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Gaspar Noé, les Wachowski, Sam Mendes, Emi Kusturica, Mel Gibson... L'actrice évoque ses plus belles collaborations.

Derrière l’égérie publicitaire, l’image de la diva italienne (ré)incarnée et l’icône sexuelle mondialisée, on oublie parfois Monica Bellucci l’actrice hors-norme, collectionneuse d’un paquet d’auteurs cultes internationaux, de Gaspar Noé à Sam Mendes, en passant par les Wachowski et Emir Kusturica, qui vient de la diriger dans On the Milky Road.

5 choses que vous ne savez pas sur Monica Bellucci

1993 : DRACULA de Francis Ford Coppola
Alors mannequin, Monica Bellucci a fait ses débuts à l’écran dans un téléfilm de Dino Risi en 1990, mais il n’est pas vraiment question pour elle de faire carrière au cinéma. Jusqu’à sa rencontre avec l’auteur du Parrain.
"Roman Coppola m’avait vue dans un magazine et avait parlé de moi à son père. Je me trouvais à New York pour un shooting quand Francis m’a appelée pour me donner rendez-vous à Los Angeles. Nous avons dîné ensemble, il m’a parlé du film, de cette fiancée de Dracula qu’il voulait que je joue… Non seulement j’ai accepté mais c’est en discutant avec cet immense cinéaste que j’ai pris conscience que je voulais faire ce métier. Un vrai déclic. Pour l’anecdote, j’ai croisé Roman l’an dernier à la cérémonie des Golden Globes où Mozart in the Jungle, série dans laquelle je joue, concourait et dont il est l’un des producteurs. On ne s’était pas revus depuis Dracula. Il m’a prise dans ses bras et m’a dit en rigolant que je lui devais tout. Ce qui n’est pas tout à fait faux…"

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1997 : DOBERMANN, de Jan Kounen
Depuis un an, Monica Bellucci et Vincent Cassel sont inséparables dans la vie comme à l’écran. Après L’Appartement, de Gilles Mimouni, les voilà dans le premier long explosif de Jan Kounen où Monica interprète une gitane muette ultra sexy.
"J’ai dû convaincre Jan Kounen que je n’étais pas trop tendre pour le rôle. À l’époque, Jan était l’enfant terrible du cinéma français. Il s’était fait remarquer avec ses courts métrages complètement fous, Gisèle Kérosène, Vibroboy, Le Dernier Chaperon rouge, très influencés par la bande dessinée. Il se trouve que la BD a eu une importance considérable dans ma vie : c’est grâce aux albums de mon petit voisin que j’ai appris à lire. Ma sensibilité artistique s’est véritablement nourrie de ces lectures enfantines. Vous remarquerez que j’ai tourné avec beaucoup de réalisateurs aux univers très graphiques : Jan, Christophe Gans, Alain Chabat, les Wachowski, Michael Davis (réalisateur de Shoot Em Up – Que la partie commence), Terry Gilliam… J’adore les mises en scène qui passent plus par les corps que par les mots. Pour moi, c’est l’essence du cinéma. Je me souviens de Robin Williams dans Will Hunting. Vers la fin du film, on ne le voit plus que de dos et c’est merveilleux. Ça m’avait coupé le souffle."

2001 : LE PACTE DES LOUPS, de Christophe Gans
Avec cette variation pop autour du mythe de la Bête du Gévaudan,  Monica Bellucci confirmait son statut d’égérie d’une génération de cinéastes biberonnés au cinéma de genre et fascinés par sa plastique.
"On a fait ce film sans savoir ce que cela donnerait. C’était tellement nouveau… Je n’avais pas beaucoup de scènes mais cette femme aux mille visages, espionne du Pape, a marqué les spectateurs. Elle a même eu droit à son affiche personnalisée… La taille d’un rôle ne m’importe pas. Je peux tourner quatre mois ou un jour du moment que le projet ou le réalisateur le méritent. Un rôle n’est pas une question de minutage. Même chose pour la nudité : ce n’est pas un problème quand elle est justifiée. Quand je vois Julianne Moore repasser nue dans Short Cuts, je ne pense pas à son corps mais à ce que ça dit de son personnage à cet instant précis. J’ai conscience que les hommes me font jouer des femmes très maternelles qu’ils cherchent à sublimer. Leur regard ne me dérange pas."

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2001 : MALENA, de Giuseppe Tornatore
Sur le papier, ce petit film de Giuseppe Tornatore, portrait d’une veuve dans l’Italie en guerre, n’était pas destiné à connaître un grand destin. Il a pourtant été décisif dans la carrière de Monica Bellucci.

"Les “petits” films que j’ai faits ont curieusement été de meilleurs tremplins que les autres. Malena et L’Appartement en font partie. Le premier était coproduit par Miramax. Les frères Weinstein l’ont donc poussé à mort, jusqu’aux Golden Globes. Je peux vous affirmer que c’est grâce à cette visibilité que j’ai pu faire Les Larmes du soleil, les Matrix, La Passion du Christ et bien d’autres. L’Appartement a également été décisif. Il a remporté un Bafta (les César britanniques) et a attiré l’attention de Stephen Hopkins sur moi. C’est lui qui m’a proposé mon premier grand rôle à Hollywood, dans Suspicion (nouvelle adaptation du roman qui avait inspiré “Garde à vue”), un film grâce auquel j’ai pu monter pour la première fois les marches à Cannes, où il était présenté en séance de minuit."

2002 : IRRÉVERSIBLE, de Gaspar Noé
Quand on évoque Monica Bellucci, on pense instantanément à Irréversible, parangon du choc cannois qui lui a offert son rôle le plus mémorable et LA scène des années 2000.
"C’est drôle de parler de ce film. (Elle prend son téléphone qu’elle farfouille quelques secondes sans un mot.) Je viens de revoir Gaspar à Cannes. Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas parlé. Il m’a envoyé ce texto magnifique, quelques minutes avant le palmarès. Je vous le lis. “C’était trop cool de te voir, même brièvement, aussi rayonnante à Cannes. J’espère qu’on se reverra bientôt. En attendant, très bonne cérémonie pour ce soir. Le film 120 battements par minute m’a bien secoué, j’espère qu’il aura un Grand Prix ou une Palme d’or, et ses comédiens aussi. Hier après-midi, j’ai revu Irréversible en 35mm à la Cinémathèque. C’était la première fois depuis la projection cannoise – en 2002. Après quinze ans, on regarde les films autrement. J’ai eu du mal à croire qu’on ait pu le faire aussi vite et aussi librement. La séquence du viol est effectivement longue, insoutenable. Merci encore pour ce braquage de banque qu’on a pu faire ensemble. Ton geste, ta force et ta confiance étaient grandioses. Très grande bise. Gaspar.”(Un silence émouvant s’installe.) La beauté d’un film, c’est aussi ça… des rencontres avec de grands talents, des moments forts partagés."

2003 : MATRIX RELOADED / MATRIX REVOLUTIONS, de Wachowski
Star planétaire, Monica Bellucci l’est véritablement devenue en incarnant la trouble Perséphone dans les deux derniers volets de la trilogie SF des Wachowski.
"Comme je le disais précédemment, les Wachowski m’ont appelée après avoir vu Malena. J’ai passé des essais et ils m’ont prise. Simple as that… C’était mon rêve de tourner avec eux. Quand j’ai découvert Matrix, j’avais envie de faire des films comme ça toute ma vie ! Leur univers est tellement fort, tellement précis, comme celui de Gaspar. Leur féminité les rend-elles différents ? Je n’ai pas à commenter leur changement de sexe, je peux juste les juger en tant que réalisateurs et elles sont incroyables (sic). C’est marrant : j’ai joué dans beaucoup de films d’action sans concrètement être dans l’action. Du coup, sur les Matrix, je devais patiemment attendre mon tour le temps que les scènes en question soient tournées."

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2005 - LA PASSION DU CHRIST, de Mel Gibson
Après Kounen, Noé et les Wachowski, Monica Bellucci collabore avec Mel Gibson, autre esthète possédé et controversé. Aurait-elle une inclination pour les cinéastes dont la personnalité suscite la polémique ?
"C’est un hasard complet. Je réponds à leurs demandes, pas l’inverse. La question est donc plutôt de savoir pourquoi je les attire. Il faudrait les psychanalyser ! Quand on se penche sur mon parcours, j’admets que c’est atypique. Ce tournage fut assez éprouvant et étalé sur cinq mois en raison de scènes très dures à régler où Mel tenait à mêler les moments d’intimité aux mouvements de foule. C’était assez épique. Il a également fallu apprendre l’araméen… En vous en parlant, je me rends compte que je joue souvent dans une langue qui n’est pas la mienne. En anglais et en français principalement mais aussi en farsi pour La Saison des rhinocéros (de Bahman Ghobadi), en serbe pour On the Milky Road, en langue des signes pour Dobermann…"

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2015 : 007 SPECTRE, de Sam Mendes
Bellucci aura été la Bond Girl la plus âgée de la saga. "Une femme de mon âge" avait élégamment corrigé Daniel Craig comme pour mieux souligner l’inégalité du traitement entre les hommes et les femmes à l’écran.
"J’ai adoré cette idée d’une Bond Girl adulte dans les bras de 007, une “James Bond lady”. (Elle sourit fièrement.) Sam Mendes sentait que ça allait être révolutionnaire. Il tenait à envoyer un message à Hollywood : une femme peut être belle et séduisante pour autre chose que son physique juvénile. J’ai le sentiment qu’il a été entendu. Je vois bien, de mon côté, dans les propositions que je reçois, que cette vision des actrices est en train de changer. Je suis fière d’en avoir été d’une certaine façon à l’origine. Si j’avais été sollicitée avant ? Oui, mais ce n’était pas le bon moment pour moi… N’insistez pas, je ne vous dirais pas de quel film il s’agissait."

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2017 : ON THE MILKY ROAD, d’Emir Kusturica 
Hormis un segment dans un film collectif, on était sans nouvelles d’Emir Kusturica depuis son documentaire sur Maradona en 2008. Dans On the Milky Road, conte de fées sur fond de guerre des Balkans, il offre à Monica Bellucci un rôle très physique.
"Depuis Le Temps des gitans, j’ai un immense respect pour Kusturica qui est un cinéaste à part. Quand il m’a proposé ce film, j’ai saisi l’opportunité sans savoir dans quoi je m’embarquais… Pour Emir, faire un film représente une grande souffrance, tout est compliqué. Il m’avait prévenu. Le tournage s’est ainsi étalé  pendant quatre étés sur une terre de beauté et de violence. Je ne savais pas que ça durerait aussi longtemps, sincèrement. Ça n’a pas toujours été facile, mais d’une richesse incroyable. J’ai notamment dépassé certaines peurs physiques, comme le fait de me jeter dans l’eau en sautant de très haut. En définitive, j’ai approché ce projet d’un point de vue humain et artistique, jamais politique. (On l’interroge sur la non-sélection du film à Cannes en 2016, à l’origine d’un clash entre Kusturica et Thierry Frémaux, mais elle coupe court : “Le film n’était pas prêt, c’était compliqué.”) On the Milky Road vient de me valoir le Ruban d’argent, prix remis par les critiques italiens à la meilleure actrice européenne de l’année. J’en suis très fière."

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