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Pour sa version de Body Snatchers, Invasion, Oliver Hirschbiegel a eu le malheur de subir le remontage des studios. Le premier film américain du réalisateur allemand de La Chute est donc une catastrophe où les invraisemblances se comptent à la pelle malgré quelques idées vivotant comme elles peuvent dans ce marasme.
Après Don Siegel (L'Invasion des profanateurs de sépultures), Philip Kaufman (L'Invasion des profanateurs ) et Abel Ferrara (Body Snatchers), Oliver Hirschbiegel. Quatrième réalisateur donc à tourner une version de Body Snatchers, plus connu chez nous sous le titre incompréhensible de L'invasion des profanateurs (de sépultures ou pas). Body Snatchers c'est tout un concept. On rappelle que l'idée repose sur une invasion extra-terrestre où les aliens prennent possession de nos corps en les déshumanisant, plus aucune émotion, froid comme le marbre en hiver. A l'époque de Siegel (1956), en Amérique, on flippait du communisme, les body snatchers étaient alors en allant vite une métaphore idéologique. En 1978, époque Kaufman, on s'angoissait pour la détérioration climatique, la pollution, autre métaphore, plus proche de la maladie et nos propres responsabilités. Chez Ferrara, en 1993, c'était moins évident, peu d'actualité, il s'agissait plus d'un projet formel, même si le cinéaste new-yorkais ne perdait pas de vue le processus de contamination, cette fois dans l'enceinte d'une base militaire. Des Body Snatchers on peut donc en tourner un à chaque décennie, suffit de l'actualiser, c'est indémodable et pratique.Arrive alors Oliver Hirschbiegel. A l'annonce de son nom au générique, sans exagérer, on trouve ça presque too much. L'homme de La chute, sur la débâcle d'Hitler et ses proches dans son bunker, tourne Body Snatchers. Comment ne pas trouver des résonances entre l'idée, le concept du film, et justement la grande mécanique de déshumanisation que représente l'horreur nazie ? Hitler, dans son projet effroyable ne voulait-il pas une société idéale, parfaite ? On peut donc comprendre ce qui a intéressé Hirschbiegel, faire d'un classique un vrai film politique qui par une métaphore à peine dissimulée interroge les fondements de nos sociétés, et en passant l'Amérique d'aujourd'hui. Peut-être que ce film existe, mais on ne le verra jamais. Lorsque le film a fini d'être tourné en 2006, les studios n'ont tellement pas aimé la copie d'Hirschbiegel, que plutôt que lui demander de revoir son montage, ils ont engagé larry Wachowski et Andy Wachowski pour récrire le scénario, et James McTeigue (V pour Vendetta) pour retourner des scènes. Invasion fait donc partie de ces films maudits, sacrifiés, comme Le treizième guerrier (libérez John McTiernan !) dont nous ne saurons jamais les intentions du réalisateur officiel.Soyons honnêtes, la version d'Hirschbiegel ne ressemble à rien. L'histoire est la même, mais du point de vue de Carol (Nicole Kidman), psychanalyste très attachée à son fils qu'elle élève seule et dont le père (de l'enfant), bossant pour le gouvernement ou quelque chose du genre, répand le virus en le faisant passer pour un vaccin (il était présent sur le lieu du crash d'une navette spatiale dont les débris contenait le virus). Heureusement, Carol aime bien Ben (Daniel Craig, figurant), qui coup de chance est médecin et l'aide à sauver le monde avec un pote. Le récit se structure donc autour de Carol, qui d'abord découvre le monde changé autour d'elle (grands moments de subtilité et de regards entendus), puis court sauver son fils avec qui elle finit par s'échapper, pourchassés par des aliens ressemblant à des zombies (version 28 jours plus tard). Problème : le film n'a aucune nuance, ménage très mal le processus de contamination, et surtout on ne compte pas le nombre d'invraisemblances, d'incohérences ou d'ellipses incroyables dont il est émaillé. Le remontage du film est si grossier (on passe d'un lieu à l'autre sans continuité, les personnages sortent de nulle part), les situations si improbables (Nicole entre dans un wagon de métro où, comme par hasard, personne n'est contaminé alors que la ville entière est zombifiée) que ça tient du défi au bon sens et aux conventions.Malgré tout, au milieu des ruines et du remontage involontairement drôle de la team Wachowski (qui on l'espère a autant honte qu'Hirschbiegel du résultat), subsistent quelques bribes de ce qui pouvait être ou a été le film à l'origine (à moins que ce soit les idées des Wachowski qui surnagent). L'idée est ici politique et plus largement anthropologique, Invasion laissant suggérer que c'est en déshumanisant l'homme qu'on trouverait la paix mondiale. Pour le prouver, le film glisse grossièrement deux pistes, la première autour d'un dialogue sur la nature humaine, l'autre avec les images d'actualité qui montrent comment la contamination permet, entre autres, de régler le conflit coréen (le nord et le sud se réunissent), ou encore "hugo chavez" rec="0" et "george bush" rec="0" qui finissent par trouver un accord. Amusant, naïf mais pas idiot. La différence, voire le mal, font partie de la nature de l'homme, sans ça nous ne sommes plus humains et la société idéale, pacifiée, c'est bien celle déshumanisée, donc l'horreur absolue. Morale de l'histoire, on n'existe pas sans la morale. Mais de là à dire qu'on n'existe pas sans divergence politique ou nécessité du politique, quel qu'il soit, c'est une autre histoire.Invasion
De Oliver Hirschbiegel
Avec Nicole Kidman, Daniel Craig, Jeremy Northam
Sortie en salles le 17 octobre 2007
Illus. © Warner Bros. France
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