Primitifs
Originals Factory

Ce film des frères Zellner, avec Jesse Eisenberg et Riley Keough, a fait l’ouverture du Champs-Elysées Film Festival.

Nom : Zellner. Prénoms : Nathan et David. Deux frangins cinéastes comme il y en a tant dans l’histoire du cinéma, des Lumière aux Safdie. On ne les connaît pas encore très bien en France, où leurs films n’ont jusqu’à présent jamais été distribués. Ni Kumiko, the treasure hunter (2014), sur une Japonaise obsédée par Fargo (autre film de frangins cinéastes), ni Damsel (2018), un western avec Robert Pattinson et Mia Wasikowska. Leur fiche IMDb est pourtant longue comme le bras, et regorge de longs-métrages non identifiés, de courts aux intitulés obscurs, de participation à diverses web-séries et de clips pour des groupes texans. Récemment, ils ont signé trois épisodes de la très perchée série The Curse, avec Emma Stone (à voir sur Paramount +), confirmant ainsi leur place de plus en plus centrale dans la galaxie des nouveaux zinzins de la scène indé américaine.  

On devrait bientôt mieux cerner les Zellner brothers grâce à Primitifs (alias Sasquatch Sunset en VO), annoncé pour les prochains mois dans les salles françaises, et qui a fait il y a quelques jours l’ouverture du Champs-Elysées Film Festival. Produit par la boîte d’Ari Aster (le réalisateur de Beau is afraid est toujours partant pour soutenir les bizarreries marginales teintées d’absurde et d’humour cringe), Primitifs est un ovni comique et poétique qui suit le périple, sur toute une année, d’une famille de Sasquatch, ou Bigfoot, ces créatures légendaires des forêts nord-américaines, sorte d’équivalents yankees du Yéti.

Rencontrés lors de leur passage à Paris, les deux frères, David (par ailleurs scénariste) et Nathan (qui joue l’une des bêtes à poil du film, aux côtés de Jesse Eisenberg et Riley Keough) nous ont expliqué comment ils ont conçu ce film inclassable, qui dépasse vite le surréalisme rigolard à la Quentin Dupieux pour s’abandonner à une langueur bucolique assez hypnotisante.   

Première : D’où vient votre fascination pour le mythe du Bigfoot ?

David Zellner : Tout commence avec ce fameux film amateur de la fin des années 60, le Patterson/Gimlin film, qu’on connait depuis notre enfance, comme n’importe quel gamin américain ayant grandi dans les années 70 et 80. C’est prétendument l’image d’un Bigfoot, vous savez, on le voit marcher dans les bois, et il semble se retourner vers l’objectif. Cette silhouette est devenue célèbre dans le monde entier… Le Bigfoot est devenu une grosse fixette de la pop culture. Des tas de films, d’émissions de télé, lui ont été consacrés. On a baignés là-dedans. Et on a développé une légère fascination pour la question. Fascination qui a également été nourrie par ce qu’on appelle le "cinéma des singes" des années 60-70, avec La Planète des Singes et ses suites, mais aussi la séquence d’ouverture de 2001, l’Odyssée de l’espace, « l’Aube de l’humanité ».

Et La Guerre du Feu de Jean-Jacques Annaud, ça vous parle ?

David Zellner : Bien sûr ! Quest for fire ! On adorait ça gamins. C’est clairement l’une de nos influences, gravée quelque part dans notre inconscient. L’Ours aussi a été très important. Ce qui m’avait séduit dans La Guerre du Feu quand je l’ai découvert, c’est à quel point rien n’était édulcoré. Et c’est d’une certaine lanière ce qu’on a voulu reproduire dans Primitifs. Cette façon de faire un cinéma pas du tout aseptisé, c’était frappant. Ça, et les tigres à dents de sabres !

Sasquatch Sunset des frères Zellner
Bleecker Street

 

A quel point est-ce difficile de faire financer un film sans dialogue dont les acteurs, certes célèbres, sont méconnaissables car déguisés en bêtes poilues ?

David Zellner : C’est, euh, quasiment impossible ! (Rires)

Félicitations d’y être parvenus…

David Zellner : Merci ! Ça nous a pris dix ans. J’ai écrit Primitifs il y a longtemps. On a fait d’autres films entre temps. Ça arrive souvent d’écrire des scénarios, de ne pas trouver l’argent pour les réaliser, et de passer à autre chose. Mais celui-ci n’a jamais vraiment quitté notre esprit. On s’est accrochés. Petit à petit, de plus en plus de gens ont été séduits par le projet. On a fini par être soutenu par Square Peg, la boite d’Ari Aster. Puis Jesse (Eisenberg) s’est impliqué dans le projet, à la fois en tant qu’acteur et que producteur, ce qui nous a donné une légitimité supplémentaire. Mais bon, on n’avait jamais été naïfs au point de penser que ce serait un film facile à vendre ! C’est pour ça que le scénario devait être très précis en termes de tonalité. Il fallait que, quand on le faisait lire à des acteurs, des producteurs ou des financiers, ceux-ci comprennent tout de suite de quoi il retournait. Un film avec des créatures, d’ordinaire, ça évoque soit un film d’horreur, soit un film pour enfants. Or, Primitifs n’est ni ni l’autre. Comme il n’y a pas de dialogue – de dialogue humain – les gens pensent parfois que c’est en partie improvisé. Au contraire : c’était très précis, méticuleux. Et c’est cette méticulosité qui nous a permis de trouver le bon équilibre entre la dimension absurde du film et son caractère poignant.

Vous aviez déjà consacré un court-métrage aux Sasquatch en 2010…

Nathan Zellner : Oui, Sasquatch Birth Journal 2. Ça partait de la même idée que Primitifs : si ces créatures existent, alors que font-elles quand elles ne sont pas en train de marcher dans les bois ? On s’est donc dit : et si on montrait un Bigfoot donner la vie ? On s’est mis à phosphorer, à délirer autour de ça. Comment se déplacent-ils ? Comment communiquent-ils entre eux ? Beaucoup de ces conversations débouchaient sur des idées de comédie. Puis David s’est mis à écrire le long-métrage et on a réalisé que la blague risquait de tourner court, alors on a voulu utiliser ce délire pour questionner ce qui sépare les animaux des humains. On voulait que ce soit touchant, parler de ces Sasquatch comme d’une famille, montrer la façon dont ils survivent dans la nature. Ça a débouché sur quelque chose de plus émouvant que les seules situations absurdes qui nous amusaient au départ.

Nathan et David Zellner
Originals Factory

 

Pourquoi était-ce important d’avoir des noms connus au générique comme Jesse Eisenberg et Riley Keough ? Il y a leurs noms sur l’affiche mais si on ne sait pas que c’est eux, c’est quasiment impossible de les reconnaître…

David Zellner : C’est vrai. Disons qu’une part de ça relève encore de notre goût pour l’absurde… Mais s’il nous fallait de vrais acteurs, c’est d'abord parce qu’il ne s’agissait pas seulement de figurer une créature à l’arrière-plan ou de se contenter d’une performance physique. Il fallait des acteurs capables de donner une vraie profondeur émotionnelle au film. Des comédiens aussi doués dans la comédie que dans le drame. Regardez Riley, ces grands yeux bleus sont tellement expressifs, elle est capable de vous donner un tas d’informations avec le plus discret des battements de cils ! On ne l’avait pas vraiment réalisé avant d’être concrètement en train de faire le film, mais ce qu’on faisait était en fait assez proche du cinéma muet, parce qu’on ne pouvait pas s’appuyer sur le dialogue pour créer une émotion ou apporter des informations.

La manière dont les duos de réalisateurs se répartissent le travail est souvent assez mystérieuse. Avec vous, au moins, on sait que David écrit et que Nathan joue l’un des Sasquatch…

Nathan Zellner : Notre fonctionnement est très intuitif, difficile à expliquer. Depuis qu’on est tout petits et qu’on tourne des films ensemble, on fait tout à quatre mains. Mais quand on était enfants, il fallait toujours qu’il y en ait un devant la caméra, et l’autre derrière…

David Zellner : Je suis acteur, moi aussi. Mais sur ce film, on ne pouvait pas jouer tous les deux. Vous imaginez les deux réalisateurs recouverts de poils du matin au soir ? Impossible. Alors Nathan a interprété l’un des rôles. Ça paraissait naturel. Regardez-le : il est taillé comme un Bigfoot.

Primitifs, de Nathan et David Zellner. Avec Jesse Eisenberg, Riley Keough, Christophe Zajac-Denek… Prochainement au cinéma.

Champs-Elysées Film Festival, à Paris, jusqu’au 25 juin.