Le réalisateur belge de Calvaire et Alléluia fait le point sur sa carrière, à l’occasion de la sortie d’Inexorable, thriller chabrolien et vénéneux porté par Benoît Poelvoorde.
Inexorable, un tournant
"En tant que réalisateur, je suis la somme de toutes mes expériences, heureuses et malheureuses. J’ai fait sept longs-métrages, je suis un metteur en scène un peu fiévreux, compulsif, passionné, donc quand ça ne se passe pas comme je voudrais que ça se passe, je peux vite glisser. J’ai eu une expérience calamiteuse en France avec Thomas Langmann (Colt 45, 2014), mais ça, tout le monde le sait. Mon aventure américaine (Message from the king, 2016) a également été difficile, comme pour beaucoup de réalisateurs, mais elle m’a beaucoup appris. Aujourd’hui, je suis fort de tout ça, mon artisanat est plus aiguisé. Je suis plus mûr, plus apte. Il se trouve qu’en Belgique, avec mes partenaires, dans une économie modeste, c’est là que je suis le meilleur. J’essaye de faire des films personnels, qui déploient un vrai sens de la mise en scène, où je suis moi-même, sans aucune duplicité. Mais ma volonté, désormais, c’est aussi d’essayer d’ouvrir un peu mon cinéma au public, de travailler des archétypes ou des conventions. Tout en restant très singulier, et sans avoir peur de la radicalité ! Le genre d’Inexorable est très circonscrit, c’est celui du home invasion, du thriller érotique. J’avais des références de thrillers américains des années 90 en tête, même si mes deux véritables totems étaient Péché mortel, de John M. Stahl, avec la sublime Gene Tierney, et Voici le temps des assassins, de Duvivier. L’essentiel, c’était de construire un vrai thriller. Installer une tension, la maintenir jusqu’au bout, monter en puissance. Prendre le spectateur à la gorge et ne plus le lâcher."
Poelvoorde, ce génie
"Benoît Poelvoorde, c’est quelqu’un que je connais depuis très longtemps, depuis que j’ai 15 ans. C’était l’époque où je faisais des pièces de théâtre en amateur à Namur, avec Cécile de France. On était gamins et, via Rémy Belvaux (l’un des réalisateurs de C’est arrivé près de chez vous – ndlr), je croisais Benoît dans les cafés. Il avait 25 ans et je le trouvais déjà incroyable, j’étais électrisé par sa personnalité. J’ai beaucoup projeté sur lui parce que je le regarde comme une espèce d’idéal, de grand frère. J’ai donc toujours voulu travailler avec lui. On a eu une première expérience sur Adoration (2019), mon précédent film. Ça a donné une scène que je trouve absolument magistrale, même si entre nous, c’était parfois tendu. Aujourd’hui, on a résolu pas mal de choses. C’est un acteur et un homme d’une liberté totale, l’équivalent d’un Depardieu ou d’un Michel Simon. Sur le plateau, on est tous les deux dans une énergie folle. Mais ce sont des énergies très différentes, qui s’aimantent. J’ai toujours l’impression, quand je réussis une scène avec Benoît, que j’accouche du meilleur de moi-même. Comme si j’avais dompté la bête, maîtrisé le chaos. Je peux être très technique, très méthodique, très discipliné, et lui est tout l’inverse. Il n’aime pas trop la technique, ça le gave, mais quand on transcende ça, quand ça prend, je suis le metteur en scène le plus heureux du monde. Il y a un accord tacite entre nous : si j’accepte sa façon d’être, lui en échange me donnera tout."
Le film d’après
"Aujourd’hui, je n’envisage pas de faire un film sans Benoît. Ça arrivera, bien sûr, mais je suis très attaché à cette collaboration. Dans le prochain, Maldoror, un film-enquête sur l’affaire Dutroux, il tiendra un rôle plus secondaire (inspiré par Marc Dutroux lui-même – ndlr). Ce sera un film plus ample qu’Inexorable, en termes de production et de sujet. Plus ample d’abord parce c’est un film d’époque. Recréer les années 90, aujourd’hui, c’est comme recréer les années 50 : il ne reste plus rien, il faut tout refaire ! Je m’attaque à un sujet très délicat dans mon pays, à travers l’enquête d’un jeune gendarme, joué par Anthony Bajon, pris en pleine guerre des polices. Le film parle de l’inertie et des dysfonctionnements qui ont marqué cette terrible affaire. De France, on a tendance à penser l’affaire Dutroux était un fait divers, mais en réalité, c’était plus que ça : une vraie affaire d’Etat. J’ai le film en tête depuis quinze ans, c’est un scénario très complexe, que j’ai énormément travaillé et qui est arrivé à maturité. C’est presque le projet d’une vie. Pourquoi Maldoror ? En fait, je m’inspire d’une opération de surveillance qui avait été mise en place par la gendarmerie belge et qui s’appelait l’opération Othello. Je la rebaptise Maldoror, en écho bien sûr à Lautréamont et pour souligner que le film sera une interrogation sur le mal, sur sa nature indicible."
Inexorable, de Fabrice Du Welz, avec Benoît Poelvoorde, Mélanie Doutey, Alba Gaïa Bellugi… Actuellement en salles.
Commentaires