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Après avoir sondé les blessures morales et physiques des soldats ricains dans le beau The Messenger, Oren Moverman dissèque une nouvelle fois les traumas d’un type en guerre. Contre lui-même et contre une société qui change. Spirale d’un flic corrompu qui s’attache aux traces de son univers en train de s’effondrer, Rampart est un cop movie intense, et sans doute la meilleure adaptation de l’univers d’Ellroy à l’écran. Ce qui méritait bien une mise au poing avec Moverman.Oren, vous êtes finalement arrivé tard sur le projet Rampart.A la base, il y avait un script de James Ellroy. Touffu, dense, mais passionnant. Un des producteurs de The Messenger, mon film précédent, m’a demandé de le reprendre. C’était un boulot comme un autre. Du script doctoring comme j’en ai fait beaucoup.Sauf que dans ce cas, c’est James Ellroy, ce qui change beaucoup de choses non ?Exact. Et c’était l’un des principaux défis. Je me suis glissé dans la peau d’Ellroy pour retravailler le scénario tout en conservant sa voix. Dès le début, je savais que pour retrouver l’esprit d’Ellroy, il ne fallait pas raconter une histoire, mais disséquer un personnage, rentrer dans sa tête, trouver des moyens de traduire ses obsessions, d’épouser son point de vue.  Le script d’Ellroy n’allait pas ?Si. Enfin… c’est plus compliqué que ça. Il était énorme. Trop. C’est un type complètement fou, capable d’imaginer des histoires folles, fascinantes. Dans Rampart, l’idée de ce flic qui entretient deux femmes, deux familles différentes, qui se bat contre ses démons… c’est dingue. Seul le Dog peut imaginer un truc comme ça. Le problème, c’est que c’est un écrivain. Et pas un scénariste. Ce qui l’intéresse ce sont les livres et je crois qu’il est un peu moins rigoureux sur ses scénarios. En l’occurrence, ça ne coulait pas, le flow n’était pas bon. Et puis ça n’aurait jamais marché dans le cadre du cinéma indépendant.C’est à dire ?C’était trop cher. Et ça couvrait trop de champs différents. Le script de James se focalisait beaucoup plus sur le scandale Rampart, il y avait des sous-intrigues complexes et beaucoup plus de personnages. Mon boulot a surtout consisté à simplifier les choses. A tailler le gras et à rendre ça plus resserré. Mais plus je bossais plus ça m’excitait de rentrer dans la tête d’Ellroy.Concrètement, comment avez-vous travaillé tous les deux ?J’ai quasiment passé une audition. On s’est rencontré, on a beaucoup discuté, on a partagé nos vues sur le film, il a lu mes premiers drafts. J’ai pris ses notes en compte. Et puis on a diné ensemble un soir au Pacific Diner Car, un grand restaurant de L.A. On a passé le repas à parler du film, c’était passionnant, un peu mouvementé aussi. A l’issue de quoi, on a convenu que nos perspectives sur le film étaient quand même radicalement différentes. Il m’a souhaité bon courage, m’a dit qu’il y aurait sans doute plein de trucs qui ne lui plairaient pas dans le film, mais qu’il n’interviendrait pas.Les différences portaient sur quoi ?Le script de James parlait beaucoup plus du scandale Rampart. Et puis, disons qu’on avait deux approches un peu différentes du monde. Et du monde des flics en particuliers. Il y avait une tension entre nos deux visions – ce qui me paraît normal quand on parle d’un scénario basé sur un personnage aussi intense. L’une était plus… disons « autoritaire », l’autre plus humaniste.Vous ne pensez pas que c’est précisément la raison qui explique pourquoi toutes les adaptations d’Ellroy ont foiré à Hollywood ?Le fait de rendre sa prose… libérale ?De la lisser en tout casJe ne sais pas… Je n’ai pas vraiment eu ce problème parce qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une adaptation. C’était un script original. Mais L.A. Confidential est un bon film.Un chef d’œuvre. Mais une très mauvaise adaptation.Je vois ce que vous voulez dire. A mon avis quand les gens bossent sur une adaptation d’Ellroy, ils restent dans le genre très codifié du polar. Les scénaristes s’accrochent aux clichés du genre : on en fait des cop movies ou des crime movies, mais dans un sens finalement très conventionnel, très conservateur même, alors que les bouquins d’Ellroy explosent finalement ces genres pour aller ailleurs. Conséquence jusqu’à présent, Hollywood n’a gardé d’Ellroy que ses histoires. C’est un storyteller génial, mais on oublie que c’est surtout un créateur de personnages déments. Il a une approche presque hallucinée de ses personnages justement, explosive. Et si ça peut faire peur à Hollywood, c’est à mon avis ce qui fait la richesse de son œuvre. Sur Rampart je voulais respecter ça, ne pas faire un film qui raconte une histoire, mais qui épouse les affres de Dave Brown. C’est un film free, avec une structure mouvante, un puzzle psychologique rempli de trou dans lesquels les choses ne sont jamais très claires. Quand on me demande ce qu’est vraiment Rampart, je dis que c’est la description clinique d’un état d’esprit. Ce n’est pas un film sur ce qui se passe, sur des événements très précis, et au fond l’histoire (le scandale, la chasse à l’homme) est finalement très suggérée. Le spectateur doit comprendre et accepter que ce qui se passe n’a plus beaucoup d’intérêt. Ou en tout cas, que le véritable enjeu, c’est le personnage. Sa trajectoire.C’est pour ça que, contrairement au script d’Ellroy, le scandale Rampart n’est qu’une toile de fond dans votre film ?Oui, parce que pour moi, Rampart est plus qu’un problème de corruption. C’est un quartier, une attitude, un état d’esprit, un scandale évidemment, c’est aussi – et ça vient du Français, dont je ne vous apprend rien - la défense d’un château. La situation des flics de L.A. correspond bien à ça : ce sont des soldats en état de siège. En tout cas, c’est comme ça qu’ils se vivent. Finalement, peu de gens connaissent le scandale Rampart et du coup, je voulais dépasser un peu cette problématique. Mais du coup, votre ambition, votre horizon artistique, c’était moins Sur Ecoute que The Shield ? Moins un film sur la société que sur un personnage…C’est amusant de résumer le film comme ça… L’idée c’est que le scandale Rampart a pu se produire parce qu’il y avait des flics en crise comme Dave Brown. En lisant le script d’Ellroy, j’ai tout de suite eu l’impression que le vrai sujet c’était le pouvoir, la sexualité. Et quand on approche cette zone, quand on décide de parler de ça, en fait tout se réduit à un seul mot : « masculinité ». C’était en tout cas ma grande inspiration pour ce film. Je voulais décrire un homme en crise qui incarne toutes les caractéristiques, tous les traits d’une société patriarcale. Il a le pouvoir de l’uniforme – quasi militaire. C’est le roi de son foyer et le roi dans la rue. Il vit où il veut, possède son harem, chasse les femmes… C’est un dinosaure. Un type qui ne veut pas changer alors que la société autour de lui évolue. Le scandale Rampart apparaît au moment où tout change. TOUT, sauf les mecs comme lui. Les types qui voient leur monde s’effondrer et s’accrochent...… et tentent encore de dominer leur univers.Right ! D’où le rôle des femmes. Ce sont elles qui l’entraînent dans cette spirale infernale. Elles qui le dénudent, et qui lui enlèvent les oripeaux de pouvoir. A la base, dans le script d’Ellroy, il y avait une phrase en voix off qui m’a longtemps hanté : « Rampart. This is my end of watch report and my goodbye to the women ». James est un écrivain obsédé par les femmes, par leur pouvoir. Dans le film, ce sont elles qui, à la fin de la journée, laissent Dave Brown seul face à ses démons. Dave refuse d’évoluer dans un monde en pleine mutation. Et ce sont elles qui font changer les choses. Je suis persuadé que ce sont les femmes qui nous sauveront et qui feront bouger la société. Ce sont elles qui nous sauveront de personnages comme Dave Brown. J’ai l’impression que quand je dis ça, je parle finalement plus de la société que de Dave Brown.On parle de Woody Harrelson ?Bien sûr ! Sans lui, le film serait différent. Il a perdu 15 kilos pour le rôle, mais il s’est surtout mis dans la tête de ce personnage. Le problème c’est qu’il était tellement dans la paranoïa, que ça l’a changé. Ses amis lui disaient qu’il perdait son sens de l’humour, qu’il se prenait trop au sérieux. Il m’a même dit qu’il était en train de perdre sa famille… Quand je l’ai revu, il m’a confié que ça lui avait pris 3 mois pour sortir Dave Brown de sa tête.Interview Gaël GolhenRampart d'Oren Moverman, avec Woody Harrelson, Robin Wright, Sigourney Weaver, aujourd'hui dans les salles : De Tueurs nés à Rampart, Woody Harrelson commente ses plus grands rôles