Premier film du réalisateur russe Kantemir Balagov, Tesnota coupe l’oxygène pour diffuser ses réflexions identitaires et sacrificielles.
Au rayon des films russes exécutant la radiographie de leur pays par la lorgnette du fait divers, 2017 avait offert le très âpre Faute d'amour, 2018 sera l’année de Tesnota – Une vie à l’étroit. Fin des années 90, Caucase du Nord. Deux jeunes gens de confession juive sont kidnappés juste après leur mariage. Le paiement de la rançon occasionnera de multiples remous au sein de la communauté, reflets grossissants de l’état de l’État. La méthode employée par Kantemir Balagov, jeune cinéaste de 26 ans, est didactique mais imparable : le format 1:33 nous enferme dans un enclos, la caméra se glisse dans des pièces toujours trop exiguës, encombrées d’objets et de gens, la profondeur de champ est une notion ennemie, et chaque ligne de fuite une maigre délivrance. Cet anti-paysagisme force l’immersion dans un espace aux codes inconnus : étouffé, on comprend que cette société est étouffante, ses normes étroites, son intégration fragile. D’une scène d’intimité frère-sœur suggérant l’inceste, filmée de nuit entre deux murs, au plan-programme de l’enfermement dans un coffre de voiture, tout concoure ici à l’asphyxie, au risque de nous épuiser. La grande force du film tient dans son choix de dévier du fait divers pour suivre un personnage secondaire : la sœur rebelle et intense du kidnappé, dont l’envie de respirer devient la nôtre.
Universalité
Dans ce rôle, la jeune Darya Zhovner est une révélation. Sa formation au prestigieux institut de théâtre de Moscou la distingue d’emblée des acteurs habitués à la caméra : son corps animé de pulsions violentes, son visage parcouru d’émotions contradictoires, ne cessent de déborder du cadre étroit (celui du film, celui de son environnement). Beauté sauvage en cage, elle éprouve la résistance des barreaux, se bat contre tous et surtout contre elle-même. À travers sa relation avec son amant de la communauté kabarde, le film va aussi puiser dans des mythologies fédératrices : on pense bien sûr à Roméo et Juliette, avec un juste surplus de nausée contemporaine. C’est ainsi que Balagov dépasse son système de mise en scène et ses ambitions microsociologiques pour secouer des thèmes universels : ceux du sacrifice et de l’émancipation.
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