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Le producteur de Cigognes et Compagnie revient sur la création du nouveau film d’animation de Warner Bros et évoque son expérience chez Pixar. Entretien.

Nicholas Stoller adore improviser sur ses tournages. Comment cela s’est concrètement passé avec Cigognes et Compagnie ?
C’est la partie la plus fascinante du travail avec Nic Stoller. C’est un génie de l’improvisation, il carbure à ça. Sauf qu’on n’est pas habitué à cette façon de faire dans l’animation. Là, le film est entièrement basé sur l’impro, ce qui rend les dialogues de Cigognes et Compagnie bien plus naturels. Beaucoup de choses ont changé au dernier moment, avant qu’on ne lance l’animation, parce que Nic avait eu une idée de dernière minute et qu’il ne souhaitait plus du tout faire la scène qui était prévue. Mais à côté de ça, il nous a vraiment encouragés à garder intact ce qui marchait. Parce que parfois dans l’animation, on retravaille tellement les choses qu’on y perd l’inspiration originale, ce qui faisait que la scène marchait. 

Ça, c’est un pur travail de producteur.
Oui, mais c’est d’autant plus facile quand le réalisateur est d’accord ! En tant que producteur, on doit effectivement repérer quand quelque chose marche. Savoir dire aux gens : « Ça va, c’est bon. C’est suffisant ». C’est terriblement effrayant ! Surtout dans ce business, parce qu’on veut que tout soit parfait. À chaque seconde du film, il faut prendre une décision. Pour moi, il n’y a pas assez de producteurs créatifs dans le métier, des gens qui comprennent les artistes et leur font confiance. Beaucoup ont une vision très pragmatique : quel budget, quel planning… Mais la vie n’est pas comme ça ! Parfois on comprend dans la seconde ce qui va marcher, parfois ça prend des mois.

Le film devait être dans les salles en 2015. C’est la part d’improvisation de Nicholas Stoller qui a repoussé la sortie ?
Ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Il y a eu le succès de La Grande Aventure Lego, on savait qu’on allait arriver derrière. Et dans l’animation, si on ne tient pas exactement les personnages et l’histoire en commençant la production, c’est vite compliqué pour la suite. Donc on est resté un peu flou sur la date de sortie et on a laissé le studio gérer ça. Il fallait qu’on soit prêt, je ne voulais pas compromettre la qualité du film en démarrant trop tôt.

Premières images de Cigognes et compagnie

Et il n’est effectivement pas simple de prendre la suite d’un succès comme La Grande Aventure Lego, avec un film qui n’a rien à voir.
J’ai beaucoup d’expérience dans le contenu original. Et ça tombe bien, c’est ce qu’ils voulaient chez WAG (NDLR : le Warner Animation Group, nouvelle branche d’animation du studio). Il n’y a jamais vraiment eu de pression… Vous allez croire que je vous mens mais on nous laisse une incroyable liberté. 

Plus que chez Pixar, chez qui vous avez travaillé ?
Warner Bros a toujours été derrière ses réalisateurs. Ils aiment quand un film est unique. On leur montre le long-métrage à plusieurs moments-clés et tant que ça leur va, ils nous fichent une paix royale. Ailleurs, c’est un peu différent, il y a moins de liberté pour l’équipe de production. Les choses se décident à la tête du studio.

Vous avez produit Ratatouille pour Pixar, qui a changé de réalisateur en cours de route.
Jan Pinkava a un talent incroyable. Mais c’était son premier film. Avec une date de sortie calée, le studio devait s’assurer que tout serait terminé dans les temps. Dans ces cas-là ils ont tendance à s’appuyer sur ceux qui ont fait leurs preuves pour terminer le job. Quand ils sentent qu’il leur faut un vétéran, ils n’hésitent pas. Pixar a souvent fait ça. Au final, Ratatouille a l’âme de Jan mais aussi la réalisation incroyable de Brad Bird

Lors de votre présentation de Cigognes et Compagnie, vous expliquiez qu’on n’est jamais vraiment content d’une suite quand on n’a pas réalisé le premier film. Vous parliez d’expérience, vous qui avez co-réalisé Cars 2 ?
Un peu, oui. Ce n’est jamais facile de faire une suite, même si on était déjà sur le premier. Chaque réalisateur a sa vision des choses, son interprétation de ce que doit être le coeur du film. Il faut rester fidèle aux personnages mais en même temps les emmener vers ce qu’on croit être la bonne voie pour eux. J’ai passé deux ans et demi sur Cars 2 avant que John Lasseter ne vienne m’aider à réaliser le film, et je crois que j’ai su apporter de la fraîcheur. Après, il fallait bien que John s’assure que ses personnages restent ceux qu’il a inventés avec Joe Ranft…

La méthode de production des films d’animation de studios aux États-Unis est très cadrée. On est à Annecy, l’endroit rêvé pour voir ce qui se fait dans le monde entier. Qu’est-ce que vous gardez de la façon de produire de l’animation à l‘étranger ?
On est tous exposés artistiquement aux productions d’autres pays. La fabrication des films d’animations de studios américains est aujourd’hui internationalisée, mais c’est vrai qu’il reste encore des pays où il n’est pas aussi important de gagner de l’argent que de faire un « statement ». Et c’est ce qu’on a tous envie de faire ! C’est parfois un fardeau d’avoir à gérer un produit destiné au plus grand nombre, qui doit rapporter. Mais, au fond, on veut tous la même chose : faire un film qui a une âme. J’ai travaillé sur les voix américaines de Ponyo sur la falaise, et il a fallu comprendre profondément les intentions de Miyazaki. À quel point il laisse le champ libre à l’interprétation, comme il ne répond pas à toutes les questions. Ça reste en vous, forcément, l’idée qu’il ne faut pas tout expliquer. Et on essaie de ne pas noyer un concept dans la grande machine à laver du marché de masse.

Interview François Léger

Cigognes et compagnie sortira le 12 octobre 2016 en France.