Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
MONSIEUR AZNAVOUR ★☆☆☆☆
De Mehdi Idir et Grand Corps Malade
L’essentiel
Grand Corps Malade et Mehdi Idir signent un film sans tâche à la gloire du chanteur de La Bohème et se vautrent dans tous les clichés d’un exercice usé jusqu’à l’os.
Le « Monsieur » placé devant le célèbre patronyme indique la déférence à l’égard du chanteur de La Bohème. On entre dans ce biopic avec la certitude jamais démentie d’un panégyrique illustré, un chromo validé par une descendance soucieuse de perpétrer l’aura d’Aznavour auprès des jeunes générations. Nul doute qu’ayants droits et maison de disque se frottent les mains et préparent déjà les compils. Pour ce qui est du cinéma en revanche, c’est une tout autre histoire. La caméra de Grand Corps Malade et Mehdi Idir se déplace dans les ors d’un décor où aucun bibelot ne dépasse sans se poser de questions sur le personnage au milieu du cadre. Tahar Rahim, bon prince, joue le jeu et sort miraculeusement indemne de ce cirque. Mais cet Aznavour sans une once d’aspérité psychologique apparaît bien falot.
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
TRANSFORMERS : LE COMMENCEMENT ★★★☆☆
De Josh Cooley
Comme toute franchise tenant à prolonger l’auscultation de son nombril, Transformers revient aux origines avec un film qui tente donc de remettre un peu d’ordre dans une mythologie tarabiscotée, où des robots extraterrestres se transforment en véhicules bien de chez nous. Et pour y parvenir, Josh Cooley passe par… l’exploration du quotidien de cols bleus assignés aux mines. Les bastons XXL sont toujours là, peut-être même encore plus gigantesques grâce à l’absence d’échelle humaine mais une bonne partie du récit se concentre sur la lutte des classes et les tyrans qui grippent très consciemment l’ascenseur social. Et le coup de force du film est d’arriver à jongler entre le sérieux imposé par sa trame et la comédie cartoonesque que seule l’animation peut permettre.
François Léger
Lire la critique en intégralitéANGELO DANS LA FORÊT MYSTERIEUSE ★★★☆☆
De Vincent Paronnaud et Alexis Ducord
En duo avec Alexis Ducord, Vincent Paronnnaud porte à l’écran la BD Dans la forêt sombre et mystérieuse qu’il avait signé sous le pseudo de Winshluss. Les aventures d’un petit bigleux de 10 ans se rêvant explorateur musclé à la Rambo qui, oublié par ses parents sur une aire d’autoroute paumée, entreprend de rejoindre sa grand- mère en passant par une forêt qu’il vit comme un royaume magique un peu loufoque peuplée de créatures attachantes : un écureuil volant, une armée de fourmis, un ogre agent immobilier, une grenouille présentatrice télé, des champignons péteurs... Un drôle de voyage initiatique, dont la créativité saura charmer petits et grands.
Lucie Chiquer
Lire la critique en intégralitéCARLA ET MOI ★★★☆☆
De Nathan Silver
Ben, chanteur de synagogue, a perdu sa foi et…. sa voix après la mort de sa femme, incapable de ré- aimer comme de rechanter au cœur d’un environnement qu’on va vite découvrir très éloigné de la famille juive traditionnelle et stricte. Et dans ce chaos irrésistible de drôlerie mélancolique qu’est devenue sa vie, surgit un élément qui va rajouter un zeste bien acidulé d’excentricité : sa prof de musique de ses années collège qu’il recroise fortuitement et qui lui demande de l’aider à faire sa bat- mitzvah. La comédie dépressive tournée en pellicule 16 mm et dopée à un humour juif manié avec maestria prend alors, au fil du rapprochement inattendu entre ces deux solitudes, des airs d'Harold et Maud. Et le fidèle complice de Wes Anderson, Jason Schwartzman et l’iconique héroïne de Terreur sur la ligne, Carole Kane, y trouvent deux des plus beaux rôles de leurs carrières.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéCHRONIQUES CHINOISES ★★★☆☆
De Lou Ye
Cinéaste expérimenté, apprécié entre autres pour Suzhou River ou Nuits d’ivresse printanière, Lou Ye signe un nouvel opus particulièrement captivant. Tout commence par la préparation d’un tournage de film qui reprend un projet interrompu dix ans plus tôt par un cinéaste. Mais le récit bifurque quand surgit la pandémie de Covid-19 et que l’équipe se retrouve confinée début 2020 dans un hôtel près de Wuhan et subit de violentes mesures sanitaires qui bouleversent le tournage. En transformant une aventure artistique en thriller d’angoisse, Lou Ye reconstitue une situation qu’il a vraiment vécue et offre une mise en scène immersive où les appels en visio et les interfaces numériques prennent possession de l’image. Par ce brouillage des frontières entre réalité et fiction, le cinéaste affirme avec rage que le cinéma saura toujours créer une matière libre et inventive en réponse aux interdits et aux censures.
Damien Leblanc
FARIO ★★★☆☆
De Lucie Prost
Un jeune homme qui a perdu le désir de faire l’amour comme de vivre doit quitter Berlin pour rentrer dans son village natal du Doubs et vendre les dernières terres de son père agriculteur, qui s’est suicidé des années plus tôt. Sur place, plus rien n’est comme avant. Sa bande d’amis a changé, sa famille a renoncé à vendre ses terres et leur activité, polluante, est dénoncée par les agriculteurs du coin. Indécis, il se laisse vivre. Jusqu’au jour où il voit des farios — une race de truite mutants, nager dans la rivière. La pollution, sans doute. Avec ce conte d’eau douce, Lucie Prost compose une délicate réflexion sur le rapport de destruction que les hommes entretiennent avec la nature et le vivant autour d’eux. Autant de questions brûlantes d’actualité que la jeune réalisatrice met en image avec beaucoup de mystère et un peu de magie.
Emma Poesy
LA DEPOSITION ★★★☆☆
De Claudia Marshal
Trente ans après avoir subi des abus sexuels commis par le curé de son village, Emmanuel se rend à la gendarmerie, il fait une déposition. Il dédouble l’acte d’un documentaire, tel un moyen trouvé pour confronter le monde à ce qu’il s’est passé dans son enfance : ses propres souvenirs avec les imprécisions qu’ils peuvent contenir, sa famille, la procédure pénale… Chacun des échanges entre Emmanuel et son père, de prime abord convaincu de l’innocence de l’homme d’Eglise, s’y révèle à ce titre particulièrement poignant. Si la forme du film ne convainc pas toujours, l’essentiel se situe ici ailleurs : dans la nécessité pour cet homme de brandir la caméra comme une arme capable d’enregistrer des preuves irréfutables. Et dans ses meilleures instants, le film se mute alors en une sorte d’enquête sur sa propre vie, la manière dont il a réussi à continuer de vivre malgré l’inimaginable.
Nicolas Moreno
SOUVIENS- TOI DU FUTUR ★★★☆☆
De Romain Goupil
L’exposition Corps à corps, mettait en regard la collection de photographies de Marin Karmitz et celle du Centre Pompidou. Romain Goupil filme ici le fondateur de la société MK2 dans les allées de Beaubourg ou chez lui. Karmitz partage son amour pour les œuvres accumulées depuis une vingtaine d’année et qui dessinent en creux sa propre histoire. Une histoire, hantée par la Shoah donc la disparition. Que ce soient les visages dans les Shtetl d’Europe de l’Est de Vishniac ou les collages de Boltanski, un même récit traverse l’espace et le temps. Emouvant.
Thomas Baurez
WHAT A FANTASTIC MACHINE ★★★☆☆
De Axel Danielson et Maximilien van Aertryck
Et si c’était en traitant de la même manière des films de propagande nazie, du contenu pornographique sur Onlyfan, des discours de Daesh et la cérémonie de l’Eurovision que l’on pouvait saisir au plus juste la nature des images ? Avec What a fantatic machine ! (primé à Sundance) Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck montrent comment, depuis ses origines, le cinéma est utilisé comme un outil de mensonge et de détournement. Sans jamais prendre le ton sévère ou dramatique d’une simple critique des médias contemporains, ce documentaire révèle l’envers du décor d’archives de cinéma, de télévision et d’internet à travers le monde et les époques. Et explore avec sarcasme ces extraits chargées politiquement et moralement pour en questionner la forme sans aborder le contenu. Fluide et intelligente, la mosaïque dressée devant nos yeux arrive à extraire du tumulte des images quotidiennes une beauté frappante.
Bastien Assié
SITABAOMBA- CHEZ LES ZEBUS FRANCOPHONES ★★★☆☆
De Nantenaina Lova
Ly, paysan d’Antananrivo, vit dans une enclave rurale de la capitale de Madagascar. Son hameau est le dernier bastion de la paysannerie malgache, là où la culture du riz est le gagne-pain des travailleurs de la terre. Là, aussi, où la pauvreté est le terreau de la corruption et les hectares se négocient. En 2016, lorsque Madagascar reçoit le Sommet de la francophonie, le tapis rouge est déroulé à deux pas des parcelles de terre, désormais convoitées et contrôlées par un président, des généraux et des investisseurs étrangers. Dans son documentaire, Lova Nantenaina a l’habileté d’introduire ces spéculateurs par un théâtre de marionnettes, que les habitants manipulent à leur tour pour nous enseigner l’Histoire, leur histoire, racontée à la manière d’un conte oratoire, taquin et décalé dans la voix de Claudia Tagbo. Le réalisateur malgache filme les bêches comme des armes et rend justice à une terre en souffrance, dépossédée.
Lou Hupel
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
3 KILOMETRES JUSQU’A LA FIN DU MONDE ★★☆☆☆
De Emanuel Pârvu
A Tulcea sur les rives du delta du Danube, la population est harnachée au poids des traditions. Chacun place sa morale où il l’entend. Dès lors, que peut un jeune garçon de 17 ans promis à un avenir dans la marine, s’il est, selon un euphémisme policier, « dans l’autre camp » (comprendre, homosexuel) ? En Roumanie l’homosexualité a été dépénalisée il y a vingt ans et il en faut plus pour que la loi s’accorde aux mœurs. Résultat, dès lors le visage de l’ado aura très vite l’apparence de celui d'un boxeur. Emanuel Parvu ménage son petit effet par une mise en scène à la précision étudiée, puis déroule son portrait au vitriol d'une Roumanie rétrograde. Pendant ce temps-là, Adi ne dit rien, muselé par des parents sévèrement bornés. On croit un temps que le film va s’engouffrer dans la farce. Parvu préfère ménager un suspense sur l’émancipation possible de son jeune héros. Un dernier regard vers son visage gonflé, reflet de la honte de tout un pays, et le héros peut sortir du cadre. Mouais.
Thomas Baurez
CHALLENGER ★★☆☆☆
De Varante Soudjian
Arrivé en France vers 1960 et mort en 2022, le malien Bouba Touré signe, pour ce qui restera son ultime long métrage (en duo avec Raphaël Grisey) un documentaire ambitieux autour de la lutte des travailleurs africains venus en France. Dégâts du colonialisme, développement de l’agriculture au Sénégal et enjeux écologiques sont au programme de ce kaléidoscope mêlant les lieux et les époques un peu compliqué à suivre et qui aurait gagné, vu la quantité des sujets et les années traitées, à être traité en série. Varante Soudjian réunit à nouveau le duo Audrey Pirault et Alban Ivanov après La Traversée. Cette fois, Ivanov enfile les gants de boxe en interprétant Luka, un sportif raté managé par une vieille amie, qui se retrouve par un concours de circonstances rocambolesques à devoir affronter le champion d’Europe en titre. Même si Challenger se réclame plus du film de boxe teinté de gags plutôt que de la parodie, il s’amuse à caricaturer le milieu des combattants stars des réseaux sociaux. En réunissant un casting étonnant faisant se croiser entre autres Pef et Soso Maness, il enchaine les situations parfois poussives et exhibe les ficelles attendues d’une histoire de compétition. Résultat : une comédie de passionné de Rocky (lui adressant des clins d’œil très appuyés) efficace mais qui, en dépit de quelques bons moments, ne surprend pas.
Bastien Assié
PREMIÈRE N’A PAS AIME
THE KILLER ★☆☆☆☆
De John Woo
John Woo remake lui-même son plus beau film, 35 ans plus tard et à Paris. Autant arracher le sparadrap d'un coup, le résultat est désastreux : The Killer 2024 ressemble à un film Europa Corp des années 2000 (fun fact n°1 : Omar Sy joue un flic nommé Sey), où le style de Woo n'apparaît que par apparitions fugaces et frustrantes. Le pire étant l'absence de toute émotion, là où le Killer de 1989 était un mélo déchirant, une tragédie écrite au 9mm s'achevant dans les ténèbres et la mort. Ce n'est pas une question de territoire : le dernier grand film incontestable de Woo, Windtalkers, prenait le parti des Navajos dans la Guerre du Pacifique. C'est donc, tout simplement, une question d'époque : celle du grand génie de Woo est tout à fait passée, pour ceux qui en doutaient (et on a défendu Silent Night ici même). Fun fact n°2 : pas moins de trois « First Assistant Directors » sont crédités au générique…
Sylvestre Picard
Et aussi
Coconut head generation, de Alain Kassanda
4 zéros, de Fabien Onteniente
Sur un air de Chine, de Georges Guillot
Les Reprises
Four letter words, de Sean Baker
Giorgino, de Laurent Boutonnat
Prince of Broadway, de Sean Baker
Starlet, de Sean Baker
Take out, de Sean Baker
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