Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
WEST SIDE STORY ★★★★☆
De Steven Spielberg
L’essentiel
Quel intérêt y avait-il à retoucher cet incontournable de la comédie musicale hollywoodienne ? Sans rien trahir, Spielberg se réapproprie le monument. Passionnant forcément.
Qui à part un tâcheron inconscient pouvait reprendre le travail de Robert Wise- Jerome Robbins de 1961 ? Spielberg of course. Le cinéaste ne se prosterne devant aucune idole, réécrit éventuellement l’histoire ou entend la perpétuer. Le résultat est ici très personnel et n’a rien d’une fantaisie de Noël. C’est bien le chaos que filme Spielberg, soit l’affrontement perpétuel des sans-grades, ici incarnés par deux bandes rivales mais venant bien du même monde (un quartier populaire de New York en voie de ce que ne s'appelait pas encore gentrification). Tous ces exclus d’un rêve américain fissuré de partout (l’intrigue se passe en 1957 date de la création de la comédie originale à Broadway) se battent entre eux pour mieux s’autodétruire.
De West Side Story, on parle essentiellement du livret d'Arthur Laurents, du scénario d'Ernest Lehman, des paroles de Stephen Sondheim (décédé le 26 novembre dernier) et de la musique de Leonard Bernstein. Leur travail est tellement inscrit dans la mémoire collective qu’il n’est même plus encombrant. Spielberg ne touche à rien mais ne s’appuie pas lourdement dessus. Les séquences chantées et dansées aussi inspirées soient-elles, ne se détachent pas du reste. Le scénario de Tony Kushner (Munich, Lincoln...), est solide et n’a pas besoin de pousser certains potards au maximum pour révéler la modernité du propos, voire la parfaite synchronicité (le racisme, la place centrale des femmes, le combat des classes populaires...). Steven Spielberg, iconoclaste donc et woke !
Spielberg a donc réussi l’impensable. Sa version du mythe n’éclipsera bien-sûr pas le chef-d’œuvre original, son évident pessimisme plaide même contre une éventuelle postérité. Elle s’ajoute simplement à un corpus cohérent malgré son apparente disparité, où la lumière souveraine permet de tenir le monde à peu près debout.
Thomas Baurez
LIRE LA CRITIQUE EN INTEGRALITEPREMIÈRE A AIME
OU EST ANNE FRANK ! ★★★☆☆
De Ari Folman
Quatre-vingts ans après la déportation de son personnage titre et de sa famille, Où est Anne Frank ! est une affaire de perspectives. Le film d’Ari Folman repose sur un postulat génial : Kitty, l’« amie imaginaire » à laquelle Anne Frank s’adresse dans son célèbre journal, prend vie. Elle s’incarne dans une Amsterdam contemporaine sous les traits d’une héroïne virevoltante et le pouvoir surnaturel de l’animation pour bondir sur les murs et échapper à ceux qui la pourchassent alors qu’elle essaye de retrouver la gamine de 13 ans qui l’invoqua une première fois en 1942. La retrouver elle, ou du moins son esprit, sa raison d’être, sa leçon, sa permanence. Le principe psychanalytique de Valse avec Bachir, son processus d’enquête mentale poupée russe et de levée de voiles progressive était déjà reproduit en partie dans Le Congrès (2013). « Dear Kitty » en est ici la représentation dynamique.
Dépositaire de ce qui se jouait dans l’appartement de la famille Frank, et au-delà dans Amsterdam et l’Europe entière des années 1940, la rouquine ré- imaginée par Folman est un fabuleux personnage témoin (au sens de repère), l’équivalent d’un Captain America sorti de la glace qui mesure par son décalage la marche du temps et l’étendue des dégâts.
Par son dispositif, Folman n’essaie pas de faire comprendre au public d’aujourd’hui, les enfants de ce siècle, que la crise des migrants est la reproduction du drame pivot du précédent. Il tente plutôt de rappeler que ce qu’on leur raconte du XXème siècle n’est pas une simple page de livre d’Histoire à tourner, ni une visite guidée sans âme mais un réel tangible, au même titre que celui, misérable, à côté duquel ils passent jour après jour en allant à l’école. Ce n’est pas le passé qui déteint sur le présent, mais le présent qui doit nous instruire sur le passé.
Guillaume Bonnet
LIRE LA CRITIQUE EN INTEGRALITEROSE ★★★☆☆
De Aurélie Saada
Aurélie Saada a deux amours. La chanson bien sûr (en solo comme en duo avec Brigitte) mais aussi le cinéma. Membre du collectif Les Quiche, auteurs de Foon, elle avait laissé quelque peu de côté cette deuxième passion ces dernières années… jusqu’à ce Rose qui marque ses grands débuts dans la réalisation d’un long métrage. Rose, une septuagénaire qui, après la perte douloureuse de son mari, va se reconstruire en faisant fi des stéréotypes d’une société qui voudraient que retrouver l’amour – surtout dans des bras beaucoup plus jeunes qu’elle – lui soit interdit. Aurélie Saada filme ici la reconnexion d’une femme à ses propres désirs, la redécouverte à 78 ans passés de qui elle est vraiment avec une générosité et une gourmandise qui traversent l’écran. Et Françoise Fabian incarne ce personnage avec une finesse et une justesse inouïes. Un premier film emballant.
Thierry Cheze
LIRE LA CRITIQUE EN INTEGRALITELES AMANTS SACRIFIES ★★★☆☆
De Kiyoshi Kurosawa
L’envie d’aller arpenter d’autres terrains que celui du fantastique qui l’a fait roi s’était déjà fait jour chez l’auteur de Cure dans son précédent film, Au bout du monde, conte initiatique à la Lost in translation. Kiyoshi Kurosawa enfonce le clou en s’aventurant pour la première fois dans le film d’époque. Conçu pour la télé, Les Amants Sacrifiés nous entraîne dans le Japon des années 40, à la veille de son entrée dans la seconde guerre mondiale. Et c’est dans ce cadre tendu qu’au cours d’un voyage professionnel en Mandchourie un riche marchand va tomber sur une unité de recherche et développement de l’armée nippone développant des expérimentations humaines interdites. Il revient alors au Japon dans l’idée de les révéler au monde et son attitude va forcément intriguer puis inquiéter sa compagne qui croit qu’elle traduit son infidélité. Difficile de reconnaître dans le classicisme visuel des Amants sacrifiés la patte de Kurosawa. Mais l’intérêt de son film se situe ailleurs, dans son scénario aux rebondissements aussi surprenants que parfaitement orchestrés, conçu avec Ryüsuke Hamaguchi (Drive my car). Ce récit entremêle avec fluidité film d’espionnage et portrait d’un couple avec ce qu’il faut de suspense et de mélo. Sa sagesse formelle – un parti pris de réalisme fuyant la flamboyance qu’on attend d’un tel cinéaste - ne fait que renforcer la richesse de cette écriture où on ne sait jamais sur quel pied danser, qui est un héros ou un traître en puissance, qui dit vrai et qui manipule l’autre. La mécanique, implacable, n’étouffe pour autant jamais l’émotion. Il y a du Hitchcock dans ce Kurosawa- là.
Thierry Cheze
AU CŒUR DU BOIS ★★★☆☆
De Claus Drexel
Ils et elles s’appellent Floria, Isidro, Judith, Juliette, Kimberley, Luciana, Lydia, Mélina, Mylène.... Travesties ou transsexuelles, ils et elles font le plus vieux métier du monde dans le bois de Boulogne, où Claus Drexel est allé à leur rencontre. Ils et elles évoquent leurs parcours, les risques encourus, la typologie de leurs clients, leurs chiffres d’affaire en chute libre depuis la pénalisation des clients qui favorise une prostitution plus cachée… Drexel trouve le ton juste pour les interroger, avec une bienveillance évitant toute complaisance. Il n’entend évidemment pas dresser un portrait- robot sociologique de la prostitution. Il raconte simplement toute la diversité de ces vies en marge et rappelle qu’aucun parcours ne ressemble à un autre, qu’aucune manière de vivre sa prostitution ne ressemble à une autre. Tout en prenant soin de créer un écrin très cinématographique à ces échanges… si bien qu’on pourrait parfois penser celles et ceux qu’il film, échappés d’un Almodovar ou d’un Fassbinder.
Thierry Cheze
LINGUI, LES LIENS SACRES ★★★☆☆
De Mahamat Saleh- Haroun
Lingui partage avec L’évènement, son sujet : l’avortement clandestin. Mais là où Audrey Diwan emprunte les codes du survival, Mahamat Saleh-Haroun (Grisgris) révèle la violence d’un quotidien sous couvert d’un naturalisme doux et apaisé. L’action se passe dans le Tchad d’aujourd’hui, où l’avortement est doublement interdit : par la loi et la religion musulmane. Amina, quinze ans, élevée par une mère célibataire mise jadis au ban de la société depuis la naissance de son unique enfant, voit dans sa grossesse non désirée une fatalité qu’elle entend combattre. La puissance de sa mise en scène (jeu subtil sur les couleurs, cadrage d’une précision infernale, grâce des corps en mouvement...) trouve sa pleine expression dans l’angoissante séquence où la fille et sa mère se retrouvent soudain prisent au piège d’un labyrinthe aussi physique que mental.
Thomas Baurez
ANY DAY NOW ★★★☆☆
De Hamy Ramezan
Pour son premier film, Hamy Ramezan a choisi de se replonger dans son enfance… qui fait écho à la réalité d’aujourd’hui. Alors qu’il n’avait que 13 ans, comme son jeune héros Ramin, sa famille persécutée a dû fuir l’Iran pour s’installer en Finlande en 1990. Et c’est là que la fiction prend le pas sur sa réalité. Car la famille de Ramin voit, elle, sa demande d’asile refusée et entre alors dans une période d’incertitudes avec la crainte de se faire expulser à tout moment. Hamy Ramezan avait déjà raconté les méandres de ce parcours du combattant épuisant dans un documentaire intitulé Refugee Unknown, en 2016. La fiction lui permet ici de déplacer le prisme de son regard des adultes vers le monde de l’enfance. De suivre Ramin au fil des grandes vacances scolaires dont il n’ a pas pleinement conscience qu’elles pourraient être les dernières dans ce pays où, enfin, il a trouvé la paix. Any day now se lit donc comme une chronique de l’insouciance où, même si Ramin pressent l’anxiété ambiante, son esprit est d’abord occupé à se rapprocher de celle dont il a le béguin. Ce contraste se déploie avec une grande justesse et donne naissance à un geste limpide et particulièrement émouvant.
Thierry Cheze
UN ENDROIT COMME UN AUTRE ★★★☆☆
De Uberto Pasolini
Un père, élevant seul son bambin de 3 ans, est atteint d’une maladie incurable. Il lui faut donc trouver une famille d’accueil. Le voilà donc condamné au porte-à-porte où passent en revue tous les profils possibles : les bourgeois rigides, les prolos beaufs, la célibattante… Uberto Pasolini (Une belle fin), tel Ken Loach, est adepte d’un mélodrame dépouillé de ses excès baroques pour ne retenir que sa fibre pulsionnelle. L’un comme l’autre se posent en observateurs des âmes combattantes que leurs mises en scène soutiennent à bout de bras. Foin de pathos ici, même si le danger du sentimentalisme guète. Pour y faire face, il y a la retenue de l’interprète principal James Norton, à l’écoute d’un monde anxieux. L’enfant n’est pas non plus sanctifié par la caméra, ni par le drame qui se joue pourtant avec lui. Tout est affaire de distance, de regard. Une réussite.
Thomas Baurez
HAM ON RYE ★★★☆☆
De Tyler Taormina
Des adolescents américains enveloppés dans une lumière chaude de fin d’été. Des travellings latéraux accompagnent leur marche le long de trottoirs d’une banlieue proprette que le cinéma US des 80’s aura figée pour l’éternité. Où vont-ils ? Vers le moment « le plus important de leur vie », comprend-t-on. On passe d’un groupe à l’autre, essayant de raccorder tout ce petit monde et d’en saisir les éventuelles disparités. Ham on Rye, premier long-métrage de Tyler Taormina, se présente comme un college movie classique. C’est un leurre. L’étrangeté tient dans la façon dont le cinéaste refuse de poser en surplomb une dramaturgie sur ces corps en mouvement dont le point de convergence ne sera jamais atteint. C’est bien le mystère d’une adolescence par nature insaisissable qui est visée ici.
Thomas Baurez
NUDO MIXTECO : TROIS DESTINS DE FEMMES ★★★☆☆
De Ángeles Cruz
L'actrice mexicaine Ángeles Cruz réalise son premier long-métrage, construit sur trois histoires de femmes qui s'entrecroisent : Maria, revenue au village pour enterrer sa mère, renoue avec Piedad, son amour de jeunesse ; Chabela fait face au retour d’Esteban, son ancien époux, furieux de constater qu’elle a refait sa vie sans lui ; Toña (la partie la plus déchirante du film) revit le viol qu'elle a subi durant son enfance et décide de ne plus se taire. La pauvreté, l'éducation, la sexualité, la masculinité toxique, le droit à l'avortement, la liberté... Beaucoup de sujets délicatement abordés par Cruz, qui à partir d'un petit village fait le point sur l'hypocrisie de la société mexicaine toute entière. Un vrai concentré d'émotion, mais filmé avec une simplicité désarmante et énormément de pudeur.
François Léger
LES ELFKINS : OPERATION PÂTISSERIE ★★★☆☆
De Ute von Münchow- Pohl
Aussi maladroite que motivée, la jeune Elfie s'est exilée avec ses copains Tom et Sam du pays des Elfkins -ces petits lutins qui aidaient à une époque les humains à accomplir leurs laborieuses tâches pendant la nuit, comme, par exemple, boucler un magazine de cinéma- pour arriver chez un pâtissier menacé d'expulsion par son propre frère... La recette de ce film d'animation allemand (vous avez sûrement fait du baby-sitting devant La Course du siècle de la même réalisatrice en 2017, avec Chaussette le corbeau et Madame Blaireau ?) est simple et efficace, avec une bonne grosse base de Ratatouille assaisonnée de Toy Story. Rigolo, animé avec gourmandise (heureusement), sans autre prétention que de faire passer un bon moment... Servez aux plus petits, ils en redemanderont.
Sylvestre Picard
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
SI DEMAIN ★★☆☆☆
De Fabienne Godet
Fabienne Godet poursuit sa collaboration avec Julie Moulier qu’elle avait fait débuter voilà 9 ans dans Une place sur terre. La comédienne incarne ici une femme brisée par une rupture que sa meilleure amie (Lucie Debay, épatante) pousse, pour passer à autre chose, à retrouver l’autrice d’un carnet intime datant d’il y a une vingtaine d’années qui s’est retrouvée anonymement dans sa boîte aux lettres. Si demain raconte donc l’histoire d’une reconstruction au fil d’un road movie vers l’Espagne, peuplé de différentes rencontres. Séduisant quand il reste dans le mystère, il déçoit hélas dans sa dernière ligne droite qui livre une résolution assez capillotractée et fait remonter à la surface les défauts d’un film qui a tendance à un peu trop en rajouter (la rechute du cancer de la meilleure amie…) alors que l’épure voire une certaine radicalité auraient mieux rendu grâce à son propos.
Thierry Cheze
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
UNE FEMME DU MONDE ★☆☆☆☆
De Cécile Ducrocq
C’est l’histoire d’une prostituée (Laure Calamy post-césarisée) qui ne fait mystère de son métier à personne. Ses habitués peuvent ainsi compter sur sa « fidélité »… qu’elle attend un peu trop en retour de la part de ses clients. Marie a un fils, 17 ans, qui comme beaucoup de jeunes gens de son âge, est largué avec des rêves qu’il croit trop grand. Marie dit non et tente d’enrayer un déterminisme de classe. Il faut de l’argent, alors elle accepte de travailler en dehors de ses bases, quitte à s’exposer plus durement. Voilà, à peu près tout ce qu’il faut retenir de ce film à vocation sociale où sous le vernis craquelé de l’inédit se dessine un film programmatique où rien ne manque. Ici, la recherche constante d’une authenticité empêche tout récit d’exister autrement que par le biais de l’anecdote.
Thomas Baurez
Et aussi
La Beauté du monde, de Cheyenne- Marie Caron
Drums of resistance, de Mathieu Jouffre
L’homme qui penche, de Marie- Violaine Brincard
Moonbound, de Ali Samadi Ahadi
Les rêves ne meurent jamais, de Sébastien Blemont
Les Tuche 4, de Olivier Baroux
Les reprises
Mulholland drive de David Lynch
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