Agathe Riedinger suit une héroïne qui se rêve star de télé-réalité. Une œuvre en prise avec son époque, non dépourvue de défauts, mais qui révèle surtout un talent brut : Malou Khebizi
Est-ce une manière de garder des forces pour Megalopolis prévu demain ? On pouvait en tout cas entendre des mouches voler après l’ultime image de Diamant brut, le seul premier long métrage en course pour la Palme d’Or. Ni tonnerre d’applaudissements, ni huées. Une sorte d’indifférence vraiment injuste pour un film certes imparfait, mais qui ne fait pas dans le consensus. A l’heure où le Palais des festivals grouille de Tik Tokeurs documentant chaque instant de leur « expérience cannoise », la cinéaste a notamment trouvé une manière singulière de parler de notre époque, celle des réseaux sociaux et du consumérisme narcissique, en évitant la charge moralisatrice facile. En allant au-delà du mauvais goût et de la superficialité auxquels on réduit souvent, avec une certaine paresse, ces phénomènes.
Pour une raison simple. Agathe Riedinger est, de sa première à sa dernière image, a la bonne place. Elle fait corps avec son héroïne. Liane est une adolescente de 19 ans qui vit à Fréjus avec une mère défaillante (Andréa Bescond, étonnante) et sa petite sœur. Elle rêve de s’échapper de ce morne quotidien et pense toucher au but quand elle décroche un casting pour une émission de télé-réalité. Mais commence alors l’attente longue, très longue de sa sélection définitive. Le geste puissamment empathique n’esquive aucune des contradictions de cette jeune femme, tout sauf spontanément aimable. Diamant brut est de fait un film rêche, qui crée de l’inconfort chez le spectateur. Car il épouse la rugosité de son héroïne. Une jeune femme en rage. Incapable de rester en place quitte à s’épuiser elle-même. Et obsédée par sa liberté : liberté de s’habiller comme elle l’entend, liberté de faire ce qu’elle veut avec son corps, liberté de ne pas dépendre d’un petit copain et de rester vierge.
Le format choisi, le 4/3, ajoute à la sensation d’enfermement. Liane est comme un lion en cage et paraît se cogner en permanence sur les quatre coins d’un grand écran trop petit pour elle. Mais au-delà de ce parti pris technique, Agathe Riedinger a surtout su échapper aux pièges, nombreux, qui la guettaient. A commencer par cette question centrale : comment filmer l’hyper-érotisation de ce personnage au corps refait (tendu vers son idée de la perfection) sans verser dans le voyeurisme sexy ? Riedinger parvient, telle une funambule, à se maintenir sur un fil ténu. On pourra reprocher à sa mise en scène d’être parfois un peu trop scolaire, incapable de se libérer de l’influence évidente du American honey d’Andrea Arnold, un peu trop démonstrative. Pourtant cette influence paraît presque paradoxale tant Diamant brut ausculte les rapports hommes femmes d’une manière radicalement différente de la cinéaste britannique. Ici, nulle trace de manichéisme. La panoplie des personnages masculins, des plus jeunes aux plus âgés, raconte par sa variété le refus de Riedinger de genrer un comportement pré-établi. Et c’est sans doute pourquoi, malgré les défauts pré-cités, la cinéaste réussit à saisir si bien les injonctions contradictoires permanentes de notre époque. Rien de tout cela n’aurait été possible sans celle qu’elle a choisi pour camper Liane, Malou Khebizi, vierge jusqu’ici de toute expérience cinématographique. Devant la multitude des émotions extrêmes et contraire qu’elle a à jouer, devant la façon dont elle s’y emploie, le terme révélation paraît faible. Le mot surgissement s'impose !
De Agathe Riedinger. Avec Malou Khebizi, Idir Azougli, Andrea Bescond… Durée : 1h43. Sortie le 9 octobre 2024
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