Avec ses élèves du lycée Romain Rolland d’Ivry-sur-Seine, Sarah Logereau a participé au documentaire Premières Solitudes de Claire Simon. La professeure de Lettres et Cinéma nous raconte cette expérience hors du commun.
Pourquoi avoir choisi Claire Simon pour participer à votre projet pédagogique au départ ?
Sarah Logereau : L'idée de proposer ce projet pédagogique à Claire Simon vient de l'équipe du cinéma d'Ivry-sur-Seine Le Luxy et notamment à son directeur Jean-Jacques Ruttner. Chaque année, les élèves d'option cinéma du lycée Romain Rolland participent à un atelier de pratique artistique que je conduis en partenariat avec le cinéma depuis quatre ans et le choix du ou de la cinéaste invité(e) est crucial. Nous cherchons toujours une personnalité forte et généreuse qui ait le désir de transmettre sa vision aux élèves et de les accueillir dans son travail de création. Claire Simon s'est montrée particulièrement engagée dans cette expérience auprès de mes élèves, elle avait à coeur de les connaître et de leur transmettre ce que faire des films signifiait pour elle. Ce fut, sur le plan pédagogique, une expérience particulièrement riche et passionnante car une véritable rencontre a eu lieu, comme une forme d'événement presque miraculeux.
En tant qu’enseignante, qu'aviez-vous pensé de ses deux films qui parlaient de l'enfance : Récréations et Le concours ?
En tant que spectatrice et en tant qu'enseignante, j'avais adoré ces deux films. Ces plongées dans l'espace de l'école, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus violent, à hauteur des personnages, m'ont passionnée. Ils continuent de me faire réfléchir sur mon travail et sur la nature des échanges à la fois sociaux et affectifs qui s'y jouent avec une grande complexité.
Le projet devait consister en la réalisation d’un court métrage. Comment avez-vous réagi quand Claire Simon a rebondi sur une autre idée, et proposé de faire un long métrage, ce Premières solitudes ?
Je n'étais pas surprise ! Je pressentais que cette rencontre pouvait mener à un désir de film au-delà du projet de classe. J'avais une grande confiance dans mes élèves, leur implication, leur curiosité, leur sens du risque et de l'aventure et j'imaginais qu'une réalisatrice telle que Claire Simon pourrait avoir l'instinct et l'envie de les filmer davantage, quelle que soit l'économie du film à venir. Le pur désir de filmer ces jeunes gens était là et elle n'a pas hésité à se lancer pour lui trouver une forme.
Claire Simon : "Premières solitudes, c'est un rêve de cinéaste !"Avez-vous redécouvert vos élèves à travers ce film et leurs confidences ? Qu'est-ce qui vous a le plus surprise ?
Je dirais même que j'ai découvert mes élèves, en tout cas leur histoire intime et familiale. Dans un contexte classique de relation pédagogique, j'ai peu accès à cette partie d'eux-mêmes et c'est mieux ainsi. Je pense qu'il est important que les rôles et les places de chacun soient clairs à l'école, je suis leur professeure, je leur transmets des savoirs, je les aide à se construire une culture mais je ne cherche pas à connaître leur vie personnelle car je veux les aider justement à s'affranchir des assignations sociales et culturelles qui pourraient être pesantes pour eux. En vivant cette expérience hors norme avec eux, j'ai donc eu accès à leurs histoires et j'en ai été bouleversée. Leurs récits m'ont beaucoup émue et m'ont renvoyée à ma propre histoire.
Qu’est-ce que cela a changé dans votre relation avec eux ?
Notre relation était déjà excellente mais peut-être qu'elle est devenue plus tendre, plus affectueuse. J'ai de l'admiration pour leur courage et leur sincérité. Ils me font une grande confiance de leur côté.
Qu'est-ce que vos élèves vous ont confié sur cette expérience ?
Comme j'ai noué avec eux des relations de grande confiance et de profonde affection, j'ai pu énormément parler avec eux. Mon rôle était aussi de les rassurer et de les protéger car je savais que voir leur histoire projetée dans une salle de cinéma, comme donnée au monde, serait une forme de choc. Mais leur maturité et leur sincérité, nos longues discussions, ont permis d'adoucir ce choc et même de leur donner la force d'accepter et d'assumer qui ils sont. Après tout, ils n'ont dit que ce qu'ils voulaient dire, nous dire...
Premières solitudes, sortie au cinéma le 14 novembre :
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