Toutes les critiques de Julie (en 12 chapitres)

Les critiques de Première

  1. Première
    par Gael Golhen

    Joachim Trier avait disparu. Depuis deux films, il avait abandonné les dérives mélancoliques qui l’avaient imposé comme un cinéaste majeur de la nouvelle génération. Oslo 31 août ou Nouvelle donne parlaient des jeunes branchés aussi paumés qu’ambitieux. Ces balades mélancoliques auscultaient depuis sa Norvège embrumée le xennial angoissé. Mélancolie douce, bandes -sons new-wave, érudition planquée sous une mise en scène moderne…  Trier était le cousin nordique de Noah Baumbach, Mia Hansen-Løve ou Mikhael Hers disons. Mais on l’avait perdu de vue. Le cinéaste était parti braconner sur les terres du cinéma de genre et du grand cinoche international. Jusqu’à se perdre. Après ce détour, Julie (en 12 chapitres) ressemble à un reboot de son cinéma, mais par le prisme d’un portrait de femme sensible. Et surtout via la… comédie. Ne se fier ni au titre - Julie (en 12 chapitres) qui se la raconte un peu - ni au sous-titre – La pire personne au monde. Parce que ce nouveau film est d’abord une romcom générationnelle. Après la présentation de son héroïne, Trier bricole en effet un collage d'éclats intimes pour signer une grande fresque contemporaine et la radiographie sensible des tremblements collectifs. Julie est une jeune femme qui (se) cherche. Un mec, une vocation, un métier, des réponses. D’un lever de soleil sur Oslo à un autre, d’une fête à un rendez-vous à l’hosto, d’une première étreinte à un dernier baiser, le film colle, en 12 fragments, aux Converse de cette trentenaire insouciante. Elle traverse cette période de la vie où l’avenir peine à dessiner ses possibles. Et, le portrait de femme hébétée se fond dans une ambitieuse chronique de l’époque. Les titres des « chapitres » disent d’ailleurs l'ambition du réalisateur : Julie parle des relations amoureuses à l’ère #Metoo, de la responsabilité de l’art face la société, de la fidélité à soi-même ou de l’engagement (écologique ou citoyen).

    Ca pourrait être caricatural, lénifiant ou arrogant, répétitif. C’est au contraire drôle, lumineux et touchant. Mais pourquoi ça fonctionne ? Comment ce cinéaste qu’on associait à un art austère, dur comme le métal et froid comme l’Aquavit, finit-il par faire fondre le spectateur ? La réponse se trouve à la fin du film. Julie se conclue sur une chanson, une des plus belles mélodies du monde : la version anglaise de Agua de Março, Waters of March chantée par Art Garfunkel. Au Brésil, les « eaux de mars » annoncent la fin de l’été et le début de l’automne. Dans la chanson, l’image sert à raconter une vie d’homme en compilant les visions et les sensations qui jalonnent une existence. C’est l’inventaire d’événements, grands et petits, qui passe de la joie à la tristesse. C’est la mort, un oiseau sur le sol, un serpent, le désert, la nuit, le soleil, la vie… Par l’agencement secret des sons et des rythmes, par la beauté de sa mélodie, cette litanie syncopée devient lumineuse et vitale. Précisément le principe de Julie (en 12 chapitres) : une vie résumée en deux heures, une pop song qui mélange les émotions comme des couleurs, passe par le rêve, se cogne au réel, tente de fuir dans les fantasmes avant de revenir sur terre dans un romantisme entêtant. Le titre français est sans doute une référence au roman épistolaire de Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse. Jean-Jacques y inventait une nouvelle manière de dire le sentiment amoureux. Trier, avec un sens fou de la mise en scène, tente ça à sa manière : raconter une love story au XXIème siècle. Pour cela, il se permet donc des audaces qui normalement devraient tomber à plat. Il change de registre, de puissance, et avec une aisance déconcertante, alterne des séquences au réalisme blafard avec des chapitres romcom (triviaux et hilarants) ou des segments de drame nordique dépressif. Vous vous souviendrez longtemps de la scène de rêve, où le cinéaste arrête littéralement le temps pour suivre la rencontre de deux êtres esseulés. Comme vous ne pourrez pas oublier un déjeuner entre amis qui finit mal… Au fond, il y a du Amélie Poulain dans cette Julie, un peu d’Ally McBeal aussi, cette impertinence rieuse, ce second degré truqueur et cette poésie joyeuse de la mélancolie qui l’inscrivent à côté de ses deux aînées dans le panthéon des grandes héroïnes ciné-série. Evidemment, tout cela ne serait rien s’il n’y avait pas quelqu’un pour lui donner corps. Renate Reinsve, inconnue jusqu’ici, est phénoménale : elle apporte ce qu’il faut d’aspérité, de spontanéité et de vitalité au délire de Trier. Grâce à Renate Reinsve, parce qu’on l’a vu vivre, douter, espérer, parce qu’on a partagé ses confidences, Julie finit par intégrer les vies des spectateurs…