Rencontre avec le passionnant réalisateur de Old Boy et Mademoiselle.
Mademoiselle sera diffusé ce soir sur Arte. Nous avions rencontré son réalisateur à sa sortie, en novembre 2016.
Aux murs de la chambre du Grand Hôtel Amour où nous rencontrons Park Chan-wook sont suspendues des peintures japonaises (très) pornographiques : lorsque le cinéaste entre, son regard est immédiatement accroché par les illustrations salaces, volées en 1945 au Japon par des soldats américains comme l'indique un certificat de douane. L'ambiance est presque trop idéale pour interviewer le réalisateur de Mademoiselle, magistral mélodrame romanesque et sadien situé en Corée sous occupation japonaise dans les années 30. Mais on n'a pas vraiment parlé sexe : Park Chan-wook nous a surtout parlé de mouvements de caméra, de style, du plan-séquence d'Old Boy et de Nicolas Roeg.
Quand j'ai vu Mademoiselle, j'étais assis à côté d'un jeune homme qui se cachait les yeux en soupirant à chaque scène de sexe ou de violence...
Je tombe des nues ! C'est la première fois qu'on me rapporte ce genre de réactions. Je me demande s'il n'était pas gay. La vision des corps féminins nus l'a peut-être dérangé. Aux Etats-Unis, j'ai parlé du film avec un auteur gay qui m'a dit que les scènes de sexe entre femmes devraient le laisser de marbre, mais qu'en voyant Mademoiselle, il a été excité pour la première fois... C'est un motif de fierté pour moi ! (rires) Mais la réaction de votre spectateur m'intrigue vraiment beaucoup. Il n'y a pas de scène de viol, par exemple...
L'espace de la maison joue un rôle très important dans le film. Avez-vous conçu vos mouvements de caméra en fonction de ce décor, ou bien le décor a-t-il été conçu pour accueillir ces mouvements ?
On me dit souvent que je suis un styliste... Je le prends un peu mal. C'est seulement pour me dire que mes films sont jolis. La précision du mouvement est évidemment une priorité. Je vais un peu théoriser là-dessus : le mouvement de caméra -mobile ou immobile, même ceci est un mouvement- doit transmettre une émotion. Il n'y a pas seulement un type de mouvement, mais aussi une vitesse et une distance de déplacement. En amont, il y a un travail très minutieux. Mon bureau est un QG que je partgage avec le directeur de la photographie et l'auteur du story-board, nous travaillons chaque séquence ensemble. La chef décoratrice se trouve dans la pièce voisine et vient aussi nous voir en permanence. Par exemple, elle est venue nous voir avec un dessin de la bibilothèque, le directeur de la photo et moi, on peut imaginer un mouvement de caméra à partir de ce plan. Quand le chef op suggère un certain angle, le dessin peut encore être modifié... C'est donc le décor qui s'adapte à la caméra.
Pourquoi n'aimez-vous pas ce mot de "styliste" ?
Cette expression cause un malentendu. Je crois que quand on dit d'un réalisateur qu'il fait des films "stylisés", que c'est un "styliste", c'est qu'il répète la même chose. Qu'il ne met plein la vue pour le plaisir. Comme si le cinéma devenait un prétexte pour la décoration. C'est très éloigné de l'idée que je me fais du mot style. La priorité pour chaque scène est de trouver une expression juste. Le contenu et la forme ne doivent jamais être séparés. Il ne s'agit pas de faire bouger la caméra juste pour donner du rythme. Le mouvement doit faire passer une idée. C'est ça le style.
Comment le film a-t-il été reçu en Corée ?
Le film a fini dixième des plus gros succès de l'histoire du cinéma coréen dans la catégorie "interdit aux mineurs". J'en suis très fier. Il a rencontré un très gros succès auprès des femmes. Et ça a provoqué un phénomène très inattendu : certains spectateurs sont allés voir Mademoiselle dix ou même vingt fois. Des sites de fans ont été créés sur internet où ils dissèquent chaque scène...
Notre critique de Mademoiselle, thriller rutilant sur fond de mélodrame sadien
Comment expliquez-vous ce phénomène ?
C'est toujours jouissif de voir de belles nanas, bien habillées, qui évoluent dans de jolis décors. (rires) Le film peut aussi être vu plusieurs fois, chaque fois on y découvre quelque chose de neuf. Une autre catégorie de fans apprenait par cœur les dialogues. Ils n'arrêtaient pas de m'écrire pour que je publie le scénario. On l'a fait, et le scénario a été classé dans les best-sellers. La musique aussi a été un énorme succès. Je peux multiplier les anecdotes mais en fait, je ne m'explique pas trop ce succès transversal.
Que retenez-vous de votre expérience américaine avec Stoker ?
Deux choses : d'abord, le staff technique et les acteurs travaillent de la même manière, quels que soient la langue et le pays. J'avais en plus un très bon traducteur, mon chef op Chung-hoon Chung. La deuxième chose, et la principale différence avec la Corée, c'est la toute-puissance des studios, qui n'arrêtent pas de vous donner leur avis. C'est impossible à ignorer. Mais dans le cas de Stoker, j'ai eu de la chance car les executives étaient guidés par une vraie foi dans le film. Fox Searchlight était un bon studio, qui n'a pas cherché à en faire un film plus commercial.
Avez-vous le remake américain d'Old Boy ?
Non. J'étais trop occupé au moment de sa sortie, mais j'aimerais bien le voir.
Est-ce que vous avez parlé avec Spike Lee de ce projet ?
J'ai laissé ce projet se développer de son côté, je n'étais pas impliqué. Spike Lee m'a gentiment invité à le voir travailler au montage un jour où j'étais de passage à New York. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de le voir...
En parlant de style, comment voyez-vous désormais le passage du couloir dans Old Boy ? Un sommet ou simplement une scène comme les autres, quelque chose qui est derrière vous ?
Je pense que j'ai fait d'autres scènes tout aussi réussies. Dans Thirst, quand le prêtre vampirise l'héroïne, ou dans Mademoiselle, quand Hideko la servante essaie de faire boire du somnifère au Comte...
Mais le challenge technique n'est évidemment pas le même.
La scène du couloir n'a pas demandé de difficulté technique majeure, quand j'y repense. C'est surtout Choi Min-ski (le héros de Old Boy) qui était très fatigué.
Et pas le réalisateur ?
Non, j'ai fait semblant d'être épuisé pour me mettre à son niveau. (rires) Nous avons fait dix prises, sans compter les répétitions. Et des mois d'entraînement avec les cascadeurs, dans une salle spécialement conçue... Choi Min-sik avait appris la scène par cœur, tous ses mouvements étaient devenus des automatismes. Mon job était plutôt facile, dès qu'on s'est mis d'accord sur le plan-séquence. Je me suis contenté de filmer en une seule prise.
Quelle différence essentielle de mise en scène voyez-vous entre Old Boy et Mademoiselle ?
Dans Old Boy, le mouvement de la caméra est osé, agressif, dynamique, carré, brutal. Masculin, pour ainsi dire. Dans Mademoiselle, c'est élégant, féminin, tout en courbes. L'idée forte était de faire une danse amoureuse entre les deux personnages.
Première fête ses 40 ans en novembre. Quel souvenir de cinéma gardez-vous de ces quarante dernières années ?
Ma rencontre avec Nicolas Roeg. Il m'avait invité chez lui en Angleterre, et il est venu voir Stoker en avant-première. Son film Ne vous retournez pas -bon, il est sorti en 1973- est l'une de mes deux influences majeures sur moi en tant que cinéaste. Si le film Sueurs froides, qui m'a donné envie de devenir cinéaste, est un rêve diurne, Ne vous retournez pas est un cauchemar nocturne.
Bande-annonce de Mademoiselle :
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