Le réalisateur se confesse dans Première.
Benedetta, projeté dans le cadre du dernier festival de Cannes, était certainement l'un des films les plus attendus de la compétition. Il devait être montré par son réalisateur Paul Verhoeven dès lors de l'édition 2020, mais l'épidémie de Covid-19 a imposé son annulation, et c'est finalement en juillet 2021 que le cinéaste de Basic Instinct, Black Book et Elle a pu dévoiler ce nouveau portrait de femme au Palais des festivals, entouré de son équipe de comédiens talentueux (Virginie Efira, Charlotte Rampling, Daphné Patakia, Lambert Wilson...). Alors que le film reviendra ce mardi sur Canal +, à 21h13, voici un extrait de son entretien publié dans les pages spéciales festival de Cannes de Première. Il évoque aussi longuement le scandale entourant la scène culte du croisement de jambes de Sharon Stone dans Basic Instinct, la création de Black Book ou plus généralement l'écriture de ses scénarios, mais nous reprenons ici seulement ses propos sur Benedetta.
Benedetta : Paul Verhoeven organise un chaos jouissif [critique]PREMIÈRE : Vous aimez répéter que trois choses dominent le monde le sexe, la religion et la violence… C’est également le programme de votre cinéma.
PAUL VERHOEVEN : L’univers qui nous entoure est clairement violent. La destruction est partout, jusqu’au plus profond de la galaxie régi par l’explosion de la matière… À notre petite échelle, nous, humains, fonctionnons comme des astres qui se télescopent. L’humanité a prouvé tout au long du XXe siècle et en ce début de nouveau millénaire sa capacité à s’autodétruire. La religion permet à beaucoup d’accepter ce chaos. Il est difficile d’admettre qu’à la fin de votre vie, il faille dire au revoir à vos proches mais aussi à soi-même, à ce cerveau désormais hors service. Marx disait que « la religion est l’opium du peuple ». Elle est bien là, autour de nous. Aux États-Unis, les gens prennent ça très au sérieux. Quant au dans l’Italie de la Renaissance. » Le caractère sulfureux devient un argument publicitaire. L’attraction physique entre Benedetta et Bartolomea, la jeune fille qui intègre le couvent, me permettait de raconter une relation physique très forte dans un contexte où le monde religieux – donc politique – la rendait hors-la-loi. Benedetta tombe également amoureuse de Jésus, fait sa rencontre et atteint une sorte de pouvoir mystérieux. Je pouvais alors toucher le secret de la foi au sens le plus direct du terme. Benedetta a sa propre perception du Christ. Je l’impose visuellement au spectateur.
Comme souvent dans vos films, c’est le personnage féminin qui prend en charge le récit et doit assumer jusqu’au bout ses choix. Benedetta peut-être un peu plus encore que les autres, les hommes restant majoritairement en périphérie.
Oui, même si cela ne répond pas à une mode ou un geste politique type #MeToo. Mes trois derniers films, Black Book, Elle et celui-ci ont, en effet, une femme comme personnage principal. Cela doit bien vouloir dire quelque chose. Mais quoi ? Tout ce que je peux vous dire là-dessus, c’est que j’ai respecté ce qui est dans le livre de Judith C. Brown. Or, l’idée même d’une relation homosexuelle entre deux femmes dans l’Italie de la Renaissance est suffisamment singulière en soi pour que j’aie envie de raconter cette histoire. À cette époque, l’homme était considéré comme supérieur à la femme. Saint Augustin a écrit quelque chose comme : « La supériorité de l’homme sur la femme est comparable à la supériorité de l’âme sur le corps. » Avec l’histoire de Benedetta et de son procès qui a suivi, nous touchons à un interdit absolu : le désir d’une femme pour une autre. L’âme, selon la philosophie de l’époque, est absente de l’équation. C’est le summum de l’hérésie. Benedetta, comme tous mes films, est guidé par mon immense respect pour les femmes en général. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai tout le temps été entouré de femmes, même l’école publique où j’allais aux Pays-Bas était mixte. Il n’y a jamais eu vraiment de différence dans mon approche des personnages masculins et féminins dans mes films. Si mes héroïnes sont fortes et prennent seules en charge leurs responsabilités, c’est naturel pour moi…
Isabelle Huppert dans Elle ou Virginie Efira dans Benedetta sont en phase totale avec le ton du film. Denise Richards dans Starship Troopers ou Elizabeth Berkley dans Showgirls, au contraire, sont plus frontales…
Le choix de vos interprètes détermine la direction que vous allez donner à votre film. Quand je dirige Denise dans Starship Troopers, je lui demande d’afficher en permanence un large sourire. Son personnage est embarqué dans une lutte pour anéantir des envahisseurs. Elle ne remet pas en question le discours dominant qui la pousse à tuer sans réfléchir. C’est un parfait petit soldat. Denise avait-elle conscience en jouant qu’à travers son personnage je critiquais la société américaine ? Je n’en suis pas certain. Pourtant, ça marche. Je n’embarrasse jamais mes interprètes avec de grandes théories sur leur personnage. Denise n’aurait peut-être pas été si juste si nous avions évoqué l’ironie sous-jacente du script. Elizabeth, elle, n’avait pas du tout perçu le caractère hyperbolique de Showgirls. C’est à la sortie qu’elle s’est pris les critiques en pleine figure. Personne – du moins aux États-Unis – n’avait compris l’exagération volontaire du film. C’est un peu triste, car la carrière d’Elizabeth en a souffert. Avec Starship Troopers, je passais pour un néonazi, avec Showgirls, pour un lubrique. L’incompréhension totale.
Redoutez-vous qu’un film comme Benedetta soit mal perçu ?
Bien sûr, mais le fait de le faire en France me préserve d’une censure morale telle qu’elle existe aux États-Unis. Rappelez- vous qu’Elle devait se faire initialement à Hollywood, mais personne là-bas ne comprenait pourquoi l’héroïne décidait finalement de ne pas se venger de son violeur. Que répondre à ça ? Isabelle [Huppert] a tout de suite compris la nature du projet. Cette conscience se retrouve sur l’écran et donne toute la force à l’ensemble. Idem avec Virginie, elle prend en charge son personnage dans toute sa complexité et la restitue à l’écran.
Vous voyez-vous comme un cinéaste féministe ?
Je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Ce que je sais, c’est que mes personnages, quel que soit leur sexe, se tiennent debout face à des mondes qui s’écroulent.
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