Polisse vu par la police sur Premiere.fr. Polisse, le film de Maïwenn est une plongée asphyxiante dans le quotidien de la Brigade de Protection des Mineurs. Si certains critiques dénoncent le “mélange de narcissisme et de voyeurisme” du film (Le Monde) ou, pire, une vision biaisée de la police qui servirait un propos bien naïf (Fluctuat), la quasi-totalité de la presse a vanté l’interprétation extraordinaire des comédiens mais surtout le réalisme du film. Du coup la question se pose : Polisse est-il le nouveau L627 ou la réalité n’est-elle qu’un vernis qui servirait à faire passer l’égocentrisme hystérique de Maïwenn ? Pour nous éclairer, nous sommes allés voir le film en compagnie d’une ex-membre de la Brigade des Mineurs qui a voulu rester anonyme. Vingt-six ans de BPM, dont dix en tant que chef de groupe, une expérience impressionnante pour nous aider à faire le tri; dénouer la réalité de la fiction. Atmosphère, affaires, relations humaines… Polisse vu par la police.Par Pierre Deschodt Quelle est votre première réaction à la sortie de Polisse ? J’ai été replongée dans ce que j’avais vécu. Je suis bluffée parce que j’ai exactement retrouvé l’ambiance de groupe. Le travail en commun, la violence verbale aussi qui peut exister entre nous... Pareil pour la hiérarchie qui n’est pas à la hauteur, avec le chef de groupe qui fait tampon entre le patron et son équipe Le patron n’a pas le beau rôle dans le film. Non, parce qu’il ne prend pas toujours ses responsabilités. Celui du film ressemble beaucoup à l’un des patrons que j’ai eus d’ailleurs. Il ne faut pas oublier que dans la police, les patrons sont avant tout des personnes qui font carrière. Lorsqu’il demande de ménager un père mis en cause pour le viol de sa fille parce que celui-ci a des relations haut placées, c’est une situation véridique. Vous dites véridique... Tout est vrai ! Prenez la scène de la gamine auditionnée, qui a fait des fellations pour récupérer son téléphone portable. Face à elle, les policiers ne peuvent pas s’empêcher d’en rigoler jusqu’au fou rire. On peut penser que c’est exagéré, mais il y a des moments où on ne peut pas faire autrement, devant des situations grotesques et malgré la présence de la victime qui ne comprend rien. La dérision est notre bouée de sauvetage, sinon on ne s’en sort pas. Car l’enfant de onze mois violé dont ils parlent à un moment ou bien le grand-père qui abuse de sa petite-fille de dix ans, ce sont des choses tout à fait courantes. De manière général le film est parfaitement crédible. Du coup, est-ce qu’on peut rapprocher Polisse de L 627 qui traitait de la Brigade des Stupéfiants ? Tout à fait. J’ai vraiment eu l’impression de voir un reportage. L’urgence est parfaitement rendue, et j’ai été frappée par la justesse des auditions des enfants, qui se passent précisément comme ça dans la réalité. C’est à dire ? Je ne sais pas si vous avez noté, mais dans le film, à aucun moment les policiers de la Brigade des Mineurs ne posent à l’enfant à question : « Pourquoi ? ». C’est une règle tacite : nous commençons toujours par des questions générales, périphériques, anodines, pour les resserrer ensuite sur le sujet sensible sans que l’enfant puisse s’en rendre compte. On donne à l’enfant des alternatives : « Tu as préféré faire ceci, ou cela ? », mais jamais « Pourquoi ? », question dite fermée qui le bloque parce qu’il ne sait pas. De l’autre côté de la vitre, le collègue a plus de recul et peut réorienter les questions. Pour la petite histoire, j’ai même retrouvé exactement la salle d’audition ou j’ai travaillé, avec la même disposition, le même mobilier… C’était troublant. Il n’y a aucune erreur ? Bon... Quand le film parle de “mise en examen” pour l’un des adultes, techniquement, c’est faux. Il est “mis en cause”. Il n’y a que le juge d’instruction qui puisse “mettre en examen”. Sinon, en ce qui concerne les affaires, plusieurs détails me paraissent impossibles. Le premier concerne l’intervention dans le camp de Roumains, où les enfants sont séparés des parents. Ca ne se fait jamais, on n’isole jamais les enfants de leurs parents. C’est pareil pour l’histoire de cette mère africaine qui vient à la brigade avec son enfant. On ne peut pas débarquer comme ça à la Brigade pour demander une place dans un foyer : ce n’est pas de notre ressort et elle ne serait pas prise en charge. Et puis, encore une fois, on ne sépare pas un enfant de sa mère comme le montre le film. Une autre erreur dans la scène avec les Roumains : ils ne parlent pas à la police, ils ne collaborent absolument jamais comme le fait la jeune fille brutalisée, par ailleurs trop âgée, selon moi, pour le rôle. La force du film c’est le rapport entre les flics. On voit les policiers très proches les uns des autres, jusque dans leur vie privée… Quand vous passez plus de temps avec votre binôme qu’avec votre mari, des affinités se créent forcément. Il peut même y avoir de l’affection comme on le voit entre la jeune femme enceinte et son partenaire. Et puis la pression partagée rapproche énormément. Psychologiquement, la Brigade des Mineurs est l’un des endroits les plus durs. Ce n’est pas difficile à concevoir. D’autant que chacun ramène ce qu’il a perçu de sa propre enfance. Il y a forcément des choses qui ressurgissent. Certains policiers ont eu une enfance très difficile, ils ont subi des violences, des attouchements. Ils sont d’autant plus sensibles. Mais avec les affaires qu’on a à traiter, personne ne peut rester indemne. C’est aussi ce qui nous rapproche, d’être confrontés aux mêmes choses. Sous la pression, soit on s’engueule, soit on décide de sortir ensemble. Alors quand on en ressent le besoin ou qu’on a réussi une belle affaire, on se retrouve et on s’offre une troisième mi-temps ensemble, on va se faire un resto, on peut même louer une boîte de nuit, enfin c’est la grosse détente, le « dégagement » comme on dit chez nous. Là encore, le film ne ment pas. Les policiers semblent effectivement très marqués par ce qu’ils vivent. Encore une fois c’est très juste et bien rendu. Vous avez remarqué, quand le policier joué par Joey Starr donne le bain à sa fille, il ne la touche pas. Et bien tous les collègues hommes que j’ai vu arriver à la brigade m’ont dit qu’après un certain temps ils ne donnaient plus le bain à leurs enfants. L’expérience leur apprend à se méfier, au cas où leur couple tournerait mal. C’est à force de voir des mises en cause qui viennent uniquement de l’hostilité et d’un désir de vengeance. Notre quotidien nous conduit aussi à devenir particulièrement paranoïaques par rapport à nos enfants, dès qu’il s’agit de les confier à une nounou, ou de les envoyer en colonie de vacances… Certains critiques regrettaient que le film transforme les policiers de la BPM en superflic et “réhabilite” la Brigade. Polisse montre en tout cas une hiérarchie des services de police qui ne vous est pas favorable. La Brigade des Mineurs a toujours été considérée comme la “Brigade mineure”. Mais pour l’anecdote, je tiens à préciser qu’elle est constituée des policiers qui rédigent le mieux en France. Nous avons toujours été très exigeants sur la rédaction qui doit être en français correct, clair, propre et sans fautes d’orthographe. C’est une réalité reconnue par tous les magistrats, de même que la qualité des dossiers que nous leur présentons. Nous sommes les moins considérés au sein même de la police mais en matière de dossiers nous faisons le travail le plus sérieux, le plus consciencieux. La différence avec les autres services est que dès réception d’une plainte, nous enquêtons. On a l’impression que la Brigade des mineurs demande une vocation particulière vis-à-vis de l’enfance… En tous cas elle apparaît vite. Il est très difficile de s’éloigner des cas que nous avons à traiter, d’autant moins que la Brigade compte très peu de célibataires. On le voit aussi dans le film, où tous, une seule mise à part, sont parents. Et nous sommes malheureusement bien placés pour savoir ce qui peut arriver et pour connaître les conséquences de tels crimes sur toute une vie. C’est la raison pour laquelle, même quand les faits sont prescrits, s’il y a plainte, nous entendons les victimes et les mis en cause dans un but de reconstruction psychologique. Nous épaulons ainsi les psychologues qui ont à traiter ce genre de cas des années plus tard, avec des adultes, même s’il n’y a plus de sanction possible. Je ne sais pas s’ils en ont encore le temps maintenant, avec l’explosion des affaires via internet. Enfin je considère qu’on devrait montrer ce film dans les écoles de police, avec tout ce qu’il montre de notre travail, du terrain, des interventions. Ça donnerait une autre image de la Brigade, parfois méprisamment et très injustement surnommée la Brigade des biberons.Bande-annonce de Polisse, qui cartonne depuis mercredi :
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