- Fluctuat
Quatrième vrai long métrage de Miyazaki (si l'on met de coté son premier « Le château de Cagliostro » adapté de la série télé «Lupin 3»), Kiki est aussi sa première adaptation sur grand écran. Inspiré d'un roman populaire auprès de la gent féminine au Japon, Miyazaki y retrouve quelques uns de ses thèmes de prédilection (tel que le récit initiatique), préfigurant ce qui sera en substance tout le « Voyage de Chihiro ».
Grâce aux voies ténébreuses de la distribution, qui mit bien des années à enfin accepter Miyazaki comme l'un des plus grands réalisateurs d'animation de tous les temps, c'est Kiki La petite sorcière (plus connu sous le titre de Kiki's Delivery Service ou Majô no Takkyûbin pour les anciens) que nous avons enfin la joie de voir arriver en salle. Chose impensable il y a encore dix ans, où seulement une poignée d'amateurs déjà purs et durs se rendaient au Festival d'Annecy de 1993, pour célébrer comme il se doit au grand maître l'une de ses rares (unique ?) venues en France. Déjà reconnu comme un maître voire un génie, il fallut que les droits de distribution internationaux des films du Studio Ghibli soient achetés par Disney pour qu'enfin, petit à petit, de Porco Rosso à Princesse Mononoké, jusqu'au triomphe historique de Chihiro, les films soient vus et que surtout le public abandonne ses à-priori. Une longue et lente traversée, corollaire au succès des mangas traduits en français, et surtout à une reconnaissance public et critique d'un style longtemps fustigé par certains pour sa « pauvreté ». Alors que dans l'ombre, n'en démordant jamais, tous les kids gavés de cette animation made in Japan (largement diffusé sur nos écrans télés), continuaient de faire commerce et vouer un culte à un genre unique au monde.Désormais il n'y a plus rien à prouver. Les mangas, l'animation japonaise sont notre pain quotidien, un vrai business. Aujourd'hui c'est Kiki qui nous intéresse. Kiki est une apprentie sorcière. Elle a tout juste 13 ans lorsqu'elle quitte le domicile familial pour la ville, afin d'y faire son initiation. Ville européanisée évidemment, avec ses accents méditerranéens, ses couleurs luxuriantes et ses lumière chatoyantes. Ce mouvement, passage, transit vers une expérience formatrice a d'emblée quelque chose d'un peu paradoxale. Kiki quitte ses parents, sur son authentique balai de sorcière, accompagnée de son chat Jiji (doué de la parole), pour apprendre un métier. A la ville, elle sera boulangère. Mais, comme chez Miyazaki le merveilleux ne se sépare jamais vraiment du réel, c'est avec ses talents de sorcière qu'elle met tout en oeuvre afin de subvenir à ses besoins. La magie doit donc se confronter au réel. Et par là c'est toute l'idée même d'un univers de jeune fille, ses fantasmes, songes, rêveries, qui doivent se frotter à la réalité. Descendre jusqu'à la terre, elle qui sait si bien dominer le ciel.Initiation bien sûr. Avec envolées, chutes, rebondissements, précipitations, illusions puis désillusions, morceau de bravoure final et enfin espoir. Dans Kiki comme partout chez Miyazaki, ça coexiste. On y apprend à vivre, à croire, à aimer. Il y a un mouvement. Horizontal et vertical, c'est toujours l'expérience d'une temporalité dans une série d'évènements qui permet d'entraîner une mutation, un changement. C'est apprendre à être avec les autres, un métier. Comme il s'agit de devenir, de croire, d'avoir foi en la vie et la communauté. Chez Miyazaki on finit toujours par se reposer, mais il faut d'abord apprendre, comprendre ou se battre pour pouvoir y accéder.Comme chez Miyazaki on finit par s'installer, il en est de même avec ses images. Dans son oeuvre, et dans Kiki, la nature aspire toujours à une communion sereine avec l'homme. Son génie du tracé, de la couleur ou de la lumière, est une constante détente de l'oeil. Pour une scène ou un plan, comme Kiki allongée dans l'herbe, le climat recèle une force de quiétude dans laquelle on se projette avec une rare intensité. Par le souffle du vent, l'ondulation qu'il provoque dans ces herbes, Miyazaki crée un cinéma où il n'est plus question uniquement que de matière. Il devient l'immanence d'un rapport sacré à la nature, où l'homme, par notre regard, cherche les modulations infini d'un échange véritable et spirituel. Si Kiki apprend, nous aussi apprenons un devenir au travers même des images. Une certaine sérénité se transmet, en souplesse, par des mouvements dus à des traits jamais aigus ou en arrêtes, mais toujours en rondeur. Le plein est à la fois vide et le vide à la fois plein. Les images de Miyazaki sont comme un fluide, elles sont incroyablement vivantes, et c'est ce qui en fait des demeures où l'on se réfugie avec un plaisir constant et intensément renouvelable.Kiki la petite sorcière
Un film de Miyazaki Hayao
Musique : Joe Hisaishi
Sortie nationale le 31 mars 2004[Illustrations : droits réservés GBVI. Merci à Nicolas S. pour l'autographe]
Sur Flu :
- Lire la chronique de Nausicaa de la vallée du vent (1984)
- La chronique de Laputa, le château dans le ciel (1986)
- La chronique de Kiki, la petite sorcière (1989)
- La chronique de Princesse Mononoké (1997)
- La chronique de Le Voyage de Chihiro (2001)
- La chronique de Le Château ambulant (2004)
- Lire l'entretien avec Hayao Miyazaki (rencontre au Forum des images, décembre 2001)
- La bande annonce de Nausicaä sur Ecrans, le blog cinéma
- Les premières minutes de Nausicaä sur Ecrans, le blog cinéma
- Voir les fils animation et studio Ghibli