Film catastrophe sans catastrophe, Sully rumine une Amérique qui ne reconnaît plus ses héros. Critique
TF1 rediffusera dimanche soir Sully, de Clint Eastwood. Voici la critique publiée dans Première à sa sortie, en novembre 2016, en attendant le nouveau film du cinéaste, Cry Macho, programmé au cinéma le 10 novembre.
Dans le dernier numéro de Rock&Folk, l’éminent critique Christophe Lemaire utilise l’image parfaite pour décrire la sensation du spectateur quand apparaît le logo Malpaso et que retentissent les notes de piano jazzy au début de Sully : « On se sent tout de suite dans ses chaussons ». Tous les fans de Clint Eastwood connaissent bien ce feeling. Sauf que ces dernières années, de Au-delà à Jersey Boys, les pantoufles eastwoodiennes avaient parfois l’air un peu trouées, mitées… Bonne nouvelle : Sully, comme American Sniper l’an dernier, sonne comme un retour à la maison. Après avoir raconté la vie et l’œuvre du tireur d’élite le plus létal des Etats-Unis, Clint se penche sur le fameux « miracle sur l’Hudson » de janvier 2009, l’hallucinant amerrissage forcé d’un Airbus A320 dont les 155 passagers sortirent indemnes. Un film catastrophe sans catastrophe, donc, mais pas sans drame pour autant : tout le récit s’enroule autour de l’audition du capitaine Sully par une commission d’enquête suspicieuse, qui s’interrogeait sur le bien-fondé du geste du pilote, audacieux, certes, mais aussi franchement casse-cou.
Capitaine courage
Derrière le film de procès, Eastwood esquisse une rumination politique amère sur une Amérique déboussolée, incapable de reconnaître et de célébrer ses héros. Tom Hanks, impérial, en profite pour ajouter mille nouvelles nuances, sublimes, à son éternel personnage de capitaine courage. Le film, 1h30 au compteur et quasiment pas un pet de graisse (malgré l’étonnante décision de montrer le crash deux fois, soit une de trop) est une ode au professionnalisme, au travail bien fait. A ces besogneux modestes qui posent leur avion sans encombre, comme d’autres mettent en boîte leur film en temps et en heure. Un Flight sans cocaïne ni ambiguïté morale, un Capitaine Phillips en sourdine. Cool et carré. Détail qui ne trompe pas : on voit Clint Eastwood en personne dans le film. Ouvrez bien les yeux : alors que le capitaine Sully fait son footing nocturne sur Times Square, il passe devant une affiche géante de Gran Torino. La gueule de Dirty Harry vient dévorer un coin du cadre, son regard fou est braqué sur nous. Eastwood a certes toujours été friand de ce genre de coquetteries mégalo (on apercevait un poster de L’homme des hautes plaines dans Breezy, un extrait de Rawhide dans Jersey Boys) mais, ici, c’est surtout une manière d’affirmer qu’il est bien aux commandes. Pas là pour rigoler. On est peut-être dans nos chaussons, mais lui reste droit dans ses bottes.
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