La love story fantastique du réalisateur mexicain a submergé la Mostra et remporté le prix suprême
Guillermo Del Toro repart donc avec le Lion d'Or de Venise pour The Shape of Water. Le film avait ému la lagune lors de sa projection, mais aujourd'hui, il remporte donc le prix le plus prestigieux de la compétition, réussissant à mélanger, amalgamer même, toutes les facettes d'un cinéaste protéiforme.
Parce qu'au fond, c'est la grande question : quel Guillermo Del Toro préférez-vous ? L’esthète ami des monstres, le poète délicat et « sérieux » de L’Echine du Diable et du Labyrinthe de Pan ? Ou l’artisan infiltré dans les studios, qui s’éclate à réaliser ses rêves de gosse, celui de Blade 2 et d’Hellboy ? Les deux sont bien sûr un seul et même cinéaste, et toute l’œuvre du Mexicain est justement guidée par l’envie de démontrer que ce genre de dichotomie est caduque, que le vieux schéma du « un film pour eux, un film pour moi » ne signifie plus grand-chose aujourd’hui, qu’on peut sincèrement estimer aussi important de raconter un récit initiatique pendant la guerre civile espagnole que de filmer des monstres et des robots géants se foutre sur la gueule… Voilà pour la théorie. En pratique, Pacific Rim a beaucoup divisé et Crimson Peak faisait craindre que son talent ne se fige dans une imagerie stérile, une joliesse tournant à vide, une prison dorée à la Tim Burton. On avait un peu perdu le fil avec Guillermo Del Toro.
Guillermo Del Toro va faire son "Voyage fantastique" l’année prochaine
Bonne nouvelle pour le fan-club (et le reste du monde) : The Shape of Water vient balayer tous les doutes, toutes les hésitations, en réunissant dans un même film-somme les différentes facettes du cinéaste, le poète ultra-sensible et l’entertainer universel. C’est un évident triomphe artistique. Incontestable. On peut parier sans prendre beaucoup de risques que ce sera son opus le plus adulé par la critique depuis Le Labyrinthe de Pan. Mais aussi, sans doute, un grand succès populaire, doublé d’un concurrent de poids dans la course aux Oscars. C’est en tout cas ce qu’indiquait l’immense râle de satisfaction qui a retenti hier après la première mondiale du film à Venise. Les critiques dithyrambiques tombent les unes après les autres, on parle de Sally Hawkins comme une prétendante crédible à l’Oscar de la meilleure actrice… La saison desawards vient manifestement de commencer.
Sally Hawkins est en effet merveilleuse dans le rôle d’une femme de ménage muette menant une vie solitaire et tristounette dans l’Amérique de la Guerre froide (on est en 1962), une sorte d’Amélie Poulain sixties partageant son temps entre ses visites à son voisin, un peintre déclassé (Richard Jenkins) et son boulot dans un laboratoire scientifique où les savants en blouse blanche et les émissaires du gouvernement sont obsédés par la compétition avec l’ennemi soviétique. Tout va basculer pour elle quand elle rencontre une créature mystérieuse enfermée dans un recoin top secret du labo, un cobaye maltraité évoquant un croisement entre l’Etrange Créature du Lac Noir et l’Abe Sapien d’Hellboy.
C’est une romance façon Belle et la Bête à laquelle Del Toro nous convie, un récit extrêmement classique de rencontre avec l’altérité freak, de course-poursuite avec les méchants du FBI, de découverte de soi à travers l’autre. Presque un jumeau du récent Okja de Bong Joon-ho, mais twisté d’emblée par sa dimension sensuelle, sexuelle (une scène de masturbation dans les trois premières minutes du film), qui contraste avec l’enrobage feel-good de l’ensemble et donne sa dynamique au film. Au pied de l’immeuble où habitent Sally Hawkins et Richard Jenkins, il y a un cinéma, une belle salle rococo à l’ancienne qui projette des films bibliques et des comédies musicales, comme pour bien indiquer l’ambition du film (la mythologie comme horizon, le rythme comme boussole) mais Del Toro se refuse pourtant à être trop méta, recherchant au contraire une sorte de pureté de l’émerveillement, de « virginité » de l’émotion, cherchant à nous faire croire qu’on nous raconte ce genre de conte pour la toute première fois. Ce n’est pas vrai, bien sûr, mais l’illusion marche à plein, enrobée dans une forme ouatée, caressante, un triomphe à tous les étages de l’édifice (direction artistique à tomber, score voluptueux d’Alexandre Desplat, extraordinaire fluidité du récit, Michael Shannon plus méchant que jamais…), qui vous prend d’emblée par la main pour ne plus vous lâcher. Mais on ne voudrait pas vous mettre trop l’eau à la bouche non plus…
Patience : le film ne sort en France que le 21 février.
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