Éléments de réponses avec les créateurs du long-métrage.
Spider-Man : New Generation vient de remporter l’Oscar du meilleur film d’animation. Mais comment l’esprit du Tisseur a-t-il été si remarquablement transposé sur grand écran ? On est allé poser la question aux réalisateurs et producteurs.
Article publié à l’origine dans le numéro de Première daté de décembre 2018.
Depuis seize ans et six films (bientôt sept), Spider-Man continue de vivre sa vie un peu à l’écart du grand univers Marvel et semble peiner à imposer sur le grand écran son statut d’icône de la pop culture. Comme si, malgré des succès publics indéniables, le Tisseur restait encore et toujours un héros de papier dans l’imaginaire collectif - là où Superman, Batman, Iron Man ou Wolverine sont devenus de vraies stars de cinéma. Comme pour confirmer un peu plus cette impression, la meilleure transposition de Peter Parker sur écran récente est... un jeu vidéo, Marvel’s Spider-Man. On y prend le contrôle du Monte-en-l’air dans un grand ride d’aventures nostalgiques en s’appropriant le costume manette en main et en entoilant sans restrictions des rues de New York reproduites de façon photoréaliste. On pensait le cinéma incapable de rivaliser sur ce terrain de l’intime et de l’émotion quasi proustienne, jusqu’à ce qu’on découvre les premières images de Spider-Man : New Generation. Ce film animé est une révolution à plus d’un titre. D’abord, il s’agit du premier film sur Miles Morales, le personnage qui a remplacé Peter Parker depuis quelques années dans les comics, un ado de 13 ans moitié afro-américain, moitié portoricain. Ensuite, ce New Generation repense la grammaire visuelle de Spider-Man et multiplie les incarnations du super-héros au sein d’un « Spider-Verse », une multitude d’univers parallèles qui menacent de s’effondrer sur eux-mêmes et de détruire la réalité si les Spider-Men ne font pas alliance. L’occasion était trop belle de rassembler tous les créateurs de cette petite bombe animée pour parler de l’ADN du super-héros, de la manière dont on la transpose sur grand écran et de notre rapport à Spidey. Rencontre avec les réalisateurs Rodney Rothman, Bob Persichetti et Peter Ramsey, ainsi que les producteurs Phil Lord et Chris Miller.
RODNEY ROTHMAN (co-réalisateur et scénariste) : C’est un personnage de comics, c’est vrai, mais je crois quand même que les films ont offert une incarnation iconique au personnage de Spidey et des images gravées dans la pop culture. Quand on dit Spider-Man, on pense immédiatement à des scènes marquantes qui ont transposé la légende sur grand écran, comme quand il arrête le métro avec sa toile dans Spider-Man 2, non ?
BOB PERSICHETTI (co-réalisateur) : C’est vrai. Et pour toute une génération, Spider-Man n’existe qu’à travers le cinéma. Plein de mômes n’ont jamais lu un seul comic book et le personnage est pourtant aussi populaire à leurs yeux.
PHIL LORD (producteur et scénariste) : Après, on pourrait discuter longtemps de l’impact des films sur la pop culture. Et je ne serais pas vraiment capable de le définir par rapport à celui des comics. Avec Chris [Miller], nous sommes fans des longs métrages, et c’est pour ça qu’on y fait référence dans Spider-Man : New Generation. Mais il nous a fallu revenir aux comics et à ce personnage que Stan Lee et Steve Ditko ont inventé il y a bien longtemps. Un super-héros profondément humain, trop jeune, craintif. Et qui ne se prend jamais au sérieux. C’était une vision hyper irrévérencieuse du super-héros et on voulait l’exprimer de façon moderne, tout en s’éloignant le plus possible de ce qui avait été fait jusque-là.
RODNEY ROTHMAN : La grande difficulté à laquelle on se heurte en adaptant Spider-Man est l’énormité de ce qu’il représente, une sorte de mythe moderne qui a fait le tour du monde et résonné auprès de millions de fans de façon très personnelle. À l’évidence, les comics ont eu un plus grand impact parce qu’ils sont à l’origine de tout.
PHIL LORD : Avec ce genre de franchise monstre, on a la responsabilité de représenter à l’écran ce que les gens aiment depuis des décennies, tout en apportant notre personnalité et notre vision pour que le résultat soit authentique. C’est un équilibre compliqué à trouver. La seule façon de faire le meilleur boulot possible, c’est d’être très sincère et d’aimer le personnage. Quand on fait La Grande Aventure Lego par exemple, on aime ce que Lego représente, sinon rien de bon n’en sort. Pareil pour Solo : A Star Wars Story. Et quand tu as du bol, ça marche. (Rires.)
PETER RAMSEY (co-réalisateur) : Il y a aussi la question de l’humour et de la dramaturgie qui fait entièrement partie du personnage. Si tu te loupes là-dessus, Spider-Man n’est plus vraiment Spider-Man et le public ne s’y retrouve pas. Encore une fois, nous sommes revenus aux comics pour résoudre l’équation. La BD a toujours été proche de l’opéra et du mélodrame, il y a de la tragédie au milieu de l’action et de l’humour, et inversement. C’est capital.
CHRIS MILLER (producteur) : Le masque de Spider-Man recouvre l’intégralité de son visage, c’est en partie ce qui permet de se projeter si facilement en lui. Quand il s’accroche aux immeubles avec ses toiles dans le comics, on se met à sa place, c’est un peu nous qui virevoltons dans New York. Le fait même qu’il soit incarné par un acteur de chair et d’os peut brouiller ce transfert. C’est pour ça que le nouveau jeu vidéo sur PS4 fonctionne aussi bien, on EST Spider-Man puisqu’on le contrôle.
RODNEY ROTHMAN : Si Marvel Studios a pu faire d’Iron Man un personnage purement cinématographique, c’est aussi parce qu’il était moins connu que Spidey. Aujourd’hui, Iron Man est Robert Downey Jr. pour le public. Sauf que Tony Stark est cool même sans l’armure, là où Peter Parker a un côté gentil loser. Mais quand il met le costume, tout est inversé. Je pense que ça complique notre capacité à le « fixer » sur un visage de comédien, beaucoup plus que lorsqu’il est dessiné.
PHIL LORD : Et les dessinateurs changent souvent, on est habitués à ce qu’il n’ait pas toujours la même tête.
RODNEY ROTHMAN : Et contrairement à d’autres super-héros, Spider-Man fonctionne sur l’identification avec ses lecteurs. Comme nous tous, il a des failles, des problèmes du « vrai » monde.
PHIL LORD : Il combat des monstres qui représentent ses propres dilemmes. C’est toujours le père de sa copine ou son professeur préféré... Des métaphores de ses problèmes personnels. Si l’histoire résonne autant, c’est que ce sont des choses qui parlent profondément aux jeunes : quel genre d’adulte vais-je devenir? Comment m’intégrer ? Et si j’avais l’opportunité d’être un super-héros, pourrais-je assumer d’endosser le costume? Ça fait travailler l’imaginaire et c’est ce qui fait que tout le monde a un point de vue sur le personnage. En adaptant, tu figes les choses, d’une certaine façon.
RODNEY ROTHMAN : Le comic book est une expérience très personnelle. Ton cerveau invente des choses entre les cases, il nourrit lui-même l’histoire. Et c’est compliqué de faire passer ça en live action sans perdre le côté épique du personnage. Ou du moins sans créer une dissonance entre les scènes d’action et celles plus intimes.
BOB PERSICHETTI : En animation, il n’y a pas de différence entre la performance du personnage quand il est dans l’émotion ou quand il est dans l’action. On ne voit pas les coutures. En live, même si les effets spéciaux sont très bien faits et que le spectateur ne les remarque pas, il y a toujours un décalage entre le moment où Spider-Man sort d’un immeuble et celui où il s’accroche aux murs.
PHIL LORD : Si ça ne se voit pas dans notre film, c’est aussi parce que des tas de gens ont bossé dessus d’arrache-pied, image par image. On ressent la main humaine derrière chaque séquence, comme dans les comics. Un truc artisanal que les films en live action perdent forcément un peu.
PETER RAMSEY : Avec New Generation, nous sommes allés à 100 % vers l’esthétique et le langage des comics, de la narration au rendu des images. On voulait recréer au mieux le sentiment qu’on peut avoir en lisant la BD. On a même utilisé des erreurs d’impression des comics de l’époque (qui rendaient les images légèrement floues) pour remplacer les conventions cinématographiques comme la profondeur de champ et le flou cinétique.
PHIL LORD : On se sert aussi de cartouches qui indiquent des dialogues intérieurs et une partie la narration. Impossible en live.
RODNEY ROTHMAN : Les comics sont parfois très expérimentaux dans la façon dont ils représentent visuellement des idées. Les films en live action, à moins de partir vers quelque chose de très abstrait, ne peuvent se le permettre. On perd forcément de l’esprit des comics, parce que ça doit sembler a minima un peu réaliste. En animation, on dit que les choses ne doivent pas forcément avoir l’air réaliste mais qu’on doit ressentir qu’elles sont vraies. On peut se permettre d’être bien plus expressifs, on a le contrôle absolu de l’image.
BOB PERSICHETTI : Dès le début du projet, nous nous sommes demandé ce qui justifiait de faire un autre film Spider-Man. Et la réponse était évidente : Miles Morales, une version géniale du personnage née en 2011 sous la plume du scénariste Brian Michael Bendis. C’est le Spider-Man de notre époque. Quand on marche dans les rues de New York, les gens ont des couleurs de peau et des parcours très différents. Il était temps de l’exprimer de façon cinématographique.
PETER RAMSEY : Un de nos thèmes est que n’importe qui peut être derrière le masque, que l’esprit de Spider-Man dépasse l’individu. Peu importent les pouvoirs, ce qui compte c’est la personne que vous êtes.
CHRIS MILLER : L’excitation autour du film vient d’un style visuel révolutionnaire, qui en fait un film de comic book plus littéral que tous les autres. On avait l’opportunité de créer quelque chose de vraiment nouveau.
RODNEY ROTHMAN : Ça tient aussi au scénario, qui s’intéresse à des univers parallèles. Cela permet de multiplier les versions de Spider-Man, de faire un clin d’œil à des décennies d’histoires parues dans les comics, tout en installant Miles comme le héros d’un pur récit d’initiation, où il est entouré de gens qui ont vécu la même chose que lui. La beauté du truc, c’est qu’il vit dans un univers où Peter Parker existe également et lui sert de mentor.
PHIL LORD : Personne n’a encore vu Peter Parker dans ce rôle au cinéma.
PETER RAMSEY :C’est une façon de transmettre l’idée qui se cache derrière le personnage de façon plus claire. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », ça parle à tout le monde. Sauf que raconter cette histoire à travers Miles Morales et non plus Peter Parker permet de mieux comprendre Spider-Man.
BOB PERSICHETTI : Il devient un concept autant qu’un personnage. On a utilisé ça comme un outil de narration afin de renouveler un mythe très familier.
PHIL LORD : Sans pour autant l’abîmer. Il fallait garder l’essentiel de ce que Spider-Man transmet aux jeunes : même si vous ne vous sentez pas intégrés, vous avez ce qu’il faut pour être un héros, vos choix moraux sont importants.
CHRIS MILLER : On est tous submergés par la vie. Mais si on a l’opportunité d’aider des gens, on doit le faire. C’est vrai pour toutes les incarnations de Spider-Man. En discutant des thèmes qu’on voulait explorer, on s’est questionnés sur ce qu’est réellement Spider-Man, ce que ses différentes versions ont en commun. Ça nous a permis de capturer son essence.
PETER RAMSEY : Il y a quelque chose de profondément lié à l’adolescence dans le mythe de Spider-Man. Homecoming a refait de lui un lycéen sur grand écran et je pense que c’était la voie à suivre. Il faut que ce soit une photo de l’adolescence de son époque. Du moins d’une certaine adolescence.
BOB PERSICHETTI : Nous sommes trois réalisateurs aux origines très diverses, avec des idées assez précises de ce que représente le personnage pour nous, que ce soit dans les comics ou sur le grand écran. C’était très précieux pour un projet avec autant de Spider-Men. Ça nous a aidés à trouver certaines lignes directrices et à pousser l’histoire plus loin... Je crois que le cœur du sujet est qu’un ado solitaire et différent peut réaliser que bien d’autres sont dans le même cas que lui, même s’ils ne lui ressemblent pas physiquement. Et on l’a vécu tous les trois, ça ! C’était l’art qui imitait la vie et la vie qui imitait l’art. (Rires.)
PHIL LORD : Quand on a testé New Generation, on a demandé au panel de spectateurs quelle en était la cible. Et ils nous ont répondu : « Tout le monde. » Les grands pensent que le film a été fait pour eux, les gamins aussi. Alors que les films en live action visaient davantage un public ado ou adulte. Je n’ai pas d’explication sur l’universalité de notre projet. On voulait juste faire un truc bien, qui nous rende heureux! Et on est sûrement restés assez enfants dans nos têtes pour réussir à toucher plusieurs générations. C’est peut-être ça le secret, finalement : le regarder avec des yeux de mômes.
Commentaires