Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN ★★★☆☆
De Sandrine Kiberlain
L’essentiel
Sandrine Kiberlain réussit d’emballants débuts de réalisatrice dans un film sublimé par l’interprétation passionnée de Rebecca Marder
Une jeune fille qui va bien est un film qui prend le temps de poser ses personnages, son intrigue et son contexte. Qui s’inscrit peu à peu dans une époque mais ne s’y enferme jamais, Cette époque n’a pourtant rien d’anecdotique. Son action se déroule en effet durant l’été 1942 à Paris en pleine montée irrésistible du nazisme et son héroïne est une adolescente juive de 19 ans qui entend cependant ne renoncer à rien de ses libertés et de ses passions : vivre pleinement le premier grand amour de sa vie comme son désir de devenir comédienne. En refusant toute reconstitution historique à travers un passionnant travail sur le hors- champ qui fond progressivement sur ses personnages, Sandrine Kiberlain raconte avec superbe l’insouciance de la jeunesse prête à renverser tous les obstacles, à commencer par cet ennemi dont le triomphe paraît pourtant inéluctable. Mais elle célèbre aussi cette idée que l'art peut tout transcender, les époques comme les plus insoutenables tragédies. Avec au cœur de cet équilibre vibrant, Rebecca Marder, une comédienne époustouflante, dont l’intensité, la vista comique, la cinégénie et la profondeur sont un enchantement de chaque instant.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
UN MONDE ★★★★☆
De Laura Wandel
Un monde plonge dans la cour de récréation pour en faire le terrain du plus effrayant des films d’horreur : la terreur du quotidien. On y suit Nora, une élève de primaire, confrontée au harcèlement dont est victime son grand frère Abel. Que faire ? A qui parler pour stopper l’enfer et ne pas l’aggraver ? Elle va, de fait, se trouver tiraillée entre Abel qui lui demande de garder le silence, son père qui la pousse à parler mais aussi son besoin de s’intégrer, alors qu’associée au souffre- douleur de l’école, elle voit les autres se détourner d’elle. Laura Wandel raconte ce conflit de loyauté et cette cruauté… à hauteur d’enfants. On n’aperçoit ainsi le visage des adultes que lorsqu’ils se penchent pour leur parler. Embarqué dans des scènes où ils ne peuvent évidemment pas compter que sur leur seule nature, Maya Vanderberque et Günter Duret livrent une composition fascinante qui participe grandement à cet état de tension permanente. Sous influence dardenienne parfaitement digérée, Laura Wandel engage physiquement le spectateur dans son récit. On en ressort KO, bouleversé et impressionné.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
MUNICIPALE ★★★☆☆
De Thomas Paulot
Fiction ou documentaire ? Thomas Paulot a choisi de ne pas choisir et d’encapsuler les deux genres en engageant un comédien (Laurent Papot, étonnant) pour qu’il se présente à l’élection municipale d’une petite ville des Ardennes. Et à partir de ce point de départ casse- gueule, Paulot va laisser le faux bousculer le vrai, avec un Papot qui va peu à peu se prendre au jeu et construire un programme très concret trouvant un écho dans ce contexte de rejet généralisé du politique, que traduisent des abstentions record à répétition. Souffrant de baisses de rythme, Municipale raconte cependant avec acuité ces coins de France gangrénés par le chômage où le mouvement des Gilets Jaunes a trouvé sa source. Sans ironie, ni condescendance mais avec un goût assumé pour l’utopie, même si la règle du jeu donnée dès le départ ne laisse aucun espoir réel aux lendemains qui chantent. Une curiosité.
Thierry Cheze
ADIEU PARIS ★★★☆☆
De Edouard Baer
Quelque part entre le Blier des Acteurs et le Leconte des Grands Ducs, Edouard Baer réunit une poignée de cabots plus ou moins vieux (Arditi, Prévost, Poelvoorde, Damiens…) pour un huis-clos gastronomique et ruminatif. Rires étranglés, digressions éthyliques marinant dans l’amertume… L’hommage aux comédiens portraiturés ici se savoure aussi comme l’élégie d’un Paris disparu, peuplé de saints buveurs et de fanfarons sublimes. Comme souvent avec l’auteur d’Akoibon, le film s’égare, s’éparpille, malgré quelques belles idées – le running-gag (très triste) d’un Depardieu incapable de sortir de chez lui, ou l’image de cette dame-pipi écoutant en boucle des émissions sur De Gaulle et Pétain. On sourit, tout en se disant que Baer n’a pas encore réalisé le grand œuvre cassavetien, à la Husbands (déchaîné, ivre mort, affranchi de toutes les conventions), qu’il a sans doute en lui.
Frédéric Foubert
IRRADIES ★★★☆☆
De Rithy Panh
Nous voici face à un triptyque projetant en simultané des images douloureuses, tel un retable qui offrirait une vue décuplée d’un monde terrassé par la folie des hommes. Le cinéaste franco-cambodgien Rithy Panh s’échappe de son travail mémoriel sur la barbarie des Khmers-rouges (L’Image manquante...) pour embraser plus largement les origines du mal dans un XXe siècle chaotique. Porté par un texte sublime, son film qui lorgne du côté de Chris Marker, est un formidable essai où la force du montage créait un ballet tragique. Cette danse macabre peuplée d’archives insoutenables où le temps a tout amalgamé sans pour autant en détruire la valeur représentative, est aussi habitée par des fantômes d’aujourd’hui, silhouettes étranges et masquées dont la présence rappellent que « ... le mal irradie. Il blesse jusqu’au génération future, mais l’innocence est au-delà… »
Thomas Baurez
SUNLESS SHADOWS ★★★☆☆
De Mehrdad Oskouei
Avec Sunless shadows, l’iranien Merhad Oskouei prolonge son remarquable documentaire Des rêves sans étoiles (2017). Il réinvestit en effet une prison pour mineurs où il reçoit les confidences et filme le quotidien d’adolescentes détenues pour différents crimes. Avec un dispositif supplémentaire : une configuration vidéo- confessionnelle où il propose à ces jeunes femmes de s’adresser face caméra à leurs mères – souvent elles aussi incarcérées ailleurs et à qui il montre ces images – ou à leurs victimes dont on comprend vite qu’ils sont tous leurs pères ou leurs frères ! A travers ces confidences, Sunless shadows raconte une prison vécue comme un refuge contre le monde extérieur dominé par les hommes. Et la démonstration se révèle d’autant plus implacable que le cinéaste a su se faire accepter de ces adolescentes au point qu’elles jouent avec sa caméra avec un naturel fascinant.
Thierry Cheze
JUSQU’A LA MER ★★★☆☆
De Marco Gastine
Parler de « résilience » est devenu tellement convenu, que le nom a perdu toute sa vertu et sa valeur. Il n’est pourtant pas question d’autre chose dans ce documentaire du cinéaste franco-grec Marco Gastine. Sa caméra s’est posée au sein du service des grands accidentés d’un hôpital public d’Athènes. Ici, familles, patients, médecins et personnel soignant, agissent de concert pour redonner espoir à des corps meurtris et des intimités blessées. Effacé derrière une mise en scène sobre parce qu’invisible, Gastine saisit un quotidien éprouvant où chaque geste et attention est porteur d’espoir. En terre hellénique, la « mer » charrie plus qu’ailleurs, un imaginaire mythologique pour devenir promesse d’odyssées. C’est vers cette liberté-là que tous les regards sont tournés. « ... Dans la mer, je ne serai pas le marteau et toi, la plaie... » dit la chanson qui clôt le film.
Thomas Baurez
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
PRESQUE ★★☆☆☆
De Bernard Campan
Après avoir manqué de l’écraser accidentellement, un croque- mort désabusé embarque un handicapé féru de philosophie dans son corbillard qui transporte un corps de Lausanne vers le Sud de la France pour un enterrement. Quinze après la réalisation de son premier long métrage en solo, La Face cachée, Bernard Campan revient à la réalisation en s’associant avec son partenaire de jeu le philosophe et écrivain suisse Alexandre Jollien. Ce buddy movie entre deux personnages que tout a priori oppose et que ce bout de chemin ensemble va rapprocher évite le piège de la sensiblerie et de l’émotion fabriquée. Par son humour et plus largement la sincérité désarmante que dégage le Campan acteur comme réalisateur. Mais cet éloge du vivre ensemble et de l’acceptation de la différence souffre d’un aspect un peu trop programmatique et donc sans réelles surprises pour convaincre pleinement.
Thierry Cheze
LES PROMESSES ★★☆☆☆
De Thomas Kruithof
Clémence (Isabelle Huppert), maire d'une ville du 93, est sur le point de passer la main à la prochaine élection. Son dernier combat sera de sauver le quartier des Bernardins, cité délabrée et minée par les marchands de sommeil. Mais alors que la possibilité avortée de devenir ministre ravive chez elle des aspirations politiques, Clémence hésite à finalement rempiler à la mairie... Les Promesses entend montrer l'impossible sincérité des politiques, drogués au pouvoir plus qu'au bien commun. Thème rebattu mais rarement abordé au niveau local : le charme initial du film se situe dans sa capacité à mettre en scène la peur du vide comme point de bascule d'une petite maire sans grande importance. Un feu qui s'éteint par la suite, alors que le récit prend comme béquille un suspense un peu mou.
François Léger
L’ENNEMI ★★☆☆☆
De Stephan Streker
Cinq ans après le remarquable Noces, le nouveau Stefan Streker s’inspire de l’affaire Welphael - un politique belge soupçonné d’avoir tué sa femme dans un hôtel d’Ostende en 2013 – qui a tenu son pays en haleine pendant 3 ans jusqu’au verdict du procès. Le personnage dans l’œil du cyclone s’appelle ici Durieux et apparaît comme un Premier Ministre en puissance, bien que ne parlant pas flamand. Est- il coupable ou innocent ? Le film reconstitue le puzzle de cette tragédie au fil d’un récit en flashbacks déséquilibré : la relation du couple (dont il ne parvient jamais à rendre touchante la passion avant qu’elle ne devienne destructrice) écrase le portrait des coulisses machiavéliques de la vie politique belge, réduites à des archétypes. En dépit de la capacité du réalisateur à créer une ambiance étouffante, L’Ennemi s’avère trop bancal et trop artificiellement tortueux pour convaincre.
Thierry Cheze
THE LOST LEONARDO ★★☆☆☆
De Andreas Koefoed
En 2017, la vente d’un tableau aux enchères chez Christie’s à New- York défraie la chronique. Parce qu’avec 450 millions de dollars, elle devient la peinture la plus chère jamais achetée au monde. Mais aussi parce que cette toile, le Salvator Mundi, est présenté comme une œuvre rare de Leonard de Vinci qu’on pensait disparue depuis le 17ème siècle. Ce documentaire – qui se vit comme la plus passionnante des enquêtes policières – explore à la fois les questionnements autour de son authenticité, les coulisses de cette vente riches en manipulations et coups ainsi que la personnalité plus qu’ambigüe de son acquéreur, le prince saoudien Mohammed ben Salmane, si bien décrite dans un autre documentaire, génial, The Dissident. Dommage qu’une forme trop maniérée et prenant trop de place vienne abîmer ce jeu de pistes qu’aucune fiction n’aurait osé inventer.
Thierry Cheze
SOUTERRAIN ★★☆☆☆
De Sophie Dupuis
Dans ce Souterrain, les vibrations viennent de partout, le propre et le figuré se confondent pour dessiner les contours cabossés de Maxime, jeune mineur, prisonnier d’un sentiment de culpabilité tenace (Joakim Robillard très covaincant). Les fracas du dedans (explosion dans les profondeurs de la terre - intériorité psychologique blessée) et du dehors (les beaux paysages du Québec - l’esprit viriliste des hommes entre eux), se télescopent et s’interpénètrent. La cinéaste Sophie Dupuis (Chiens de Garde) parvient habilement à installer une tension inconfortable vecteur d’un véritable suspense. Dommage, en revanche, que son scénario balourd accumule les situations mélodramatiques et délite peu à peu ce qu’il avait si bien mis en place. Dès lors l’artifice fissure les parois fragiles d’un film soudain mis à nu.
Thomas Baurez
PREMIÈRE N’A PAS AIME
NOS ÂMES D’ENFANTS ★☆☆☆☆
De Mike Mills
Un journaliste radio (Joaquin Phoenix), qui sillonne les USA pour interroger des jeunes gens sur leur vision du futur, est contraint de s’occuper de son petit neveu… Sur le vieux schéma de l’adulte et de l’enfant condamnés à tailler la route ensemble, Mike Mills signe une dramédie mièvre et trop apprêtée (le noir et blanc est très voyant), qui échoue dans son ambition de mêler l’intime à une vision panoramique des Etats-Unis et du monde (les plans prétentieux des grandes villes US qui rythment le film, la polyphonie lénifiante des rêves et des espoirs de la nouvelle génération…). Nos âmes d’enfants ne fonctionne en réalité que comme un sas de décompression pour Joaquin Phoenix, très sobre, et très bon, dans son premier emploi post-Joker. La suite de ses aventures cinématographiques (le prochain film d’Ari Aster) s’annonce heureusement plus excitante.
Frédéric Foubert
GRAINES D'ESPOIR ★☆☆☆☆
De Pierre Beccu
Chouette idée de départ : donner des caméras à des enfants d'écoles des quatre coins du monde pour qu'ils tournent des films et disent leur désir pour l'avenir. Leur donner la parole -et l'image, surtout. Mais très vite, on s'aperçoit que leur parole (et leur regard) est vraiment supplantée par celles des adultes, et Graines d'espoir reste au niveau d'un docu écolo fouillis et vaguement engagé, qui contient en plus un discours affirmé non seulement contre l'éducation « officielle » mais surtout contre l'exposition des enfants aux écrans et aux jeux vidéos, alors que l'enjeu de départ semblait justement de les former à l'image en leur donnant les moyens de s'emparer des moyens de production de cette image. Un drôle de paradoxe.
Sylvestre Picard
Et aussi
Les Blanches terres, de Amélie Cabocel
Jardins enchantés, six courts métrages d’animation
Paysans, paysages, de Tiphaine Lisa Honoré
Reprises
Chronique d’un amour, de Michelangelo Antonioni
Le Désert rouge, de Michelangelo Antonioni
The Servant, de Joseph Losey
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