Bilan quotidien de la 17ème édition du festival du film francophone d’Angoulême.
Le film du jour : L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine
Il fut avec Vingt dieux et En fanfare (tous deux présentés ici à Angoulême), l’un des films français qui, hors compétition, avait profondément et durablement marqué les esprits lors du dernier festival de Cannes. Et l’emballement de mai sur la Croisette s’est confirmé hier lors de la présentation angoumoisine de cette Histoire de Souleymane, le troisième long métrage de Boris Lojkine, primé ici lors de ses deux précédents films (Valois de la mise en scène pour Hope en 2014, Valois de la meilleure actrice pour Nina Meurisse pour Camille en 2019).
Le réalisateur y met en scène deux jours décisifs dans la vie de son personnage principal, un Guinéen ayant fui son pays, livreur à vélo dans les rues de capitale. Quarante-huit heures avant de passer un entretien qui décidera si oui ou non sa demande d’asile sera acceptée. Lojkine filme donc un de ceux qu’on croise tous dans la rue tous les jours, sans lui jeter un regard. En 93 minutes sans temps mort, le film traduit la tension permanente qu’il doit affronter. La course permanente pour tout : l’angoisse d’une course refusée par un client à cause de quelques minutes de retard, la peur de rater le dernier bus du soir qui conduit à un foyer sous peine de dormir la rue, la crainte permanente qu’on découvre qu’il n’effectue pas ses courses avec sa réelle identité mais celle d’un autre qui lui prête la sienne en échange d’un pourcentage sur ses maigres revenus, faisant de lui son obligé.
Cette course contre la montre rappelle celle orchestrée par Eric Gravel dans A plein temps où la mère célibataire Laure Calamy tentait de jongler tant bien que mal – et plutôt mal que bien – entre son job de femme de chambre, ses enfants et ses entretiens pour décrocher un nouvel emploi dans un Paris bloqué par les grèves. Nulle trace de démonstration ou de sentimentalisme dans l’écriture et la réalisation de Lojkine. A mille lieux d’un mélodrame sociopolitique, L’Histoire de Souleymane raconte d’abord et avant tout une quête d’identité. Celle d’un homme qui a quitté sa vie, la femme de ses rêves et sa mère malade pour leur offrir un meilleur avenir et se retrouve exploité et broyé par une société de consommation qui tire avantage de lui autant qu’elle peut le faire avant de le jeter et de s’en prendre à un autre.
Un personnage que Lojkine ne quitte jamais des yeux, lui redonnant ainsi une existence et par ricochet une humanité alors que tout le pousse à échapper au regard des autres, tous assimilés à une potentielle menace. Un grand film incarné par un immense acteur non-professionnel (comme 99% du casting à l’exception de Nina Meurisse), Abou Sangaré, lui-même, dans la vraie vie, en quête d’une régularisation qui lui a été refusée… quelques jours après avoir reçu le prix d’interprétation de la section Un Certain Regard cannoise. Quand réalité et fiction se rejoignent.
Sortie le 27 novembre
Le duo du jour : Jeanne Balibar-Damien Bonnard dans Le Système Victoria
Retour à Angoulême pour Sylvain Desclous qui avait lancé ici même la jolie carrière au box- office de son précédent film, De Grandes espérances, porté par Rebecca Marder et Benjamin Lavernhe. Et c’est sur un autre duo que repose cette adaptation du roman d’Eric Reinhardt paru en 2011 : Damien Bonnard et Jeanne Balibar. Les deux héros de cette histoire d’amour aussi imprévue que passionnelle qui se noue entre le directeur de travaux d’une Tour à la défense et la DRH d’une grande multinationale, séductrice, manipulatrice dont le goût pour une liberté sans entraves va faire vriller cet homme jusque là sans histoire, idéaliste fasciné par son exacte opposée, prête à tout pour parvenir à ses fins.
Bonnard et Balibar brillent par leur manière toute en finesse d’incarner ce choc des contraires et l’alchimie qui émane d’eux, moteur d’une liaison dont on se demande à chaque seconde quand elle va finir dans le mur et voir cette prédatrice aller se chercher une nouvelle proie. Et à travers cette liaison aussi dangereuse que fatale, Desclous, fin observateur de la société française et d’une certaine lutte des classes qui ne s’est jamais totalement éteinte (de Vendeur à De grandes espérances), signe une parfaite parabole du capitalisme et du libéralisme qui, poussées à leur extrême, balaient tout sur leur passage, y compris les esprits les plus purs et en apparence incorruptibles
Sortie indéterminée
L’OVNI du jour : Kidnapping Inc. de Bruno Mourral
A l’image de L’Histoire de Souleymane, voilà encore un film où réalité et fiction n’ont fait qu’un tout un long d’un tournage plus que mouvementé où, entre autres joyeusetés, une grande partie de l’équipe a été kidnappée puis libérée au bout d’une bonne dizaine de jours contre une rançon alors que ce premier long métrage de l’haïtien Bruno Mourral raconte précisément… le kidnapping par deux bras cassés d’un fils de sénateur qui va vite les dépasser. Inutile de dire donc combien cette satire de la société haïtienne, notamment inspiré à son réalisateur par le propre assassinat de son père par des gangs en 2005 touche juste. Et ce avec un sens aiguisé de la comédie noire où l’absurde devient ici la meilleure des armes contre le déchaînement de violence et de corruption à tous les étages au quotidien.
Il y a du Scorsese et du Tarantino – influences pleinement assurées et parfaitement digérées - dans ce feu d’artifice permanent, épousant la décision saugrenue prise par les deux kidnappeurs après avoir accidentellement tué leur otage : kidnapper… un homme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau pour essayer de toucher la rançon exigée. Mourral mêle ici les genres avec une dextérité jamais prise en défaut et signe un film où il est quasiment impossible de deviner à la fin d’un plan ce qui se produira dans le suivant. Un OVNI, passé par la très prisée section Midnight du festival de Sundance, dont on espère qu’il trouvera un distributeur en France.
Sortie indéterminée
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