Tim Burton du pire au meilleur
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En réactivant la figure de Beetlejuice, Tim Burton a retrouvé de son mordant. L’occasion de replonger dans la filmo du cinéaste aux cheveux fous pour y remettre un peu d’ordre en s’amusant à classer ses 20 longs métrages.

20/ Alice au pays des merveilles (2010)
Alice, pire film de Tim Burton ? Encore plus mauvais que La Planète des Singes ? Oui, dans le sens où il symbolise tout ce que le réalisateur nous a appris à détester au cinéma : les grosses machines corporatistes et creuses gommant la sensibilité des artistes qui les fabriquent, le triomphe du tout numérique contre la beauté fragile du fait main… La personnalité du réalisateur d’Edward aux mains d’argent (et celle de Lewis Carroll, au passage) disparaît totalement dans ce film disgracieux, gros barbouillis digital plombé pour ne rien arranger par une 3D complètement bâclée.

Alice au pays des merveilles (2010)
Walt Disney Studios

19/ La Planète des singes (2001)
Confier le remake d’un classique aussi adoré (et pompé) que La Planète des singes à un cinéaste ayant une identité aussi marquée que Burton était une bonne idée… Sur le papier. A l’écran, le résultat est atterrant. Tellement que malgré un succès public certain (dans le top 10 mondial de 2001, l’année du Seigneur des Anneaux et du premier Harry Potter), la Fox a remis la franchise au frigo pendant dix ans. La Planète des singes version Burton aurait pu être un grand cauchemar ou une fresque de fantasy twistée par l’imagination infantile de son auteur : à l’arrivée, c’est un pauvre machin shooté dans un vieux désert comme une copie italienne de Star Wars (sans la poésie qui s’y rattache), mal joué, mal écrit, avec un plot twist incompréhensible. Non, vraiment rien de bon à dire sur ce film. Ah, si, les maquillages sont bien. C’est la base, vous nous direz….

La Planète des singes (2001)
20th Century Fox

18/ Dark Shadows (2012)
Peut-être faut-il avoir grandi dans l'Amérique des sixties pour apprécier cette comédie horrifique boursouflée et éprouver une bouffée de nostalgie... Vue d'ici, cette adaptation d'une vieille série culte de la télé US a tout de l'accident de parcours burtonien. Se caricaturant lui-même, le cinéaste gothique s'embourbe dans une farce vampirique épuisante, se contentant de cocher des cases, jusqu'aux apparitions grotesques d'Alice Cooper et Christopher Lee. Hormis le charme vénéneux de la vamp Eva Green, il n'y a pas grand-chose à garder de ce Burton commercial sans saveur, qui aura réussi à glaner 250 millions de dollars au box-office mais aura mis un dernier clou sur le cercueil de la fabuleuse collaboration entre le cinéaste et Johnny Depp, déjà bien égratignée par Alice au pays des merveilles deux ans plus tôt.

Eva Green dans Dark Shadows (2012)
Warner Bros

17/ Charlie et la chocolaterie (2005)
Une comédie musicale réalisée par Tim Burton à partir de l'univers poétique, mais finalement pas si enfantin que ça, de Roald Dahl, pourquoi pas ? Dommage que les morceaux musicaux soient si peu mémorables, pas aidés par des effets visuels inégaux. Sans être aussi désastreux qu'Alice ou Dark Shadows, Charlie souffre de son manque de constance, le sort des vilains enfants pouvant être méchamment drôle... ou complètement raté. A l'image de son casting, qui passe du très juste Freddie Highmore à du surjeu frisant le ridicule. Considéré "too much" ou acclamé pour son extravagance, Depp en Willy Wonka irrite et amuse le public à la fois, illustrant bien l'ambivalence de ce film mi-culte, mi-décrié par les fans de Burton. A Première, on est clairement dans le camp des déçus, lui préférant le plus gourmand et généreux Wonka, de Paul King.

Charlie et la Chocolaterie
Warner Bros.

16/ Big Eyes (2014)
Une artiste peint des drôles de créatures aux grands yeux dont le public américain s’entiche, mais c’est son mari, un imposteur très fortiche en marketing, qui s’attribue la gloire et les dollars… En grosse crise de doute après le triomphe de l’impersonnel Alice au pays des merveilles, Burton convoque les deux scénaristes surdoués d’Ed Wood (Scott Alexander et Larry Karaszewski) pour ouvrager avec eux ce biopic deux-en-un, double portrait de Walter et Margaret Keane en forme de thérapie perso. Plus qu’un autoportrait : l’autocritique d’un cinéaste écartelé entre l’art et le business, devenu une marque à son corps défendant. Passionnant théoriquement, le film a malheureusement le rythme d’un film à Oscars un peu mollasson, et est alourdi par la prestation hyper crispante d’un Christoph Waltz qui joue l’époux charlatan comme si Beetlejuice avait pris possession de Willy Wonka.

Big Eyes
StudioCanal

15/ Miss Peregrine et les enfants particuliers (2016)
Entre Big Eyes et Dumbo (sacré grand écart), Burton adapte le premier tome de la série de romans best-sellers de Ransom Riggs. Un film mi-cuit à l’imaginaire gentiment routinier (l’influence d’Harry Potter peut exaspérer), pourtant pas inintéressant dans sa façon de mélanger les X-Men avec Un Jour sans fin. Le cinéaste bute sur l’émotion - tuée dans l’œuf par des mécaniques trop bien huilées - et envisage le projet comme un défi, un terrain de jeu à conquérir et où apposer sa signature. Un investissement d’ego sûrement un peu trop important pour le bien du film.

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14/ Frankenweenie (2012)
Le réalisateur ressuscite son court-métrage de 1984 en prises de vues réelles pour en faire un long en stop motion. Ultra rythmé, ce Frankenstein à hauteur d’enfant est également une incontestable réussite formelle. Ceci posé - et on a bien conscience que ce n’est pas rien -, Frankenweenie reste une très sage fable gothique, qui ne fait que recycler sous une autre forme les marottes de son auteur. Il y a évidemment bien pire dans la filmo de Tim Burton, mais c’est toujours un peu triste de voir un grand metteur en scène se placer exactement là où on l’attend. 

Frankenweenie
Walt Disney

13/ Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street (2007)
Un cas épineux. L’un des titres les plus étranges de la filmo burtonienne – malgré les présences familières de Johnny Depp et d’Helena Bonham Carter au générique. Adaptant un musical de Stephen Sondheim, Burton s’abandonne à un romantisme très noir, hyperstylisé et ultra-sanglant, qui produit une impression puissante, mais finit néanmoins par s’abîmer dans la répétition des torrents d’hémoglobine, des poses théâtrales et des vocalises assommantes. Un film radical, d’abord séduisant, puis repoussant, et auquel on ne revient jamais. Mais peut-être qu’on devrait ? 

Sweeney Todd
Warner Bros.

12/ Dumbo (2019)
Après Alice au pays des merveilles, sa deuxième modernisation en live-action d’un classique Disney. Burton adore dire du mal de ce film, symbole pour lui de ses compromissions artistiques avec la maison de Mickey, mais on se permettra de le contredire : son Dumbo est un film superbement manufacturé, vibrant et investi, et proposant plein de relectures malignes des scènes canoniques du chef-d’œuvre originel (magnifique scène des bulles de savon). Le cinéaste se projette dans la figure d’un éléphanteau bizarro prisonnier d’un affreux cirque, c’est tout bête, mais surtout très émouvant. Un film au parfum d’enfance et de liberté retrouvée qui prouve que le cinéaste fou des « big eyes » est aussi très doué avec les grandes oreilles.  

 

Dumbo (2019)
Disney

11/ Les Noces Funèbres (2005)
Déjà très inspiré sur L'Étrange Noël de monsieur Jack (réalisé par Henry Selick en 1993), Tim Burton récidive une décennie plus tard avec cette adaptation d'une légende slave. Ces Noces Funèbres doivent beaucoup à l'artiste Joe Ranft, storyboardeur et scénariste, à l’origine de l’histoire, décédé avant la sortie du film. C'est lui qui a convaincu Burton de se lancer dans ce conte gothique délicieux, qui raconte le mariage accidentel d'un fils de bonne famille avec un cadavre en robe blanche. Le réalisateur transforme la fable en tragicomédie hantée, débordante de poésie et peuplée de créatures réjouissantes merveilleusement animées en volume. Un film à la fois ténébreux et familial, envoûté par la fantastique bande originale de Danny Elfman, à son meilleur.

Les Noces funèbres de Tim Burton
Warner Bros. France

10/ Beetlejuice Beetlejuice (2024)
En réveillant le démon dingo Beetlejuice 36 ans après ses premiers faits d’armes, c’est comme si Tim Burton se tendait un miroir à lui-même. Verdict ? Le gentil prince des ténèbres a de beaux restes. Beetlejuice Beetlejuice parvient à retrouver un peu du charme azimuté et de l’ambiance bricolo-rigolo de l’original, le temps de quelques séquences endiablées, bien servies par un casting qui a véritablement l’air de s’amuser, plutôt que de gentiment cachetonner, comme c’est d’ordinaire le cas dans ce genre d’entreprises. Et tant pis si le script a l’air aussi rapiécé que la Delores jouée par Monica Bellucci. Il faut sans doute accepter, comme dirait Lydia Deetz, que « c’est n’importe quoi, l’au-delà ». 

Jenna Ortega et Tim Burton sur le tournage de Beetlejuice 2
Parisa Taghizadeh / Warner Bros.

9/ Mars attacks! (1996)
Un ovni dans la filmographie du cinéaste. Comme une réponse au très sérieux Independence Day de Roland Emmerich - sorti six mois plus tôt - Tim Burton rejoue l'invasion des extraterrestres sur le ton de la blague potache. Jamais enclin à faire de la comédie pure, le cinéaste se vautre ici avec jubilation dans la farce de science-fiction, à ne surtout pas prendre au sérieux. Ses martiens sont absolument méchants, génialement cruels et férocement sadiques. Maniant l'humour noir avec une dextérité ébouriffante, Burton en fait des caisses et massacre son casting de stars avec une jubilation évidente, coupant Pierce Brosnan en morceaux ou plantant un drapeau dans le corps de Jack Nicholson ! Un divertissement exquis, qui parodie les films d'invasion alien des années 50 avec une espièglerie enfantine parfaitement communicative.

Mars Attacks!
Warner Bros.

8/ Pee-Wee Big Adventure (1985)
Après quelques courts-métrages remarqués (dont le culte Frankenweenie), Tim Burton se fait les dents sur son premier long métrage en filmant Pee-Wee Herman, l’enfant chelou coincé dans un corps d’adulte en nœud pap’, star télé propulsée ici sur grand écran et traversant l’Amérique à la recherche de sa bicyclette disparue. Au service de l’univers de Pee-Wee, et encore un peu sous influence (celles de Joe Dante et John Landis principalement), le jeune Tim parvient néanmoins à imposer son goût pour les visions farfelues, pour le recyclage postmoderne des fétiches de la cuture américaine, et manifeste une vraie envie de tout dynamiter, derrière la candeur de façade. Adoré aux Etats-Unis, un peu curieux vu d’ici, et franchement très marrant – pour peu qu’on adhère à l’humour au 372ème degré de Paul Reubens. 

Pee-Wee Big Adventure de Tim Burton
Warner Bros./Bis Repetita

7/ Batman (1989)
S'il est paradoxalement moins burtonien que son successeur rempli de freaks, le premier Batman établit tout de même quelques règles clés de son cinéma grand public, de sa musique pulp à souhait (Prince en pleine forme, le thème de Danny Elfman qui sera repris pour le générique culte de la série animée) à ses décors de Gotham qui influenceront énormément les futurs réalisateurs de la saga. Sans oublier son héros -Michael Keaton à son meilleur- aussi fou que son ennemi, pourtant incarné par le toujours bigger than life Jack Nicholson. Preuve qu'un bon interprète de Batman devrait toujours faire un bon Joker, et vice-versa. "You wanna get nuts ?"

Batman (1989)
Warner Bros.

6/ Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête (1999)
Un quart de siècle après sa sortie, le conte gothique Sleepy Hollow, beau film qui marquait à la fin des 90s l’instauration d’une forme de routine burtonienne, est devenu une superbe pièce de musée, un très précieux témoignage de la façon dont on pouvait envisager le cinéma à Hollywood, à la fin du XXème siècle. La magnificence des costumes et des décors, le soin maniaque apporté à chaque effet, le rythme follement envoûtant, les hommages intenses, si sincères et amoureux, à la Hammer et à Bava, Johnny Depp exerçant génialement son art du burlesque livide… Tout ici est magnifiquement pensé, ouvragé et raconté. A en perdre la tête. 

Sleepy Hollow
Paramount

5/ Big Fish (2003)
Deux ans après la catastrophe La Planète des singes, Tim décide de se remettre en selle avec l’objet le plus intimiste de sa carrière. Encore sous le choc du décès de ses parents quelque temps plus tôt, Burton tombe le masque et assume un mélo flamboyant où le mythe et la réalité deviennent indiscernables. Big Fish trifouille toutes les obsessions burtoniennes mais les teinte d’une rêverie poétique qui échappait au cinéaste depuis Edward aux mains d'argent. Un film pour enfin faire la nique à la mort et permettre à l’imaginaire de triompher face aux ténèbres : existe-t-il un plus beau projet de cinéma ? Dans un monde parallèle, Big Fish aurait pu prétendre à la première place de ce top.

Big Fish
Columbia Pictures

4/ Beetlejuice (1988)
Si Paul Rubens a eu du nez en l'engageant pour mettre en scène son Pee Wee, beaucoup considèrent Beetlejuice comme le véritable premier long de Tim Burton. Bien qu'il n'en soit pas le scénariste, il a su concevoir son univers et ses personnages en collaboration étroite avec ses acteurs – Michael Keaton avait notamment plein d'idées pour incarner un anti-héros le plus bizarre et rigolo possible – ou son équipe technique : des décors de Bo Welch aux costumes d'Aggie Guerard Rodgers en passant par l'utilisation improbable des tubes de Harry Belafonte, tout baigne dans le style de Tim Burton. Une union de talents aussi divers au service d'une comédie franchement drôle et originale, macabre et joyeuse à la fois, qui part un peu dans tous les sens mais qui a le mérite de proposer des tonnes d'idées aux spectateurs.

Beetlejuice
Warner Bros.

3/ Batman, le défi (1992)
L’une des obsessions majeures de Tim Burton, au fond, aura toujours été de pirater la commander, de tordre la grande machinerie des studios pour mieux s’adonner à ses pensées les plus noires et ses visions les plus bizarres. Et il n’y sera sans doute jamais aussi bien parvenu que dans son deuxième Batman, sublime carnaval de freaks où l’homme chauve-souris se fait voler la vedette par Catwoman et le Pingouin – des monstres plus fragiles, plus cinglés, donc plus beaux et émouvants que lui. L’un des sommets du blockbuster 90s, quand les grands auteurs étaient encouragés à mettre le plus grand bazar possible dans le coffre à jouets hollywoodien. 

Batman : le défi
Warner Bros.

2/ Ed Wood (1994)
Portrait du "réalisateur le plus nul de tous les temps", et éloge d’un artiste maudit par un autre artiste qui, lui, a d’emblée été adoré par le monde entier. Parvenu au sommet d’Hollywood en un temps record, Tim Burton tient à rappeler qu’il n’oublie pas d’où il vient – la marge, le bis, l’univers des monstres en caoutchouc et des soucoupes volantes tirées par des ficelles un peu trop voyantes. Tous les cinéastes de premier plan ont en eux un grand film sur le cinéma, de 8 ½ à Once upon a time… in Hollywood, celui de Burton est l’un des plus euphorisants de tous. Et l’un des plus émouvants, aussi, grâce à l’interprétation inoubliable de Martin Landau en Bela Lugosi, vieux Dracula clochardisé et égaré dans les ténèbres californiennes. 

Ed Wood Johnny Depp Tim Burton
Touchstone Pictures

1/ Edward aux mains d'argent (1990)
Dès son quatrième long métrage, Tim Burton signe déjà son manifeste, l'œuvre qui réunit – et sublime ! – toutes les obsessions de son cinéma : son amour pour les freaks, Frankenstein en tête, son goût pour le gothique, le cinéma muet ou l'expressionnisme allemand, son humour acide dès qu'il s'agit du mythe du rêve américain, ses acteurs capables d'être incroyablement touchants en peu de mots ou sa musique si douce. Si l'on aime autant Edward aux mains d'argent, c'est sans doute pour la sincérité qui s'en dégage, comme dans son tout premier court-métrage d'animation, Vincent, autoportrait à peine voilé et d'une poésie folle, narré par Vincent Price, le "papa" d'Edward.

Edward aux mains d'argent
20th Century Fox