Trois Oscars sont venus récompenser son troisième long métrage où elle dirige brillamment Frances McDormand, elle- même primée.
On l’a découverte allant poser sa caméra dans la réserve indienne de Pine Ridge, au cœur de Dakota du Sud. Chloé Zhao, native de Pékin qui avait jusque là passé sa vie dans des grandes villes (Londres, New- York…) pour suivre ses études - de sciences politiques d’abord, de cinéma ensuite – avait décidé de prendre le large. De s’installer dans ce coin d’Amérique et d’y passer des mois et des mois pour se faire admettre, imaginer des récits et leur donner vie avec, devant sa caméra, ceux qui y vivent. Ce geste a donné lieu à deux longs métrages remarquables où fiction et documentaire ne semblaient faire qu’un dans un geste d’une fluidité limpide : Les Chansons que mes frères m’ont apprises et The Rider. La cinéaste ne s’y fait jamais donneuse de leçon sociétale mais ambitionne – et réussit superbement – à nous faire pénétrer à l’intérieur de mondes peu ou mal connus et en raconter, au sens premier du mot conteuse, le quotidien à travers des histoires à forte charge émotionnelle.
Avec Nomadland, Chloé Zhao franchit indéniablement une nouvelle étape. Pour la première fois, celle qui n’a travaillé qu’avec des amateurs y est confrontée à une actrice de métier au visage identifiable : Frances Mc Dormand, initiatrice de ce projet en acquérant les droits du livre dont il adapté (Nomadland : Surviving America in the Twenty- First Century de Jessica Bruder, publié en 2017). Et jamais elle n’avait disposé de moyens budgétaires aussi conséquents. Chloé Zhoé passe à la vitesse supérieure donc mais sans pour autant abimer ce qui constitue les fondations son cinéma et explique pourquoi Frances McDormand est spontanément aller la trouver elle pour mettre en scène ce film.
Nomadland suit les traces de Fern, une sexagénaire qui, en l’espace de quelques mois, a tout perdu. Son mari Bo, victime tout à la fois d’un cancer et des lacunes du système de santé américain. Et son boulot dans une usine d’une petite ville minière, condamnée à mort par la crise des subprimes et l’uberisation galopante de la société. Il ne lui reste plus en sa possession qu’un van, avec lequel elle va traverser les Etats- Unis, de parking en camping, au gré des petits boulots qu’elle arrivera à glaner ici et là mais aussi des rencontres qu’elle fera au fil des étapes avec ceux qui ont fait leur cette vie de nomade
CHLOE ZHAO ET FRANCES MC DORMAND TRIOMPHENT AUX OSCARSA travers elle, à travers eux, Chloé Zhao plonge donc une nouvelle fois dans l’Amérique des laissés pour comptes. Mais une fois encore, ce n’est pas la politique qui l’intéresse mais la résilience d’une femme en proie au quotidien à un quadruple péril : le froid, la dépression, la solitude et le déclassement tel que le moindre nouveau petit accroc financier peut la conduire au fond du gouffre. La cinéaste sait susciter une empathie puissante envers ce personnage sans pour autant la réduire à une simple figure sacrificielle en souffrance. Elle montre ses contradictions, son incapacité à refuser la main tendue et amoureuse d’un autre nomade (David Strathairn, une fois encore impérial) comme si tout en elle semblait désormais cadenassée à double tour. Dans la même logique, Chloé Zhao refuse de s’enfoncer dans la facilité du larmoyant. Elle met en avant la fraternité, la sororité, les liens forts qui unissent ces accidentés de la vie économique et sociale dont certains en viennent à préférer cette existence à celle d’une vie « normale » rythmée par des rendez- vous qui font que chaque jour ressemble au précédent, dans leur famille comme dans leur vie professionnelle. Elle évolue ainsi toujours sur une ligne de crête extrêmement fine entre une naïveté assumée qui la pousse à préférer scruter la lumière au bout du tunnel plus que la noirceur violente du quotidien et cette part documentaire (en faisant notamment appel majoritairement à de vrais nomades pour camper ses personnages) qui inscrit son propos dans cette réalité rude.
Depuis son premier film, Chloé Zhao revendique cette part de poésie que permet la fiction. Son cinéma ouvre grand les bras aux spectateurs, quitte à froisser les tenants d’une radicalité cinématographique. Elle est tout sauf une dogmatique, enfermée dans sa tour d’ivoire de cinéaste d’auteur tout puissant ou réduite à une position de femme d’origine chinoise pointant les oubliés du rêve américain. Au contact du terrain, elle en est forcément impactée émotionnellement. Comme le traduisent la musique très enveloppante (forcément trop sirupeuse pour les tenants d’une ligne pure et dure) de Ludovico Einadi qu’elle a choisie comme fil rouge de la bande originale de Nomadland et son parti pris avec Joshua James Richards (directeur de la photo de tous ses films) de ne pas jouer à l’image avec les multiples références cinématographiques ou photographiques du Grand Ouest américain.
Ce qu’on voit à l’écran, c’est ce que les protagonistes de cette intrigue voient. Donc tout sauf une Amérique de carte postale. Être avec ses personnages et non dans la position de la commentatrice sociétale d’une Amérique qui laisse de plus en plus de gens au bord de la route. Voilà ce qui guide Chloé Zhao depuis ses débuts. Ne pas avoir peur de susciter des émotions. Ne pas prendre de haut le mot humanisme si souvent galvaudé. C’est cette capacité de parler autant au cœur qu’à l’esprit qui rend Nomadland si attachant et si puissant. Avec une actrice symbolisant ce grand écart qu’elle exécute avec un naturel à chaque fois fascinant : Frances McDormand. Toutes deux ont été logiquement sacrées lors de la nuit des Oscars. De quoi propulser Chloé Zhao encore plus haut, en attendant de découvrir sa première incursion dans l’univers Marvel avec Eternals. Le mot frontière n’appartient décidément pas au vocabulaire de cette artiste- là.
De Chloé Zhao. Avec Frances McDormand, David Strathairn, Linda May… Durée : 1h48. Sortie le 9 juin 2021
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