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Les Copains d’Eddie Coyle (Peter Yates, 1972)Depuis le dernier Festival de Cannes, Andrew Dominik raconte un peu partout que Cogan est né le jour où il est tombé sur une redif télé de cet incunable 70’s de Peter « Bullitt » Yates – fantastique film de casse dans lequel un Robert Mitchum aux costards élimés est obligé de rencarder les flics pour éviter la prison. Dominik travaillait alors sur un script inspiré du Blonde de Joyce Carol Oates, mais a tout envoyé bouler suite à son coup de foudre pour les dialogues et l’univers de l’écrivain George V. Higgins, un ancien procureur qui décrivait le petit monde des malfrats de Boston comme personne. Adapté du roman L’art et la manière (Cogan’s Trade en VO), Cogan partage avec Eddie Coyle bien plus qu’une simple origine littéraire. Les deux films enchaînent, selon un rythme jumeau, longues plages de conversations blafardes et morceaux de bravoure surexcitants (les séquences de braquage de Coyle, presque aussi cool que les course-poursuites de Bullitt) et jouent sur la frustration du spectateur en faisant mine, dans un premier temps, de reléguer leur acteur superstar (Mitchum / Brad Pitt) à la périphérie du récit. Last but not least : la même putain de météo dépressive, à 40 ans d’intervalle. Mitchum relève le col de son imper, Brad slalome entre les flaques d’eau… Oui, il fait vraiment un temps de chien dans ces films. L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (Andrew Dominik, 2007)Avant de s’asseoir devant Cogan, on ne va pas se priver du plaisir de revoir le précédent film d’Andrew Dominik, fabuleux western funèbre et sommet de lyrisme malicko-eastwoodien. Parce que les deux films dialoguent entre eux, bien sûr (Brad Pitt en archange de la mort fatigué, la peinture d’une Amérique bâtie sur des mythes viciés…) mais aussi, surtout, parce que Cogan est né de l’amertume ressentie par Dominik face à la sale expérience Jesse James, ses galères de post-prod’ homériques et son bide commercial. « C’est un film qui parle d’argent, de ce que les gens font pour en avoir et de comment ils sont amenés à nier ce qu’ils ressentent profondément pour parvenir à en gagner. » Toute ressemblance entre les gangsters rase-bitume de Cogan et les requins d’Hollywood ne serait donc PAS une pure coïncidence… Jackie Brown (Quentin Tarantino, 1997)Comment redescendre sur Terre après un opus magnum terrassant dans lequel vous avez casé toutes vos obsessions ? Après un chef-d’œuvre qui a défini l’essence de votre style aux yeux du monde ? Jesse James était à sa façon le Pulp Fiction de Dominik (le triomphe pop en moins) et le réalisateur a abordé l’étape du troisième film exactement comme Tarantino à l’époque de Jackie Brown : s’emparer du bouquin d’un auteur vénéré (Higgins, après Elmore Leonard), jouer la carte du film « mouchoir de poche », remiser les effets de signature trop voyants, laisser infuser des dialogues d’une science affolante, puis interrompre ce délicieux ronron par d’ahurissants flashs de violence. De loin, comme Jackie Brown, ça ressemblerait presque à une œuvre de commande, un petit polar tourné sur le pouce, ou alors à l’hommage transi d’un fan à son idole. De près, pourtant, pas de doute possible : c’est du Dominik à chaque plan. Les Soprano (David Chase, 1999-2007)OK, on triche, mais impossible de faire l’impasse sur le chef-d’œuvre télé de David Chase. Et pas seulement parce que trois anciens Soprano (dont l’immense James Gandolfini) sont au générique… De la même façon que Jesse James était un film ouvertement « malickien » (voix off comateuse, nuages en formation au-dessus des plaines du Missouri…), Cogan s’impose comme un film totalement « chasien » : B.O. « classic rock » soulignant les actions des personnages (scènes de shoot rythmées par l’Heroin du Velvet Underground, la chanson Money qui résonne quand on parle pognon…), marqueurs temporels permanents via les télés allumées dans les recoins du cadre. Les Soprano ont cessé d’émettre sur HBO en juin 2007. Cogan se déroule à l’automne 2007, pendant la campagne présidentielle opposant Obama à McCain. Difficile d’être plus clair : Andrew Dominik reprend les choses (littéralement, chronologiquement) là où les a laissées David Chase. Inside Job (Charles Ferguson, 2010)Il existe une petite théorie très intéressante sur Cogan selon laquelle le film ne serait pas seulement un polar baignant dans l’atmosphère morose de la faillite du système néolibéral, mais carrément une allégorie du déroulé précis de la crise des subprimes de 2007-2008. Ray Liotta en petit épargnant pris à la gorge par les créanciers ? Richard Jenkins en col-blanc dépêché par Lehman Brothers pour sauver les meubles ? Hum… Voici une hypothèse à peaufiner devant Inside Job, sans doute le meilleur doc sur la question. Au moment de sa sortie, la critique de Première en parlait comme d’un « film-enquête qui se regarde comme un thriller ». Et si Cogan, c’était l’inverse : un thriller qui se regarde comme un film-enquête ?La bande annonce de Cogan, Killing Them Softly, à voir dès le 5 décembre : Frédéric FoubertVoir aussi :Brad Pitt est très menaçant en CoganL'interview de Ray Liotta