Toutes les critiques de Tiresia

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Tiresia, joue sur des oppositions de langage entre le masculin et le féminin, le présent et le futur, qu'il rapporte à des oppositions visuelles entre le jour et la nuit, le visible et la vision intérieure, pour faire surgir un monde sur la limite où les contraires se rejoignent.
    Préoccupée d'une différence entre les mots et les choses, d'une soustraction que l'image pourrait opérer des uns aux autres, la fiction qui s'ouvre par un long plan rougeoyant et abstrait de lave en fusion, nous invite à entrer dans le magma vers un degré zéro du sens, du langage et de la représentation qui coïnciderait avec sa plus grande intensité, sa plus grande capacité d'invention.Le film s'articule autour du personnage de Tiresia (Clara Choveaux - Thiago Telès), à travers une série de rencontres et de déplacements qui déterminent dans la fiction les changements d'état de son corps à l'écran. D'abord séquestrée par Terranova (Laurent Lucas) qui la trouve au cours d'une séquence nocturne dans un sous-bois où elle se prostitue avec d'autres transsexuels, Tiresia est privée de ses médicaments et prend peu à peu l'apparence d'un homme. Son ravisseur, incapable de l'aider, la violente alors et l'abandonne inerte, les yeux crevés, dans la campagne. Le personnage est recueilli par Anna (Célia Catalifo) qui le soigne. L'action jusque-là systématiquement plongée dans la nuit, bascule dans le jour. Au terme de sa convalescence, Tiresia est devenu un homme, aveugle et voyant. Les deux moment de son incarnation dont la transformation est d'autant mieux accomplie à l'image qu'il est interprété par deux acteurs différents sont reliés, non seulement par le prénom, mais encore par l'absence de choix où il dit avoir toujours été quant au déroulement de son existence. En retrait de ce qui lui arrive, Tiresia questionné par les autres personnages parle d'une façon à la fois intérieure et extérieure. La langue étrangère (le français) dans laquelle il s'exprime (le personnage est brésilien, clandestin), et le défaut de la grammaire pour traduire son histoire (notamment celui des pronoms personnels, il, elle et des temps présent et futur), reportent cette extériorité dans les dialogues.« Il y a quelque chose en plus et c'est une grande fête (dit Tiresia à plusieurs reprises), mais c'est une fête désespérée parce qu'on ne choisit pas. » Être à la fois homme et femme, comme être à la fois aveugle et voyant, c'est être à la limite de ce qui peut se dire. Tenter de montrer cela, c'est chercher au point de rupture du langage une limite de ce qui peut être vu, presque une vision. Pour Bonello, la situation à cette limite ne relève pas du choix, mais de l'acceptation d'un destin de la matière qui excède le langage. D'où, une grande simplicité de la mise en scène. L'image des corps comme celle des visages ou des paysages, leur présence immobile dans la lumière du jour, ou dans la nuit suffisent, par la longueur des plans et la qualité d'écoute qu'elle installe, à indiquer l'inquiétante étrangeté d'une réalité échappant à la définition du verbe. Le plan tournant au musée du Louvre, sur la sculpture de l'hermaphrodite endormi, en suivant l'enroulement du corps sur lui-même, montre le glissement de la sculpture hors du mot « femme » qui l'accompagne, quand apparaît à demi caché sous elle un sexe d'homme. Il est rejoué deux fois par la suite, lors de la première toilette de Tiresia, par le retournement du personnage devant la caméra. Nous voyons d'abord une femme de dos, puis de face une femme au sexe masculin. Et au cours d'une scène à demi rêvée où, partant de son visage, le plan s'ouvre sur son corps enlacé par un homme et une femme qui s'écartent peu à peu, découvrant à nouveau le sexe. D'une certaine façon le corps de Tiresia apparaît à ce moment comme la somme des deux corps qui l'entourent. Mais c'est une addition qui présente aussi leur soustraction. De même, l'oracle soustrait à l'expérience le temps de sa réalisation.D'un côté le corps de Tiresia prend une place hors du système du langage : on ne peut pas dire ce que l'on voit en le regardant sans recourir à une addition des deux polarités opposées homme/femme, qui réduit l'expérience intérieure vers laquelle tout le film est tendu. De l'autre, Tiresia aveugle peut dire le futur par la vision intérieure qu'il en a, mais ces mots rendent l'existence impossible pour ceux qui les entendent. Une fois que l'oracle est dit, il n'y a plus rien à faire ! Bonello, à la limite, en s'appuyant sur ce que l'apparence transporte d'indéterminé et de mystérieux, pose la question d'une autre grammaire imaginable pour appréhender le réel.Tiresia
    Réal. : Bertrand Bonello
    France/Canada- 1h55 - couleur - 35mm.
    Avec : Laurent Lucas, Clara Choveaux, Thiago Telès, Célia Catalifo, Lou Castel
    Distributeur haut et Court
    Sortie le 15 Octobre 2003
    - Le site du film sur www.hautetcourt.com