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Après la Comédie-Française et l’Opéra de Paris, le documentariste américain Frederick Wiseman pénètre une nouvelle institution artistique parisienne : le Crazy Horse. Une immersion fascinante dans le « temple du nu chic ».Le cinéaste américain Frederick Wiseman est une légende vivante du documentaire. Sa marque de fabrique ? Pas de commentaire en voix off, pas de musique additionnelle, un effacement total de la caméra et de l’équipe de tournage pour une immersion brute et de longue durée au sein d’une communauté, d’une institution. Le spectateur devient alors la petite souris invisible qui saisit le monde depuis l’intérieur. Ou plutôt les micro-mondes qui constituent la société nord-américaine : hôpital, collège, commissariat de police, tribunal pour mineurs, centres d’aide sociale, logements sociaux, chambres du Parlement… Mais son exploration ne se cantonne pas uniquement aux Etats-Unis, Frédérick Wiseman ayant également immiscé son dispositif de travail dans trois haut lieux de la création artistique française : la Comédie-Française (La Comédie Française ou l'amour joué, en 1996), L’Opéra de Paris (La Danse, 2009) et… le Crazy-Horse, temple parisien du « nu chic ». Comme toujours, ce qui meut Wiseman, c’est l’envers du décor, l’ambiance des coulisses, le fonctionnement interne de ces ruches communautaires régies par des règles spécifiques à chacune. Mais là où son film sur le ballet de l’opéra infiltrait en profondeur tous les corps de métier impliqués dans son organisation interne, laissant peu de place aux spectacles en eux-mêmes, son regard sur le Crazy Horse semble plus se concentrer sur les numéros des danseuses tels qu’on peut les voir dans la revue Désirs, présentée au public actuellement. Evidemment, il y a toujours ce savoureux plaisir à se glisser par la petite porte pour assister aux séances d’essayage avec la styliste, à un enregistrement de chanson avec Philippe Katerine, aux réunions administratives et pourparlers artistiques, à la mise en place de la salle avant l’entrée des spectateurs, aux répétitions, et même aux auditions… en bref, à être là où l’on ne devrait pas être, au cœur des tensions, des pics de stress, des moments privilégiés de la création. Mais, cette fois, et c’en est presque amusant, on a l’impression que Wiseman s’est laissé hypnotiser par les filles du Crazy, filmant plus longuement ce qui se passe sur le plateau (les répétitions des numéros et le show lui-même) que la cuisine interne de l’établissement, au-delà des strass et des paillettes. Le film nous laisse avec un léger sentiment de frustration, celui de ne pas avoir creusé plus certains enjeux essentiels comme l’intégration de Philippe Decouflé pour venir renouveler la revue, la mixité de l’équipe des danseuses qui en découle, la collaboration entre le chorégraphe et Ali Mahdavi, directeur artistique de la revue, la conciliation entre ambitions artistiques et exigences économiques… On est en revanche repu de fesses sublimes à toutes les échelles de plans, sous toutes leurs coutures et sous toutes les lumières. Car la caméra de Wiseman ne se prive pas, se régale du galbe des corps en mouvement, capte à merveille ce théâtre de l’érotisme fait d’ombre et de lumière, les différentes fictions du fantasme, cette machine à cultiver le désir inaccessible, à le démultiplier dans une esthétique de kaléidoscope envoûtant. Par Marie Plantin.Sortie le 5 octobre.La Bande annonce du film :