Ce qu’il faut voir en salles
LE DERNIER DUEL ★★★★★
De Ridley Scott
L’essentiel
Au top de sa maîtrise, le réalisateur livre le récit brutal et splendide d'un fait divers médiéval, qui résonne plus que jamais au présent en encapsulant toute la violence du monde.
Le Dernier duel s'inspire d'une histoire vraie (ou plutôt du récit qu'en a fait l'universitaire Eric Jager dans un bouquin "prêt-à-adapter"), celle du dernier duel judiciaire, encadré par la loi, ayant eu lieu en France ; c'était en décembre 1386, et le chevalier Jean de Carrouges affrontant à mort un écuyer, Jacques Le Gris, le premier accusant le dernier d'avoir violé sa femme Marguerite. Si Jean gagne, Jacques est coupable, et si Jacques gagne, Marguerite sera brûlée vive. Il faudra évidemment attendre la toute fin du film pour assister à ce "dernier duel", tandis que le film adopte une structure en trois chapitres épousant chacun le point de vue d'un des trois protagonistes de l'affaire. Et c'est là que le film devient passionnant.
On commence par l'histoire de Jean -parfaitement incarné par un Matt Damon vieilli et blessé- un guerrier honorable, ombrageux, désargenté, et dépassé par les intrigues des courtisans, qui fait un mariage intéressé pour étendre son domaine et sauver l'honneur de sa famille. Mais après l'histoire de Jacques, et enfin celle de Marguerite, cette image si belle se déconstruit, se décompose devant nos yeux. Les quelques scènes de bataille, d'une brutalité incroyable nous plongent dans la boue et le sang, mettant l'accent sur des mouvements et des manœuvres aussi dignes de Braveheart que de Game of Thrones. Il n'y a rien à reprocher à la technique surpuissante du film et à la puissance de cinéma de la reconstitution de la France de la fin du 14ème siècle, mais Le Dernier duel ouvre ainsi une autre voie pour Scott. Son Dernier duel a beau être classique, c'est un film au présent, dont l'explosion de violence finale n'exorcise rien, ne guérit rien, ne réjouit même pas. Seul reste le pouvoir des hommes. Et un film définitivement immense, qui semble contenir toute la violence du monde.
Sylvestre Picard
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
JULIE (EN 12 CHAPITRES) ★★★★☆
De Joachim Trier
On le savait. Avec Julie (en 12 chapitres), c’est officiel : Joachim Trier est un cinéaste majeur. Après Oslo, 31 aout, présenté à Cannes il y a 10 ans en Un Certain Regard, Julie constitue son œuvre la plus aboutie. A partir d’un collage d'éclats intimes, il signe une grande fresque contemporaine, la radiographie sensible des tremblements collectifs. Julie, l’héroïne, est une jeune femme qui (se) cherche. Un mec, une vocation, un métier, des réponses. D’un lever de soleil sur Oslo à un autre, d’une fête à un rendez-vous à l’hosto, d’une étreinte amoureuse à un dernier baiser, le film colle en 12 moments aux Converse de cette trentenaire insouciante. Elle traverse cette période de la vie où l’avenir peine à dessiner ses possibles. Et, c’est là que ce portrait de femme hébétée devient la chronique de l’époque, dont les titres des chapitres disent bien l'ambition : Julie parle des relations amoureuses à l’ère #Metoo, de la responsabilité de l’art face la société, de la fidélité à soi-même ou de l’engagement écologique.
Ca pourrait être ennuyeux, voire lénifiant et répétitif. C’est au contraire merveilleux, drôle, subtil et touchant. Mais tout cela ne serait rien s’il n’y avait pas quelqu’un pour incarner ce projet. Renate Reinsve, inconnue jusqu’ici, est une Julie phénoménale, qui apporte ce qu’il faut d’aspérité, de spontanéité et de puissance. Elle confère au film son arme absolue : l’extraordinaire authenticité et justesse de son héroïne et de sa quête.
Gaël Golhen
Lire la critique en intégralitéEIFFEL ★★★★☆
De Martin Bourboulon
Quels secrets cache la construction de la Tour Eiffel ? En mêlant faits réels et la part d’invention que permet le cinéma, Martin Bourboulon répond à cette question en parachevant la folle aventure d’une idée de film née il y a plus de 20 ans dans la tête de Caroline Bongrand pour un résultat emballant. Car au lieu de raconter scolairement la construction de ce monument par Gustave Eiffel, il en fait le moteur de ce qui constitue le cœur de son récit. Une histoire d’amour flamboyante, en apparence impossible pour cause de différence de classe sociale mais qui va pousser l’un et l’autre de ses protagonistes à sans cesse repousser les obstacles. Le romanesque est aux commandes de cet Eiffel, la vivacité et le refus d’être écrasé par le côté film d’époque aussi. Tant par la mise en scène enlevée qui épouse la modernité de ses personnages que par l’énergie et l’alchimie qui émanent de leurs épatants interprètes : Romain Duris et Emma Mackey. Du grand cinéma populaire.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
DEBOUT LES FEMMES ! ★★★☆☆
De Gilles Perret et François Ruffin
Qualifié par ses réalisateurs, François Ruffin et Gilles Perret, de « road-movie parlementaire », Debout les femmes ! part à la rencontre de ces travailleuses de l’ombre qui s’occupent au quotidien d’hommes et de femmes à leurs domiciles. On parle des métiers dits « du lien » mais qu’importe la terminologie, ce « métier » n’en est pas vraiment un. Il est plus ici question de « vibration », d’un voyage en solitaire au pays des autres. Alors que la France entrait dans son premier confinement à l’automne 2020, Emmanuel Macron, la mine grave et le ton solennel déclarait : « Il faudra se rappeler que notre pays tient aujourd’hui tout entier sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Dans les faits, c’est la précarité avec des fins de mois qui font mal. Le député insoumis François Ruffin et son collègue « marcheur » Bruno Bonnell, partent main dans la main sur les routes de France pour une mission parlementaire sur le sujet. Ruffin et Bonnell, deux hommes, deux visions à priori opposé du monde. Mais comme dans un mélo hollywoodien, les antagonismes finissent par se diluer dans les cœurs des uns et des autres. Et tant pis si Debout les femmes ! est avant tout un documentaire social bien français. Les lignes sont faites pour être bougées.
Thomas Baurez
FREDA ★★★☆☆
De Gessica Généus
C’est un film qui a été rattrapé par l’actualité lors de sa présentation dans la section Un Certain Regard du dernier festival de Cannes. Car l’assassinat du Président d’Haïti Jovenel Moïse par un commando armé fait évidemment écho au portrait de ce pays qu’esquisse l’haïtienne Gessica Généus, pour son premier long métrage de fiction. L’action de Freda se situe en 2018, soit 8 ans après le tremblement de terre ayant meurtri cette île et dont elle ne s’est toujours pas remise, entre une aide internationale qui arrive au compte- gouttes et la corruption qui y règne en maître. Au milieu de ce chaos, la cinéaste a choisi de raconter un trio de femmes – une mère et ses deux filles – tentant de résister au patriarcat dominant et à joindre les deux bouts avec la petite échoppe de rue qu’elles possèdent. Une mère dévote, sa fille aînée insouciante pensant échapper à son destin par un mariage avec un riche sénateur et la cadette, la Freda du titre, la plus politisée de toutes, se battant au quotidien pour que les choses changent. Trois personnages que le scénario ne cessera d’emmener loin des archétypes en jouant avec leurs ambiguïtés, leurs contradictions jusqu’à un dénouement très malin qui ne sacrifie pas au banal happy end.
Thierry Cheze
LEUR ALGERIE ★★★☆☆
De Lina Soualem
Elle, se cache souvent le visage avec ses deux mains calleuses et se met à rire compulsivement. Lui, se tient de profil, le port volontiers altier malgré le poids des années, et marmonne. Deux façons de tromper la gêne d’un dévoilement. Aïcha et Mabrouk, plus de soixante de mariage et une vie passée en Auvergne loin des montagnes algériennes de leur enfance, font partie d’une génération où l’effacement a toujours été préférable à l’épanchement. Lina, leur petite fille, surprise de voir le couple fatigué l’un de l’autre quitter soudain leur nid commun pour faire appartement à part, profite de ce moment pour essayer de briser enfin les silences et saisir quelque chose d’eux. Car, à travers eux, se dessine une trajectoire forcément singulière qui s’inscrit néanmoins dans un champ plus vaste, celui de l’immigration française née sur les cendres de la Guerre d’Algérie. Lina, avec sa caméra ne lâche pas ses grands-parents, pose des questions directes, revient souvent à la charge, interroge des photos jaunies pour voir si les spectres du passé peuvent animer le présent...Et le plus beau dans Leur Algérie est de voir comment la parole parvient enfin à se libérer, entre les lignes, entre les images.
Thomas Baurez
STORIA DI VACANZE ★★★☆☆
De Fabio et Damiano D’Innocenzo
On a découvert les jumeaux D’Innocenzo en 2018 avec Frères de sang, beau récit d’apprentissage sur la perte de l’innocence et la corruption de la jeunesse. Et Storia di vacanze leur permet de creuser cette thématique dans un geste qui rappelle celui de Todd Solondz avec Happiness. L’action de ce deuxième long métrage choral se situe dans une banlieue pavillonnaire romaine et suit le quotidien de plusieurs familles tentant de créer l’illusion de vacances normales et joyeuses quand, d’emblée, on sent le vert dans le fruit. Car Storia di vacanze dépeint précisément ce foyer familial, censé être le cocon protecteur contre toute agression, devenu source de froideur et de violence par cette incapacité grandissante à communiquer, par la transmission inconsciente d’une anxiété. Avec comme première victimes donc les enfants, ici quasiment tout le temps silencieux, incapables de trouver un modèle et de profiter du temps de l’innocence devant tant de misère et de bêtise réunis sous leurs yeux. Ici la violence n’est jamais physique mais mentale comme un plafond de verre étouffant qui s’abat petit à petit sur eux. Une fable morbide, dérangeante mais jamais condescendante ou misérabiliste. Le pessimisme élevé au rang d’art.
Thierry Cheze
LE TRADUCTEUR ★★★☆☆
De Rana Kazkaz et Anas Khalaf
Après un début un peu brouillon et bordélique qui entend nous montrer les évolutions de la Syrie depuis les années 80 où des envies de libertés sont déjà violemment réprimées, jusqu’à 2011 et le printemps syrien combattu dans le sang par l’armée, le film finit par trouver sa ligne claire. On découvre, Sami (Ziad Bakri, tout en force contenue), un traducteur basé en Australie. Alors que la révolution pour renverser le pouvoir du tyran Bachar El-Assad bat son plein, Sami décide de revenir clandestinement dans son pays d’origine pour retrouver son frère disparu. S’amorce alors un vrai film d’espionnage. Le duo de cinéastes, Rana Kazkaz et Anas Khalaf, eux-mêmes exilés syriens, signent un premier long-métrage tendu en prise quasi directe avec notre présent et traduisent avec acuité la détresse de tout un peuple. Fort.
Thomas Baurez
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
LE LOUP ET LE LION ★★☆☆☆
De Gilles de Maistre
Trois ans après le carton de Mia et le lion, Gilles de Maistre renoue avec cette idée d’un spectacle familial célébrant les animaux sauvages à la liberté menacée par l’homme et cette idée (qu’on retrouve aussi dans son docu Demain est à nous) que le salut viendra de la jeune génération. Son héroïne a ainsi 20 ans. Et en venant s’installer, à la mort de son grand- père, dans la maison de son enfance, elle se retrouve à élever en cachette un louveteau et un lionceau qui grandissent comme des frères avant que le secret soit éventé et le duo séparé de force. Parler de recette serait faire injure au réalisateur à la démarche sincère. Mais son récit se noie trop dans les bons sentiments au fil de rebondissements téléphonés. De Maistre aurait gagné à couper les échanges souvent insipides entre humains, petits et grands, pour privilégier son point fort : les moments où l’on suit juste ce loup et ce lion vagabonder.
Thierry Cheze
LE POETE ILLUMINE, GERMAIN NOUVEAU (1851- 1920) ★★☆☆☆
De Christian Philibert
Cent-un ans et des poussières après sa mort, Christian Philibert (Les Quatre saisons d’Espigoule) consacre au poète Germain Nouveau un documentaire en forme d’enquête « historique, littéraire et philologique. » Philibert entend redonner à ce contemporain de Mallarmé, Verlaine et Rimbaud (dont il était très proche) la place qui lui revient dans l’histoire de la poésie, lui qui a pourtant obstinément refusé l’édition de ses recueils. Tourné sur une période de 25 ans, le film relate l’oeuvre et la vie de Nouveau - entre bohème et obsession pour la mort et l’amour - avec l’aide de nombreux spécialistes. Le tout entrecoupé de lectures d’extraits de textes. La forme est classique, le fond absolument passionnant. « Lui redonner sa place, c’est notre problème à tous », dit l’un des intervenants du docu. Plus personne n’osera en douter.
Thierry Cheze
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
LA FAMILLE ADDAMS 2 : UNE VIREE D’ENFER ★☆☆☆☆
De Greg Tiernan et Conrad Vernon
Perdus face à leurs enfants qui ont bien grandi, Morticia et Gomez décident d’embarquer toute la tribu dans leur camping-car hanté pour des vacances en famille. Et ce alors que des doutes surgissent sur le fait que Mercredi soit bien leur fille naturelle. Plus que jamais, le joyeux esprit de satire qui donnait le la des deux adaptations en chair et en os des cartoons de Charles Addams par Barry Levinson est ici définitivement mort et enterré. Le film cherche tellement à draguer le jeune public qu’il perd tout ce qui constitue son essence. Seule Mercredi est, dans la première partie du récit, la gardienne du temple de ce mauvais esprit. Mais tout le film, tout le scénario ne vont chercher qu’à la faire rentrer dans la norme. Un contre- sens absolu. Et d’autant plus décevant ou agaçant quand on a vu de quoi le duo Tiernan- Conrad, de nouveau aux commandes de cet épisode après un premier volet tout aussi transparent en 2019, a été capable côté irrévérence dans Sausage party. Les temps ont changé. Et pas forcément en bien, donc.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéL’HOMME DE LA CAVE ★☆☆☆☆
De Philippe Le Guay
Habitué à la légèreté (Alceste à bicyclette, Les Femmes du sixième étage), Philippe Le Guay a eu envie de changer de registre, plus rugueux, plus sombre, suscitant une curiosité hélas abimée par une manière d’afficher cette nouvelle couleur en forçant le trait. Il faut dire qu’il n’a pas choisi la facilité avec un récit qui entend embrasser deux des maux majeurs actuels - le complotisme et l’antisémitisme – par le prisme des relations virant à l’aigre entre un couple et le mystérieux homme auquel ils ont vendu leur cave. Car au lieu d’y installer des affaires, ce dernier en fait son logement et va refuser d’en partir, s’enfermant dans une position victimaire alimentée par des allusions immondes aux origines juives de ce couple, devenu l’ennemi à abattre. Mais l’aspect monocolore de ses personnages, l’absence de toute ambiguïté ne permettent jamais au film de décoller. Le premier degré scolaire ne sied pas à de tels sujets.
Thierry Cheze
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