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POUR
Disparue en 2017, Emmanuèle Bernheim avait co- signé le scénario de quatre films de François Ozon. Mais adapter ce récit intime consacré à la fin de vie de son père collectionneur après un AVC n'avait rien d'un long fleuve tranquille pour lui. D'abord parce qu'en traitant du droit à mourir dans la dignité, le risque est grand de tomber dans le pur film à sujet. Et parce qu'à la connaître aussi bien, existait la tentation de ne pas s'employer à la trahison que nécessite toute bonne adaptation. Tout s'est bien passé balaie ces deux inquiétudes en osant accompagner la description clinique de la volonté de cet homme d'en finir avec l'existence avant d'être totalement diminué par une trivialité et un humour inattendus. Faisant dialoguer deux pans de son cinéma - la puissance émotionnelle d'un Sous le sable et l'aspect sale gosse d'un Sitcom - Ozon refuse toute prise d'otages émotionnelle et ose les sorties de route, les moments de gêne. La vie envahit ce récit et l'éloigne de toute tentation mortifère.
Ce travail se retrouve dans la finesse de sa direction d'acteurs. Il n’enferme pas Sophie Marceau dans un rôle à la Tchao Pantin mais s’appuie au contraire sur son naturel insensé pour l'entraîner paisiblement dans des nuances non encore explorées. Et il a l'intelligence de ne pas faire d'elle le centre de l'intrigue. D'abord en associant au maximum son personnage à celui de sa soeur, interprétée avec autant de justesse par Géraldine Pailhas. Mais surtout en faisant du père le personnage symbole d’un film qui n'a jamais peur d'aller vagabonder sur le terrain de la farce. Dans ce rôle, André Dussollier, épatant de démesure, emmène le film à un endroit dérangeant voire malaisant qui n'obéit précisément à aucune règle préétablie. Soit exactement ce que ressentent ceux qui sont confrontés à une tragédie identique
Thierry Cheze
CONTRE
Avec les sorties en rangs peu dispersés de Falling, The Father, en attendant Vortex, la fin de vie à le vent en poupe. Tout s’est bien passé nous rassure François Ozon, la mort tant désirée s’est faite sans douleur. Les râles du vieil homme (André Dussollier visage déformé comme à la parade et débit heurté du supplicié), ne sont que des amuse-gueules avant le « doux » effacement. « Bien passé », à l’image de la mise en scène d’un cinéaste d’une sagesse exemplaire, qui de films en films essaie de tacher son propre tapis mais finit indécrottablement par tout cleaner derrière lui. Ce cinéma-là, indolore, plaqué, est facile à caser et ne supporte pas une relecture assidue puisque tout est dit et montrer sans jamais rien dissimuler. Une fois passé l’effet de surprise de voir un Dussollier en gros plan jouer les grabataires, qu’attendre sinon de déceler, ici et là, dans un œil qui frise une volonté vite réprimée de s’amuser avec nous ? A son chevet, le cinéma français haut de gamme (Marceau – Pailhas) feint l’embarras mais reste dans le rôle programmé d’une caste de bourgeois qu’on sait gré de ne pas jouer la bohème. On aimerait que tous ces films qui se ressemblent un peu tous, soient le simulacre de leur propre enterrement. C’est évidemment l’inverse. Ils font acte de résistance, s’accrochant aux grosses ficelles d’un académisme de tout temps plébiscité (Oscars, César...) Hasard et faille spatio-temporelle, au milieu de ce gratin, un inédit de George A. Romero, The Amusement Park, s’est invité au banquet. A travers le calvaire d’un vieil homme pris au piège d’un parc d’attraction, le père des morts-vivants aujourd’hui disparu démontrait que parler du grand âge n’exclut pas la modernité du geste.
Thomas Baurez