Moins audacieux, le chef d'oeuvre HBO de Jesse Armstrong n'atteint pas (encore) les sommets de la saison 2. Mais était-ce possible au fond ?
Quelques notes sur un piano. Le thème entêtant de Nicholas Britell. Et on a déjà les poils des bras qui se cabrent de bonheur. Oui, c'est un plaisir presque viscéral de retrouver Succession, la meilleure série actuelle, et de loin. Deux ans après la diffusion de l'exceptionnel final de la saison 2, l'attente est énorme. Alors la saison 3, qui commence dimanche soir sur HBO et lundi en France sur OCS, réussit-elle à satisfaire de si grandes espérances ?
Autant le dire tout de suite, la mission était impossible. Le summum télévisuel atteint par les dernières minutes de la saison 2 rendait la tâche simplement irréalisable. Évidemment, la saison 3 rentre dans le rang. Mais Succession n'en demeure pas moins Succession. Avec ses joutes verbales brutales et orgasmiques, ses jalousies bouillonnantes, ses coups de poignard dans le dos. Ce feeling de tragédie grecque "made in HBO" toujours aussi vivace, toujours aussi réjouissant. D'autant que cette fois, le parricide a eu lieu ! Oui, Kendall a tué le père. Du moins, c'est ce qu'il espère... Car le vieux lion bouge encore. Et dans ce troisième acte, on va voir la riposte de Logan, bête blessée plus dangereuse que jamais. Maintenant que la famille est ouvertement divisée, maintenant que la guerre pour le trône est publiquement déclarée, chacun des membres va devoir choisir son camp. Ken peaufine ses alliances, rameute ses troupes, pour enfoncer le dernier clou sur le cercueil de son père. De la réaction du reste de la fratrie dépendra la victoire ou l'ultime déroute du successeur bafoué.
Avec cette troisième saison, Succession porte un regard de plus en plus intime sur la famille Roy et ses blessures. Sur les non-dits qui gangrènent des rapports pour le moins malsains. Un amour filial, paternel ou fraternel qu'on ressent concrètement, mais qui n'arrive jamais à prendre le dessus sur les ambitions personnelles, vécues presque comme une fatalité. Se dégage ainsi de ce nouveau chapitre de la saga Waystar une forme de tristesse pathétique inédite. Une certaine noirceur de l'âme que Succession avait su contourner jusqu'alors. La série n'offre plus le même frisson spirituel, la même légèreté cynique tellement jouissive. Elle est plus oppressante. Claustrophobe par moment, tant la tension est omniprésente et l'air des Roy de plus en plus irrespirable.
Certes, les dialogues sont toujours aussi scabreux, drôles. Les vannes de Roman claquent dans l'air. Les vacheries de Shiv font toujours aussi mal. La fureur morale de Logan est toujours aussi dévastatrice. Mais il manque quelque chose cette fois. Aussi parce que sur la forme, cette saison 3 est plus feuilletonnante que les autres. Elle a été pensée quasi exclusivement comme la suite de la trahison. Ses conséquences et rien d'autre. Là où Succession brillait en nous surprenant d'épisode en épisode, en modifiant la toile de fond - que ce soit une soirée dingue pour l'enterrement de vie de garçon de Tom, une virée européenne dans l'Ecosse natale de Logan ou une séance de thérapie familiale mémorable au milieu du désert du Nouveau-Mexique dans le ranch de Connor - elle a quelque chose de plus monocorde désormais (nous avons vu les 5 premiers épisodes). Cela a aussi l'effet pervers de rappeler au spectateur que Succession fait du surplace depuis trois ans. Avouons-le, l'essence de la narration n'a pas beaucoup évolué depuis le premier épisode. Qui sera le successeur ? La question se pose et s'impose, encore et encore, dans toutes les bouches de tous les personnages.
Oui, cette saison 3 est assez conservatrice. On a connu Succession plus audacieuse. Mais une fois qu'on a dit ça, on n'a pas dit grand chose. Car cette série est une oeuvre d'art. Un chef d'oeuvre télévisuel. L'une des rares qui mérite cette distinction aujourd'hui. Et en tant que telle, on la critique en sachant la chance qu'on a de pouvoir la critiquer.
Saison 3 de Succession, en 9 épisodes, un par semaine du 17 octobre au 12 décembre 2021, en France sur OCS en US+24.
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