Les deux stars hollywoodiennes ont vécu un tournage pas comme les autres, en reprenant les personnages de Bergman dans cette version HBO dépoussiérée de Scènes de la Vie Conjugale.
Comme s'il avait inventé le concept de la mini-série, un demi-siècle avant tout le monde, Ingmar Bergman découpait en 1973 la vie à deux de son époque, en six épisodes, chroniquant les hauts et les bas d'un couple bourgeois de Stockholm dans Scènes de la Vie Conjugale. L'histoire d'amour de Marianne et Johan vue par le prisme naturaliste cinglant du cinéaste suédois imposait alors Bergman comme l'un des maîtres de l'analyse des comportements humains.
Hagai Levi n'est pas en reste de ce côté-là. Créateur de Betipul, la série originale qui inspira En Thérapie (et In Treatment aux USA), et plus récemment de The Affair, couronnée aux Emmy Awards, le scénariste et réalisateur israélien s'est fait, lui aussi, une spécialité d'autopsier à l'écran les relations humaines et plus spécifiquement le mariage moderne. Très influencé par l'oeuvre originale, qu'il raconte avoir vu tout jeune dans son Kibboutz, Levi dépoussière ces Scènes de la Vie Conjugale pour HBO, dans une toute nouvelle série, qui reprend les pans principaux de l'histoire, en replaçant les personnages dans le contexte du XXIe siècle (à voir sur OCS en US+24 dès le 13 septembre).
« En fait, notre série est une version israélienne de la vision de Bergman, rapportée à l'Amérique d'aujourd'hui », résume pour Première l'acteur Oscar Isaac, qui reprend le rôle d'Erland Josephson . « Ce que j'adore dans l'originale, c'est ce sens de l'humour scandinave très sec, brutal. Et ce n'est pas facile à retranscrire dans une version américaine moderne. » Sa partenaire, Jessica Chastain a la lourde charge de se glisser dans les tailleurs cultes étriqués de Liv Ullmann. Un exercice délicat, d'autant qu'elle nous confie être « obsédée par elle. J'ai vu tous ses films, lu tous ses livres, même celui de sa fille... » Il faut dire que Chastain et Ullmann se connaissent bien, puisque la star américaine a joué devant sa caméra, en 2014, pour le film Mademoiselle Julie : « C'est quelqu'un de très enfantin. Elle est sans filtre, ressent tout. Alors quand j'ai accepté le rôle, j'ai eu envie d'être Liv, d'embrasser sa vulnérabilité. Et ce fut une expérience très étrange. Après, je n'ai pas essayé de rejouer sa Marianne. Personne ne le peut. Il n'y a qu'une seule Marianne, et c'est Liv Ullmann. Mira est une version moderne, il faut la voir comme ça ».
« C'est une magnifique Love Story en fait... »
Moderne. C'est le maître-mot de cette adaptation US de Scènes de la Vie Conjugale, qui remodèle les personnages, refond les relations, remanie les intrigues. Tout en restant très fidèle à la vision de Bergman. « C'est une magnifique Love Story en fait. Ce n'est pas une série facile à voir, surtout après une période dure comme celle du confinement. Mais c'est un peu comme lorsqu'on écoute une chanson très triste... Il y a quelque chose de cet ordre là avec cette série. Cela peut avoir un effet cathartique. Ca peut avoir du bon d'aller chercher ce genre de sentiment », continue Jessica Chastain, qui incarne donc Mira, femme d'affaire ayant réussi professionnellement, mais qui peine à trouver sa place au sein du foyer familial : « Mira est une femme beige, elle se fond dans les murs ternes de son salon et de son canapé vert. Elle n'est qu'une version silencieuse d'elle-même. Elle est presque gênée par sa propre réussite et a peur d'écraser son mari à la maison. Du coup, elle se fait petite au sein de son couple et c'est vraiment quelque chose de très dangereux. La série raconte ainsi comment elle va réussir à s'affirmer... »
S'épanouir, mais loin de son mari, à distance de ce mariage qui l'étouffe, de cette maison dans laquelle elle se dissout presque littéralement. Ou le foyer comme décor sépulcral de la vie en ménage. Cette maison américaine tient un rôle crucial dans la version HBO, tant et si bien « qu'à la fin de chaque journée, notre directeur de la photo, Andrij Parekh, demandait à filmer la maison vide, pièce après pièce. Et ces longs et magnifiques plans de pièces vides ont fini par intégrer le montage final, parce que cette maison est comme le champ de bataille de leur mariage. En elle-même, elle fait partie de la série », se souvient Oscar Isaac. « Plus encore que dans la version originale d'ailleurs. Tellement de choses se jouent à l'intérieur. Cette maison évolue avec eux et fait office de troisième personnage central. »
« On a filmé des séquences énormes, des prises entières de 25 minutes ! »
« D'autant qu'on a tourné en octobre 2020, en pleine pandémie. On était isolé et on vivait presque littéralement sur le plateau, dans cette maison ! », insiste Jessica Chastain. Un tournage quasiment intime, pour permettre à Hagai Levi de créer une ambiance indiscrète qui met le spectateur dans une position d'observateur intrusif, comme posté derrière un miroir sans teint : « On écoute à la porte de leur relation. C'est presque une approche voyeuriste de la mise en scène. Et c'est pour cela que ça sonne justement très réel, très juste. Ça ressemble plus à du théâtre qu'à une série télé en fait », continue l'actrice. « On a filmé des séquences énormes, des prises entières de 25 minutes ! On ne savait même pas où on allait. Hagai (Levi) nous demandait d'improviser autour des répliques. Du coup, on parlait à la place de nos personnages, on exprimait directement ce qu'ils pensaient très probablement sur le moment. C'est un flow épuisant. Il y a vraiment moyen de se perdre là-dedans quand on est acteur. Mais c'est aussi très excitant de perdre complètement le contrôle, parce que justement, c'est dangereux ! »
Un rôle rare dans une filmographie, et certainement le plus compliqué de la carrière d'Oscar Isaac, comme il le concède volontiers à Première : « Toutes ces répliques, ces impros, ces longues prises, tout ça a coulé naturellement. On était en symbiose avec Jessica. Le plus dur, en réalité, c'était le retour à la vie normale, à la fin de la journée, d'être un parent ou un mari normal, après un tournage aussi exigeant. De ce point de vue, ce fut sans aucun doute le rôle le plus compliqué que j'ai eu à jouer jusqu'à présent. »
« On a sacrifié notre amitié pour cette série ! »
Il faut dire que sa performance dans Scènes de la Vie Conjugale tranche sérieusement avec celles qui ont fait de lui une star. Dans Star Wars, X-Men ou bientôt dans Dune. « On est tellement loin de Star Wars, c'est sûr ! » reconnaît Isaac, qui se refuse malgré tout à mettre « Scenes from a Marriage en opposition avec les grosses productions. C'est une série tellement particulière, hybride, étrange, tellement proche de la scène pour tout dire. Ce sont les acteurs qui dictent le rythme, qui forment la scène, quand dans Star Wars vous avez une réplique ici ou là, qui vient s'imbriquer dans un ensemble gigantesque. Le rythme est trouvé après, durant le montage ! »
Présent dans chaque plan ou presque, pendant 5 heures, Jessica Chastain et Oscar Isaac livrent une prestation remarquable, à fleur de peau, marquée par des séquences de dialogues fleuves incroyables et des scènes d'une brutalité psychologique indicible. Pour eux qui ont souvent joué ensemble, qui se connaissent depuis leurs années estudiantines et qui sont vraiment proches dans la vie, l'expérience a été rude : « On a sacrifié notre amitié pour cette série ! », sourit l'actrice. « Dès les premiers jours des répétitions, en lisant le script, je disais à Oscar que ça allait être compliqué de rester ami après ça (rires)... Même si, blague à part, j'ai plutôt le sentiment qu'on a réussi à tirer le meilleur parti l'un de l'autre ».
Scènes de la Vie Conjugale, à voir sur HBO dès le 12 septembre 2021 et en France sur OSC en US+24 dès le 13 septembre.
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