Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
GEMINI MAN ★★★☆☆
D’Ang Lee
L’essentiel
Ang Lee surfe sur un script banal pour livrer un film d’action théorique et vertigineux.
Un train lancé à trois cent à l’heure, un sniper qui l’attend planqué dans la campagne ensoleillée : Ang Lee utilise la scène d’introduction de Gemini Man comme une porte d’entrée pour immerger son public dans son monde. Voilà le cadre, voilà les règles du jeu. C’est aussi comme si Ang Lee dialoguait avec la scène d’introduction de Volte-face de John Woo, mais le réalisateur de The Killer embrassait complètement son sujet et livrait une synthèse des actioners US et HK (d’ailleurs on frémit d’avance en pensant que le remake US de Volte-face en pré-production risque justement d’utiliser des techniques de performance capture) qui brouillait les genres en échangeant des visages et des corps. Lee, lui, théorise. Et sa caméra laisse loin derrière son sujet.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE A AIMÉ
ALICE ET LE MAIRE ★★★☆☆
De Nicolas Pariser
Le maire socialiste de Lyon est au bout du rouleau (toute ressemblance avec Gérard Collomb...), à court d’idées neuves. Pour se relancer et stimuler ses neurones, il décide de faire appel à une jeune philosophe, étrangère aux manœuvres politiciennes et animée de ses seules idées progressistes. On sait depuis son premier long, l’excellent Le Grand Jeu, que Nicolas Pariser est passionné par la chose publique, ses arcanes, ses enjeux personnels et nationaux.
Christophe Narbonne
J’IRAI OÙ TU IRAS ★★★☆☆
De Géraldine Nakache
Pour son premier film en solo après deux coréalisations aux destins contraires (Tout ce qui brille et Nous York), Géraldine Nakache reste sur un terrain familier et pourtant semé d’embûches : la comédie dramatique, entre rires et larmes, où tout est question de dosage. Mais elle possède le mojo pour éviter les pièges du pathos ou d’une trop grande retenue qui empêcherait l’indispensable empathie avec ses personnages.
Thierry Cheze
PSYCHOMAGIE, UN ART POUR GUÉRIR ★★★☆☆
De Alejandro Jodorowsky
D’emblée, Alejandro Jodorowsky met les points sur les i : la « psychomagie » qu’il décrit dans ce documentaire (produit par financement participatif) n’est pas une science ni une psychiatrie, mais une méthode pour faire affronter à ses « patients » leurs traumas (familiaux, bien sûr) profondément enfouis. Sa psychomagie suit les principes de la magie sympathique : ce n’est pas la magie qui vous paye un verre en fin de soirée, mais celle qui utilise le semblable pour agir sur le semblable. Par exemple, Jodo fera sauter en parachute une femme traumatisée par le souvenir de son mari qui s’est suicidé en se jetant par la fenêtre. On pense ce que l’on veut de la portée thérapeutique de cette méthode : en tout cas, à l’écran, les patients de Jodorowsky deviennent les acteurs d’une série de happenings comme lui seul semble être capable de les imaginer. Le réalisateur peint un homme en or dans une église après lui avoir dit de se barbouiller les testicules de sang, il enterre un patient sous des kilos de barbaque qui seront dévorés par des vautours, une femme brûle sa robe de mariée au crématorium pour exorciser le fantôme de son mari... C’est beau (souvent), grotesque (parfois), empathique (tout le temps). Bref, c’est du pur Jodorowsky, chef d’orchestre et gourou d’un magnétisme inoxydable. Suivant votre amour pour les performances théâtrales et grand-guignolesques de l’artiste, vous en sortirez plus ou moins convaincus.
Sylvestre Picard
LE REGARD DE CHARLES ★★★☆
De Charles Aznavour & Marc Di Domenico
Le générique de ce documentaire a de quoi intriguer : « Un film de Charles Aznavour, réalisé par Marc Di Domenico. » Une petite explication s’impose. De 1948 à 1982, Aznavour a filmé son quotidien avec une caméra offerte par Édith Piaf. Ses voyages, ses tournées, ses tournages. Ses amours, ses amis, ses emmerdes. Mais jusqu’à peu avant sa disparition, personne ne connaissait cette manne d’une richesse inouïe. Et puis un jour, le chanteur a décidé d’ouvrir cette malle aux trésors et de la confier à Di Domenico, devenu son ami au fil d’un docu télé que ce dernier tournait sur lui. Ce cadeau inestimable aurait pu se révéler empoisonné. Que faire de toutes ces bobines ? Comment trouver une narration ? Que garder et écarter ? Di Domenico apporte des réponses convaincantes à ces interrogations. Certes, il y a des manques. Évidemment, ces 83 minutes paraissent frustrantes tant chaque séquence donne envie de voir les heures non retenues. Mais l’essentiel se situe ailleurs. Dans la façon dont Di Domenico parvient à raconter l’homme et l’artiste Aznavour – qui semble avoir voulu filmer sa vie pour s’assurer qu’il ne rêvait pas les yeux ouverts – sans gommer des aspects moins flatteurs (son rapport à sa première femme et à l’argent) ou plus tragiques (le décès de son fils Patrick d’une overdose). Ces fragments d’une existence hors normes se vivent comme un tourbillon, au rythme de ses chansons, de moments cultes (le tournage en couleur d’Un taxi pour Tobrouk) et d’une voix off (celle de Romain Duris) récitant les écrits de l’artiste.
Thierry Cheze
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
ATLANTIQUE ★★☆☆☆
Un premier long est souvent le rendez-vous d’un trop-plein d’envies, au cas où il n’y ait jamais de deuxième fois. Bien que récompensé du Grand Prix à Cannes cette année, le film de Mati Diop n’évite pas cet écueil. Atlantique démarre en effet comme un quasi-documentaire sur une réalité tragique : ces Africains qui quittent leurs pays sur des embarcations de fortune, voués à une mort presque certaine dans l’Atlantique en rêvant d’un monde meilleur en Europe.
Thierry Cheze
BONJOUR LE MONDE ! ★★☆☆☆
D’Anne-Lise Koehler & Éric Serre
Récompensée en 2015 du Cristal de la meilleure production télé au festival d’Annecy, la série d’animation Bonjour le monde !, vue sur France 5, débarque sur grand écran. En 70 minutes, ce long métrage explore, par le biais de marionnettes en papier mâché prenant vie en stop motion, le quotidien de dix espèces animales (brochet, castor, hibou...) vivant dans le même milieu naturel, entre eaux et forêts. À destination des tout-petits, Bonjour le monde ! entend sensibiliser le jeune public à la préservation de la nature et l’équilibre des écosystèmes. L’ambition des deux coréalisateurs, Anne-Lise Koehler et Éric Serre (collaborateurs de Michel Ocelot sur Kirikou et la sorcière), est noble et l’animation en papier mâché très réussie. Mais le ton lénifiant des commentaires et sa pédagogie à étage excluent d’office les spectateurs de plus de 6 ans.
Thierry Cheze
VIAJE ★★☆☆☆
De Celia Rico Clavellino
Pour son premier long métrage, l’Espagnole Celia Rico Clavellino explore une relation mère-fille où l’amour contraint autant qu’il apaise. Comme toutes les jeunes filles de son âge, Léonor rêve de quitter le nid familial. Partir loin. En Angleterre. Mais elle sait que ce départ fragiliserait une mère qui n’a toujours pas fait pleinement le deuil de son mari disparu. Forcément, après avoir longtemps tu et refréné cette envie, sa concrétisation va engendrer chez cette mère une vraie souffrance, la renvoyant à la solitude qui semble désormais devoir guider sa vie. La réalisatrice a la belle idée de concentrer l’essentiel de son récit dans cet appartement familial, symbolisant son double aspect cocon et prison. Mais le très délicat Viaje reste trop sage et trop scolaire pour transcender un sujet aussi classique et y apporter une touche réellement personnelle.
Thierry Cheze
CHAMBORD, LE CYCLE ÉTERNEL ★★☆☆☆
De Laurent Charbonnier
Spécialiste des images animalières, Laurent Charbonnier a réalisé ce documentaire pour les 500 ans du fastueux château de Chambord : lancée en 1519 par François 1er, la construction de l’édifice s’étirera jusqu’à la fin du XVIIe siècle, sous Louis XIV. Le film raconte cette genèse chaotique et les rapports complexes qu’entretiennent les souverains (puis les présidents) avec le flamboyant Chambord, incarnation du génie français, mais trop éloigné des lieux du pouvoir central, à Paris. Au-delà de la grande histoire, Charbonnier s’intéresse au domaine national de Chambord et à son écosystème unique, qu’il filme amoureusement à la manière d’un opérateur Disney Nature. Un documentaire bien fait, pédagogique à souhait, auquel il manque une étincelle d’originalité – les passages animés sont à cet égard bien ratés.
Christophe Narbonne
VOUS ÊTES JEUNES VOUS ÊTES BEAUX ★★☆☆☆
De Franchin Don
Pour son premier film, Franchin Don a choisi de traiter d’un sujet tabou : la solitude des personnes âgées. Et a pour cela adapté À nos pères, un roman de Tarek Noui, centré autour de Lucius, un septuagénaire bien conservé qui jongle entre sa maigre retraite, sa maîtresse (Josiane Balasko) et l’avancée d’une maladie qui le consume. Pour financer sa place en maison de retraite, Lucius va participer à « des combats de vieux ». Cette histoire crue, noire, sordide même, est habitée par la silhouette grave de Gérard Darmon. Son interprétation est l’une des forces de ce film un peu trop bancal, dont l’autre qualité majeure réside dans le travail sur l’image. La photographie de David Merlin-Dufey et ses cadrages apportent une esthétique originale à ce récit métaphorique sur la fin de vie.
Sophie Benamon
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