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Au cinéma, on voit beaucoup, on écoute moins. Le son est le parent pauvre d’une image qui lui est supérieure par nature, le cinéma ayant été d’abord muet. Godard ou Duras, on plusieurs fois remit en cause cette hiérarchie, obligeant le spectateur à dresser l’oreille pour mieux appréhender un monde volontairement asynchrone. C’est un bruit, un « bang » qui envahit tout le cadre de Memoria. Jessica Holland (Tilda Swinton, magnétique), Anglaise exilée à Bogotà l’a entendu et cherche à en retrouver la trace, la nature. L’invisible doit donc s’incarner pour exister. Jessica demande d’ailleurs à ingénieur du son de récréer ce bruit par ordinateur. Le souvenir peut soudain remonter à la surface d’un monde capable de l’accueillir. C’est l’une des quêtes spirituelles et artistique de toute l’œuvre d’Apichatpong Weerasethakul, déjà palmé sur la Croisette (Uncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures…), où il a décroché cette année un Prix du jury pour ce présent Memoria. Chez lui, la léthargie, l’engourdissement des sens, permettent aux portes de l’inconscient de s’ouvrir et de venir jusqu’à nous. Memoria est en cela un film profondément organique, vibrant de partout. Chaque élément devient ici une matière vivante dont l’âme mystérieuse saute au visage. Chaque film du Thaïlandais envoie un sortilège au spectateur. Face à tant de grâce, l’image et les sons s’interpénètrent pour parler d’une même voix. Memoria était assurément le film le plus intrigant du dernier Festival de Cannes.