En 2012, David Fincher racontait son adaptation de Millenium dans Première. Extrait.
Quelques jours avant sa sortie au cinéma, le réalisateur revient sur la genèse de Millenium et la manière dont il s’est emparé du texte de Stieg Larsson. Le dernier numéro de Première propose Daniel Craig ou Vanessa Paradis en couverture, le magazine recueillant un entretien de l'actrice et un dossier de douze pages sur Millenium. Une longue interview de David Fincher est au coeur de ce dernier, dont voici quelques extraits. Pour la suite, rendez-vous dans les kiosques !
Millenium : Un film de Fincher, même mineur, c’est de la haute couture filmique, supérieure à 99% de la production contemporaineDavid Fincher : J’ai entendu parler du projet pour la première fois il y a des années, avant même que le premier Millénium suédois ne soit tourné. Ma productrice sur L’Étrange Histoire de Benjamin Button, que j’adore, m’a donné le roman de Stieg Larsson en me conseillant de le lire. Je lui ai demandé de m’en parler un peu et elle m’a décrit en vitesse l’histoire, le personnage de Lisbeth, l’ambiance générale... Ce à quoi j’ai répondu : « Tu plaisantes ? Une lesbienne asociale, un viol, une condamnation de la misogynie ? » J’ai tout de suite lâché l’affaire, je n’ai même pas lu le bouquin. On venait de passer six ans à essayer de monter Benjamin Button et je ne me sentais pas de m’engager dans une autre bataille impossible pour faire exister ce film. Quelques mois plus tard, lorsque le livre est devenu un phénomène culturel planétaire, je m’y suis à nouveau intéressé. Je n’aurais jamais cru que ce matériau puisse attirer un public aussi large, et encore moins qu’il suscite des avances de la part d’un grand studio hollywoodien. Amy Pascal et Michael Lynton, les dirigeants de Sony, ont demandé à me voir avec l’idée de créer une franchise pour adultes à partir du bouquin.
Jeff Cronenweth : "David Fincher sait que sans risque, on ne peut pas repousser les limites"Première : Maintenant que vous vous êtes fait une place hautement respectable au sein de l’institution hollywoodienne, ce film peut-il faire ressurgir le David Fincher satanique et dangereusement irresponsable que la critique haïssait tellement il y a quinze ans ?
Je n’ai pas été particulièrement surpris qu’Amy et Michael viennent me voir avec Millénium sous le bras. Un tueur, un donjon, des actes répréhensibles, une scène de godemiché ? « Appelez-moi Fincher ! » Mais ce qui m’intéressait il y a vingt ans n’est pas ce qui m’intéresse aujourd’hui, et ce n’est définitivement pas ça qui m’a interpellé dans Millénium. J’avais plutôt envie de connaître ces deux personnages, de savoir où ils en sont dans leur vie quand ils entrent en contact l’un avec l’autre, comment s’organise leur relation dysfonctionnelle... Le film est pavé de relations bizarres entre de jeunes femmes et des hommes plus âgés. Dans le bouquin, aucune distinction n’est faite entre la domination exercée par Bjurman (le contrôleur judiciaire de Lisbeth, qui la viole) et celle d’un serial killer. Dans le film, au contraire, je voulais absolument qu’elle soit plus séditieuse, qu’elle montre la façon dont une personne de pouvoir peut sexuellement s’approprier une autre personne. Je ne souhaitais surtout pas montrer ça comme une agression de plus. Psychologiquement, le public devait faire la différence entre le violeur et le tueur en série.
Le film est-il complexe techniquement, riche en morceaux de bravoure visuels ?
Pas spécialement, encore qu’il y ait quand même à peu près 900 plans d’effets spéciaux. Mais ils concernent surtout la mise en scène et permettent de donner le sentiment qu’on est bien dans le nord de la Suède, prisonniers de cet endroit recouvert de givre, magnifique et pictural, qui recèle tous les secrets du passé. Le meilleur indicateur de la dureté de cet environnement reste les portes d’entrée des maisons, épaisses de 15 centimètres, grandes comme des immeubles. Ces mêmes portes qui empêchaient les Vikings d’entrer !
Vous avez une expression pour décrire le style visuel du film : « Swedish noir »...
Je ne rigolais qu’à moitié en disant ça. Il existe une riche tradition du récit criminel dans les régions scandinaves, de Peter Høeg à la série Les Enquêtes de l’inspecteur Wallander, et la télévision suédoise ne passe quasiment que des murder mysteries. Ça fait beaucoup de fictions criminelles à la minute pour un pays de 9 millions d’habitants. C’est presque une énigme en soi.
Bande-annonce de Millenium :
David Fincher : "Il y a un twist dans Gone Girl, mais très franchement ce n'est pas ce qui m'intéressait"
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