Dites-nous sincèrement si vous avez accepté The Two Faces of January pour être dans le premier long métrage du scénariste de Drive ? Non car je connaissais le travail de Hossein bien avant de voir Drive ! II y a dix-huit ans, il avait déjà écrit le script de Jude, de Michael Winterbottom. Un gage de qualité... Il voulait réaliser cette adaptation du roman de Patricia Highsmith depuis des années. Vous n’imaginez pas toutes les galères qu’il a connues, sa détermination m’a bluffé. La vraie surprise a été qu’il maîtrisait les choses, tout en restant ouvert aux suggestions. Il savait raconter une histoire, placer sa caméra, diriger les acteurs et créer une atmosphère détendue. Ceux qui réalisent leur premier long métrage ne sont généralement pas aussi expérimentés.En voyant le film, on pense à Plein Soleil, de René Clément (1960)... C’est revendiqué. Patricia Highsmith avait publié The Two Faces... neuf ans après The Talented Mr. Ripley (qui a inspiré Plein Soleil) sans rencontrer le même succès. L’action se déroule également en Europe dans les années 50 et les mêmes questions sont soulevées, entre autres celle de la vision qu’on avait des Américains sur le vieux continent. À l’époque, ces derniers faisaient l’objet de préjugés : pour les Européens, ils aimaient claquer leur argent et voyageaient pour le plaisir. Par la suite, Richard Nixon a abîmé cette image et a changé la perception des Américains à l’étranger.On retrouve aussi l’ambiance des films noirs hollywoodiens des années 40. Vous aimez ce genre ? Sans plus. Lorsque Hossein est venu me présenter son projet en 2010, il avait sous-entendu que The Two Faces... respecterait les conventions des films noirs et celles des films d’arnaque. Ces genres ne m’ont jamais passionné, même si j’y vois un plaisir du jeu, de la joute oratoire. Pour être convaincu, j’avais besoin de gratter le vernis afin de comprendre les enjeux. Hossein m’a alors dit : « Ces personnages ne sont ni bons ni mauvais. Ils se mentent, pensent manipuler ou avoir une ascendance sur l’autre, mais à la fin, ils perdent. » D’emblée, je voyais le film. J’aimais l’acuité psychologique, la noirceur, l’immoralité qu’il y avait dans le scénario, le tout plongé dans un décor de rêve. Comme quelque chose qui pourrit au soleil.Vous n’avez pas participé aux deux derniers films de David Cronenberg (Cosmopolis et Maps to the Stars). Y a-t-il de l’eau dans le gaz entre vous deux ?Non, mais David est un peu comme moi, il ne planifie rien. Il est plus instinctif que théorique. C’est pour cette raison qu’il connaît plus de difficultés que les autres cinéastes. Les producteurs n’aiment pas qu’on leur désobéisse, et David prend un malin plaisir à se mettre en danger, à changer l’histoire, l’époque et le genre. A Dangerous Method (2011) a été une prise de risques incroyable dans sa carrière. Les journalistes n’ont d’ailleurs pas bien compris ce qu’il proposait avec cet étrange film, trouvant que Keira Knightley en faisait des tonnes, etc. Je suis certain que, dans dix ans, le film sera réévalué, tout comme eXistenZ (1999), très sous-estimé en son temps alors qu’il faisait passer Matrix pour du Disney. Cela dit, David ne perd jamais d’argent. Il finit ses tournages dans les temps sans dépasser le budget et, surtout, il fait de bons films. Où est le problème ? (Rire.)Vous vous illustrez autant dans un cinéma mainstream que dans des films underground. Où vous sentez-vous finalement le plus à l’aise ?En tant qu’acteur, je me rends compte qu’un long métrage comme The Two Faces of January comble mes attentes. J’adore la psychologie des personnages qui y est développée, les rapports de force et de séduction, les jeux mentaux, les non-dits. Cela peut surprendre, mais le film sur lequel j’ai pris le plus de plaisir reste Appaloosa (Ed Harris, 2008). Sans doute parce que mon personnage communiquait au-delà des mots. J’ai retrouvé cette qualité de jeu dans The Two Faces... Sur le tournage, avec Oscar (Isaac) et Kirsten (Dunst), on partageait cette même jubilation.Vous semblez être un acteur studieux qui tente de se cultiver avec chacun de ses rôles. Est-ce le cas ? Je cherche à chaque fois une nouvelle expérience, quelque chose que je ne connais pas ou que je connais mal. The Two Faces... m’a permis de découvrir l’histoire de la Grèce antique. Je n’ai pas de plan de carrière, mais je sais que je peux me permettre de tourner dans un long métrage à tout petit budget. Là, je viens de faire un film français, Loin des hommes, réalisé par David Oelhoffen. C’est adapté de L’Hôte, une nouvelle d’Albert Camus extraite du recueil L’Exil et le Royaume, et l’action se déroule pendant la guerre d’Algérie. Mes connaissances étaient limitées sur le sujet et j’ai appris énormément, notamment sur Camus. Je n’aurais jamais lu ses journaux ni sa correspondance si je n’avais pas accepté ce rôle. Je le trouve infiniment plus honnête que Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir. En fait, je prends chaque tournage comme une chance d’ouvrir une porte et de constater mon ignorance.Interview Thomas AgnelliThe Two Faces of January de Hossein Amini avec Viggo Mortensen, Kirsten Dunst et Oscar Isaac sort demain dans les salles.