Anouk Aimée Lola
Ciné-Tamaris

La star française qui a joué pour Lelouch, Demy, Fellini et Bellocchio est décédée aujourd'hui à 92 ans.

"C’est moi, c’est Lola". Lola, c’était elle. Anouk Aimée, actrice française dont le nom évoquait instantanément une forme d’élégance énigmatique, était passée à la postérité une première fois, au début des années soixante, en chantant cette chanson, celle de Lola, écrite par Agnès Varda et Michel Legrand, dans le film éponyme de Jacques Demy. Elle y interprétait une entraîneuse de cabaret nantais, en guêpière et bas résille, dans le noir et blanc sensuel du chef opérateur Raoul Coutard, qui magnifiait son regard mélancolique, creusait ses joues pour leur conférer un glamour hollywoodien éternel, une aura vaporeuse à la Marlene Dietrich.

"Après avoir fait rêver la terre entière, maintenant elle va faire rêver les anges", a déclaré sur les réseaux sociaux Claude Lelouch, qui lui offrit son autre rôle sixties mythique, celui de la femme d’Un homme et une femme, en 1966 - son personnage s'appelait Anne Gauthier mais on s'en souvenait surtout comme d'une sorte d'idéal féminin intemporel. Dans ce film aussi, une chanson – et ses onomatopées réinventées en "Cha ba da ba da" - allait accompagner l’entrée de l’actrice (et de son partenaire de jeu Jean-Louis Trintignant) dans la légende du cinéma. Un homme et une femme allait en effet faire le tour du monde, remporter une Palme d’or, un Oscar du meilleur film étranger, et valoir un Golden Globe à Anouk Aimée.

Quand Lelouch engage l'actrice pour tourner dans cette histoire d’amour archétypale, il est encore un réalisateur galérien, malheureux, à deux doigts de jeter l’éponge après trop d’échecs. Mais elle a l’aura d’une grande star de cinéma, acquise d’abord dans le Paris intellectuel des années cinquante, où elle a croisé Jean Genet, Picasso, Prévert, puis en Italie, où elle a rejoint la troupe de Federico Fellini, qui l'a dirigée dans deux chefs-d’œuvre du début des années soixante, La Dolce Vita puis Huit et demi.

Fille de parents eux-mêmes comédiens, née Françoise Dreyfus à Paris le 27 avril 1932, réfugiée en Charente pendant l’Occupation pour échapper aux rafles de Juifs à Paris, la jeune fille s’était lancée très tôt dans la carrière d’actrice, après avoir croisé dans la rue le réalisateur Henri Calef, une connaissance de sa mère, qui lui offrit un rôle dans La Maison sous la mer (1946). Elle a alors 13 ans et conservera la prénom du personnage qu’elle joue dans le film, Anouk. L’année suivante, Jacques Prévert en personne lui offre son nom d’actrice, Aimée – "parce que tout le monde l’aimait", expliquera le poète. L'adolescente et l'écrivain se sont rencontrés sur le tournage d’un film de Marcel Carné, La Fleur de l’âge, d’après l’histoire vraie d’une révolte dans un bagne d’enfants, resté inachevé. Suivront dans les années 50 des films signés Julien Duvivier (Pot-Bouille), Jacques Becker (Montparnasse 19, face à Gérard Philipe) et quelques rencontres avec les jeunes cinéastes de la Nouvelle Vague, ou assimilés – Alexandre Astruc pour Les Mauvaises Rencontres, Jean-Pierre Mocky pour Les Dragueurs.

Après le triomphe international d’Un homme et une femme, Anouk Aimée tournera avec des cinéastes américains (Le Rendez-vous de Sidney Lumet, Justine de George Cukor) et retrouvera Jacques Demy à Los Angeles pour Model Shop, vraie-fausse suite de Lola, film d’errance, de vague-à-l'âme et de bagnoles qui inspirera cinquante ans après le Tarantino de Once upon a time… in Hollywood. Puis l’actrice s'éclipsera pendant la majeure partie des années 70, décennie durant laquelle elle semble se consacrer surtout à son mariage avec l’acteur Albert Finney – son troisième époux, après le réalisateur grec Nico Papatakis et le musicien Pierre Barouh, rencontré sur le tournage d’Un homme et une femme.

Les plus belles années d'une vie
Metropolitan Film Export

En 1980, c’est l’heure du grand retour au cinéma, via le festival de Cannes, où elle reçoit le prix d’interprétation féminine pour Le saut dans le vide, prix partagé avec son partenaire du film, Michel Piccoli – les deux comédiens jouent une sœur et un frère aux relations semi-incestueuses, au bord de la folie. Son dernier film en date, Les Plus Belles Années d’une vie, en 2019, la voyait renouer avec Claude Lelouch, à qui elle était toujours restée fidèle (Si c’était à refaire, Viva la vie…) et reprendre, face à Jean-Louis Trintignant, le rôle mythique d’Un homme et une femme  - toujours magnifique, mystérieuse, inaccessible, invitant à revoir ses films pour tenter, encore une fois, de déchiffrer l’énigme qu’elle semblait emporter avec elle d’un rôle à l’autre.