L'actrice est venue à Lyon présenter son premier film, adaptation sensible d'un roman d'Elena Ferrante. The Lost Daughter sortira dans quelques mois sur Netflix.
Avant d'inviter Maggie Gyllenhaal à présenter son premier film The Lost Daughter à Lumière, Thierry Frémaux expliquait qu'il s'agissait d'une actrice rare, aussi à l'aise dans les blockbusters (on se souvient d'elle chez Nolan dans The Dark Knight) que dans les films plus audacieux et indépendants. Intelligence théorique et grande sensibilité se marient parfaitement dans The Lost Daughter qui lui ressemble beaucoup. Pour son premier long métrage, Maggie Gyllenhaal emboite les pas de Léda, une prof de fac en vacances Grèce. Lorsque le film commence, elle est sur une plage et son attention est tout à coup attirée par la jeune Nina qui joue avec sa fille Elena. Elena va disparaître quelques heures et cet événement va faire voler en éclat la tranquillité du lieu et de Léda. On bascule vite dans le thriller paranoïaque avant d'opérer une plongée dans l'univers intime d'une femme, descente en flashback toute en subtilités et en mystères, qui nous oblige à réfléchir à la maternité, à la liberté, et aux sacrifices à faire pour devenir femme... Quelques heures après sa présentation lyonnaise, nous avons rencontré la réalisatrice.
Vous venez de présenter The Lost Daughter au festival Lumière. Qu’est-ce que ça vous fait d’être ici, à Lyon, pour montrer votre premier film ?
C’est très exaltant d’être dans cette ville des frères Lumière. Thierry Frémaux m’a montré la rue du premier film et en m’y promenant, j’ai compris combien j’avais appris le cinéma en faisant The Lost Daughter. Pas seulement en réalisant ! Pendant le montage, je regardais beaucoup de films. Et j’ai fini l’editing quelques semaines avant Cannes. En tant que jury, j’ai alors découvert 24 films en 10 jours. Et j’ai eu le sentiment que ma tête allait exploser. En voyant toutes ces propositions, j’ai compris qu’on pouvait faire ce qu’on voulait.
Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce premier long métrage ?
Plusieurs choses. D’abord j’ai pris conscience que je veux raconter des histoires. Je le faisais en tant qu’actrice, mais… il y a 100 ans, si vous étiez une femme éprise de science, alors vous pouviez être une infirmière. Moi enfant, je voulais être actrice parce que j’aimais les histoires. Mais en tant que femme, il n’y avait pas beaucoup d’alternative. Je ne pouvais pas m'imaginer réalisatrice, alors je suis devenue comédienne. Mais sur un plateau, même lorsque vous êtes en confiance avec votre réalisateur, alors seulement 70% de votre travail apparaît à l’écran. Je suis arrivé à un moment de ma carrière, où je voulais que 100% de ma vision soit représentée. Je ne pouvais plus me compromettre.
C'était le besoin de raconter des histoires, donc ?
Oui. Il y a aussi eu Trump. Sa manière d’être, son attitude… je ne sais pas, j’ai eu le sentiment qu’il fallait que je prenne la parole. Et puis, de manière marginale, un rôle dans une série a été le déclic...
Vous parlez de The Deuce ? A Premiere, certains pensent que le personnage que vous y incarnez annonçait votre passage à la réalisation.
Je ne sais pas si ça "l'annonçait". A l’origine, le personnage d'Eileen n’était pas réalisatrice, mais productrice. Et j’ai dit à David (Simon, le showrunner) que ce serait plus fort si elle était cinéaste. On a donc modifié le script en ce sens et progressivement, plus elle prenait la maîtrise des événements, plus je voyais que je pouvais le faire moi aussi. Ça m’a libéré. Une fois la série terminée, j’ai effectivement lancé l’adaptation de Poupée volée.
Pourquoi Elena Ferrante ? Et pourquoi ce livre ?
J’ai lu Elena Ferrante et ce fut une sensation très forte. Dans ses oeuvres et particulièrement dans ce livre, j’ai eu le sentiment qu’elle explosait un tabou. On nous avait confisqué la parole et elle la reprenait, elle disait enfin tout haut ce qu’on n’avait jamais dit sur la maternité, le fait d’être femme, et mère. Elle mettait des mots sur des choses que j’avais ressenties intimement. Le secret de mes expériences intimes semblaient dévoilé… Pour toutes ces raisons, la lecture de Poupée volée fut un vrai choc ! Même si c’est un bestseller, j’ai eu envie de faire résonner encore plus cette voix.
J’imagine que le tournage en plein covid fut compliqué.
Oui… et non. Oui, parce qu’on a tourné en Grèce pendant le Covid effectivement, et que j’avais parfois l’impression qu’il s’agissait d’une mission suicide. J’avais demandé l’avis d’épidémiologiste et secrètement j’espérais qu’ils allaient me dire que j’étais folle et que je ne pouvais pas risquer la vie de mon équipe… Mais non. Tout le monde m’a encouragé alors on est parti. Et sur place, ce fut le paradis. Je ne me suis jamais sentie plus vivante qu’en dirigeant ce film.
Comment s’est passé votre relation avec vos comédiens ? Je pense surtout à Olivia Colman et Jessie Buckley...
Parce que je suis une actrice, je voulais que tout ce que me confieraient les comédiennes soit à l’écran. Mais ce qu’a apporté Olivia a été... stratosphérique. Olivia est dans une autre galaxie. Elle est une des plus grandes techniciennes du moment, mais elle apporte un tel degré d'émotion... C'était fabuleux de voir comment elle s'emparait du rôle. Pour la jouer jeune, je cherchais non pas quelqu’un qui lui ressemble, mais quelqu’un qui dégage un sentiment, une émotion de la même nature. Le rapport entre ces deux actrices devait être plus poétique que réaliste. Jessie a su immédiatement trouver le registre d'émotion d'Olivia. Travailler avec ces deux femmes merveilleuses m’a surtout permis de respecter une règle cardinale que je m'étais imposée pour ce tournage. Les gens donnent des choses particulières quand ils sont aimés. J’ai travaillé avec des réalisateurs brutaux et avec des réalisateurs qui sont aimants. Je sais d'expérience qu'on n’est pas la même dès lors qu’on se sait aimé.
Il y a dans le film un jeu sur les genres assez étonnant. The Lost Daughter commence comme un thriller, presque un film d’horreur, pour mieux bifurquer vers le mélo…
Oui. l'esthétique du film provient d'une réflexion très intellectuelle et très organique. Je voulais commencer en reprenant les codes et l'imagerie du thriller 70's, afin que tous les spectateurs soient confortablement installés. Et puis, tout à coup, tout exploser et voir comment ma propre voix pouvait émerger de tout cela. Je voulais jouer avec ce langage cinéma - qui n'est pas tout à fait mon genre de prédilection - et voir comment exister une fois débarrassée. J'avais l'impression que c'était la meilleure façon de trouver ma note dans mon premier film.
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