héros, formidablement (dés)incarné par Ethan Hawke, par ailleurs déconnecté de sa vie professionnelle et familiale. L’horreur de la guerre n’est plus vécue sur les champs de bataille mais de l’intérieur, nous dit le réalisateur, qui n’oublie pas de susciter l’empathie pour les civils afghans, victimes collatérales de bombardements commandités par des officiers cyniques. Il y a des maladresses dans ce film à charge, plombé par de bonnes intentions qui le transforment parfois en manuel du type "Tout ce qu’il ne faut pas faire pour éviter le trouble de stress post-traumatique". La sincérité du projet, en revanche, ne fait aucun doute. Par exemple, Niccol ne fait pas d’Egan un héros de guerre mais un héros du quotidien en lutte avec sa conscience, ses démons et sa femme. Il prend un peu le contrepied de Clint Eastwood et de son "American Sniper", auquel il est difficile de ne pas penser. La vision de ces deux films montre en tout cas la complexité du rapport à géométrie variable que les Américains entretiennent avec leur légende, la notion d’héroïsme et la morale.