17 romans au compteur et des millions de lecteurs à travers le monde. Avec sa série Jack Reacher, Lee Child est devenu une star du roman noir. Alors que l'adaptation avec Tom Cruise sort mercredi prochain dans les salles françaises, il est revenu sur l'adaptation de son roman par Christopher McQuarrie.Propos recueillis par Gaël GolhenJack Reacher contre Tom Cruise ?"Il fallait nécessairement une star pour faire le film – rien que pour assurer le financement. Sans Tom, aucun studio n’aurait eu les couilles de faire Jack Reacher. Je me suis tout suite posé la question : est-ce que mon Reacher n’allait pas être forcément englouti par la puissance de la star ? Pour être honnête, connaissant le pouvoir de Tom, j’ai eu peur qu’il vole la vedette, mais je me suis vite rendu compte qu'il n’avait que peu d’égo. Un exemple ? Quand j’ai vu Christopher McQuarrie filmer la scène de poursuite, j’ai su que c’était gagné. Tom est un excellent driver, il aime les bagnoles et sait les maîtriser. Qu’il accepte de faire semblant de mal conduire, qu’il se mette en danger et fasse comme s’il était nul au volant m’a fait comprendre qu’il ne lutterait pas contre Jack Reacher. Il avait décidé de le servir."Tom, Jack et la séduction"Si Tom est une star des films d'action, c’est aussi le lover qu’on a aperçu dans des comédies romantiques… Sur Jack Reacher, il a clairement décidé de jouer avec son image de beau gosse. Regarde bien : il ne sourit pas – alors que c’est sa marque de fabrique. Il ne court pas partout et dans tous les sens ; il est posé, réfléchi et beaucoup moins instinctif que dans ses autres films d’action. Il y a peut-être un peu plus de séduction que dans mes romans. Mais ça passe par le personnage de Rosamund Pike. Tom, lui, est badass. Sans merci."Un problème de taille ?"Trouve-moi une star de 1 mètre 90, un acteur de ce talent capable de porter sur ses seules épaules un film comme ça et qui soit bâti comme une armoire à glace. Après tu pourras liker la page facebook "Tom Cruise is not Jack Reacher"."Pas d’implication"Je n’ai pas voulu intervenir dans la production. Parce que je savais que j’allais manquer d’objectivité et que je risquais de tout bousiller. Ma présence aurait aussi paralysé l’équipe. J’ai une idée très précise de qui est Reacher. Je sais à quoi il ressemble, comment il bouge, comment il parle. Mais là, c’est autre chose. Et je n’aurais pas su forcément faire la transition au cinéma. Il faut accepter que ton personnage t’échappe pour qu’il renaisse sous une autre forme… C’est une forme de deuil que je suis prêt à faire, mais pas jusqu’au point de porter les coups de couteau (rires). Je suis resté éloigné de tout ca, mais j’avais entièrement confiance en l’équipe. Christopher McQuarrie et les producteurs étaient vraiment fans de la saga. Par exemple, ils avaient besoin d’une bonne scène de négociation entre Jack et les méchants. Plutôt que de l’inventer, ils ont été la prendre dans un autre roman. Toute la séquence où Tom est au téléphone dans le bar et menace les ravisseurs vient de Pas droit à l'erreur (Without Fail). J’avais parfois l’impression que Chris connaissait mieux les romans que moi. D’ailleurs, quand j’ai vu la scène où Reacher quitte la voiture et se glisse dans le bus, j’étais jaloux. J’aurais vraiment aimé écrire un truc pareil."Le caméo"J’ai trouvé ça marrant. D’abord c’était important pour Chris qui voyait cette scène comme un passage de flambeau. L’auteur passe symboliquement le personnage à la star… Et puis ça m’amusait. Je me suis régaler avec le dialogue qu’ils m’ont refilé sur la police".Une question de rythme"McQuarrie a réussi à capter un élément essentiel de mes romans : l’humour. Reacher est un type marrant, vraiment. C’est un humour sec, un peu cynique, mais ça claque et le scénario a réussi à conserver cet aspect. Surtout dans le rythme : Reacher a toujours cinq secondes d’avance sur tout le monde. Il est toujours là à attendre que les autres rattrapent sa pensée. Du coup, les romans ont deux logiques temporelles : la rapidité de sa pensée et l'histoire qui doit montrer la logique des événements. Le film est construit comme ça : chaque scène est lente, construite pour que les choses se mettent en place, mais le film va à la vitesse de Reacher, très vite. Ca crée un paradoxe que j’adore."Un héros américain…"Jack Reacher est un héros américain, et quand je l’ai écrit, j’avais en tête les héros solitaires des westerns. Mais ça va au-delà de l’Amérique. Les Japonais ont les ronins, les Anglais Robin des Bois… Ce sont des constructions mythologiques, des fables. Reacher, au fond, c’est un redresseur de torts. C’est un archétype, un personnage qui comble nos fantasmes et permet la catharsis. Les gens ont besoin de ce genre de projection pour donner du sens au monde. On aimerait tous pouvoir faire le bon truc au bon moment, mais on a peur, ou on est trop compromis... et ça fait du bien de voir des gens faire ce qu'on n'ose pas faire – même dans la fiction. C'est amusant parce que le film m'a fait toucher du doigt un truc bien précis : je sais depuis des années que les hommes aimeraient être Jack Reacher, mais ce que j’ai découvert c’est que les femmes aussi ! Je pensais qu’elles l’admiraient, mais en fait elles rêvent d’ETRE Reacher. Bizarrement, pour moi, ça cadre assez bien avec ce qu’incarne Tom."Reacher et Hollywood"Brad PittHugh Jackman et Will Smith ont tous à un moment été intéressés par un film sur Reacher. Mais c’est compliqué de mettre sur pied un projet pareil. A première vue mes romans sont taillés pour le cinéma : il y a de l’action et du suspens. Mais le problème c’est que tous ont achoppé sur l’excentricité du personnage, et ses réactions imprévisibles. Et puis, il fallait être prêt à faire un blockbuster à l’ancienne – dont les modèles restent les thrillers 70’s. Aujourd’hui, à Hollywood, alors que règnent les zombies et les superhéros, c’est compliqué".