- Fluctuat
Une fois de plus, nous repartons dans les contrées hostiles et charismatiques de Shanghai pour franchir The Suzhou River, second film de Lou Ye, un homme décidément ambigu.
Même s'il emprunte la construction scénaristique de Vertigo, Lou Ye oriente son film dans une direction beaucoup plus vicieuse et incroyablement risquée. Imaginez un homme (Lou Ye ?) filmant sa rencontre avec une jeune femme, Meïmeï. Il en tombe éperdument amoureux quitte à la suivre n'importe où et surtout à la voir dans n'importe quelle position (Meïmeï travaille dans un night-club). Imaginez une seconde histoire qui viendrait prolonger la première, plus calme et plus classique : autrefois, un jeune coursier perdit sa bien-aimée au cours d'un accident tragique. Ce fantôme de l'envie s'appelait Moudan. Meïmeï et Moudan se ressemblent comme deux gouttes d'eau Il est inutile de poursuivre cette histoire car le film repose essentiellement sur deux choses : la confrontation des deux hommes (le cinéaste et le coursier) et surtout ce lyrisme teinté d'amertume romanesque et de pessimisme outrancier.
A commencer par la présence physique et orale du cinéaste. Nous ne pouvons concevoir l'idée d'une parabole fantasmatique dans la mise en propos de l'auteur car tous ses désirs, tous ses faits et gestes et mêmes toutes ses pensées, se dessinent progressivement dans l'image.
Il n'est pas question de voyeurisme mais plutôt de compassion. La preuve, tout au long du film, nous éprouvons une certaine rancoeur (comme dans tout mélodrame) vis-à-vis de ce cinéaste qui essaie tant bien que mal de garder pour lui cette sirène qui pourrait être la bienfaitrice de son adversaire. Evidemment, celui-ci, coursier de son état, est la véritable représentation d'une jeunesse en mal d'amour et surtout complètement perdue au beau milieu de ce terre-plein de sentiments exacerbés.La sixième génération du cinéma chinois est constamment à la recherche d'un passé oriental et d'une nostalgie cinéphilique. Identité mainte fois explorée (plans du fleuve Suzhou, recherche formelle dans chaque image d'architecture urbaine, rapport lumière naturelle/état d'âme des personnages), et cinéphilie extrêmement précieuse qui vise à transcrire une influence indéniable - et non dangereuse - du cinéma américain des années 30/40. Certes, il y a du Hitchcock en Lou Ye mais on peut aussi y déceler un filmage nerveux qui n'est pas sans rappeler Criss Cross (Pour toi, j'ai tué de Siodmak) dans son romanesque sanglant, Experiment Perilous (Angoisse de Tourneur) pour la complexité des rapports humains. Et surtout Lady in the Lake (La Dame du lac de Montgomery) pour l'utilisation de la caméra subjective donc du point de vue de l'auteur-personnage.Filmer la plénitude d'enfants désoeuvrés, puiser dans un réalisme déjanté dont l'urbanisation glaciale est source de malaise social, tels sont les objectifs de ce mouvement asiatique dont sont issus des visagistes exigeants tels que Wong Kar-wai, Wang Xiaoshuai (So Close to Paradise), Edward Yang, Naomi Kawase, etc.Suzhou River
De Lou Ye
Avec Zhou Xun, Jia Hongsheng, Hua Zhongkai
Allemagne / Chine, 2000, 1h23
Suzhou river