La nouvelle série criminelle de Ryan Murphy est fascinante, même si moins réussie qu'American Crime Story (O.J. Simpson et Versace).
Dahmer : Monstre - L'histoire de Jeffrey Dahmer bat des records d'audience sur Netflix depuis une semaine. Conçue par Ryan Murphy (American Crime Story, Hollywood, Ratched...) et Ian Brennan (Glee), vaut-elle le coup d'oeil ? Absolument, à condition d'avoir le coeur bien accroché, car elle explore en détails la personnalité du tueur en série Jeffrey Dahmer, racontant avec tout autant de précision ses multiples crimes. Elle donne aussi la parole aux victimes et à leurs familles, et propose au passage une critique de l'homophobie et du racisme ambiant aux Etats-Unis au tournant des années 1980-1990. Ainsi qu'un portrait peu flatteur des institutions, qu'il s'agisse des employés de la police, de la justice ou du système pénitentiaire américain. En regroupant tous ces angles dans une même série, on sent bien que ses créateurs ont voulu "tuer" la concurrence en matière de true crimes, ses dix épisodes étant incroyablement riches, bourrés d'informations à assimiler et ouvrant des pistes de réflexions pertinentes. Au risque de sombrer dans le trop plein, et de se répéter un peu : les odeurs nauséabondes venant de l'appartement de Dahmer sont notamment mentionnées jusqu'à l'écoeurement.
Ainsi, le portrait de Jeffrey Dahmer est à la fois le point fort et le point faible de la série. L'homme est resté célèbre pour avoir assassiné 17 jeunes hommes gays entre 1978 et 1991, et son interprète Evan Peters le joue avec conviction, pouvant être tour à tour charmeur et totalement effrayant. L'acteur, déjà bien connu des spectateurs d'American Horror Story (où il avait déjà eu l'occasion de changer radicalement de looks et de rôles), est méconnaissable, son interprétation minutieuse de cet être profondément dérangé rappelant parfois celle de Malcolm McDowell dans Orange Mécanique. Depuis la mise en ligne de la série, on parle déjà une future nomination aux Emmy Awards, tant il porte le show de bout en bout, mais sa prestation est aussi critiquée, certains spectateurs le jugeant trop sexy pour jouer Dahmer, et l'accusant de participer à la glamourisation du serial killer. Un procès qui fait débat, le tueur ayant réellement charmé ses victimes avant de les assassiner avec cruauté. A l'image d'un autre assassin qui lui était contemporain, Ted Bundy, il savait aussi se montrer séducteur, et cette double facette de sa personnalité est largement explorée dans la série.
Si Peters est troublant dans la peau de cet être monstrueux, ses partenaires sont tout aussi saisissants, surtout Richard Jenkins, qui incarne son père Lionel Dahmer. Il s'agit d'un père aimant, mais incapable de répondre aux besoins d'affection et manques d'attention de son fils en grandissant, et découvrant trop tard l'horreur de ses crimes. L'acteur de Six Feet Under est souvent touchant, tant il essaye de comprendre d'où peut venir cette propension à faire le mal. Il pose aussi la question toujours délicate de la justification des actes d'un tueur en série. Doit-on les expliquer ? Les comprendre pour mieux les empêcher à l'avenir ? C'est ce qu'il essaye de faire en écrivant sur le cas particulier de son fils et en se lançant dans sa propre introspection, tout en acceptant de participer à des interviews et reportages afin d'informer les parents d'enfants psychologiquement instables des signes avant-coureurs de psychopathie. Un personnage secondaire qui se révèle vite crucial dans la construction de Jeffrey Dahmer.
Dahmer, sur Netflix : ce qui est vrai, et ce qui a été inventé pour la sérieEvidemment, le ressenti face à une série inspirée d'une histoire vraie particulièrement glauque dépendra de la sensibilité de chaque spectateur, mais Dahmer peut être particulièrement difficile à regarder. Pas tant pour la violence graphique de ses crimes ; l'horreur de ses actes est surtout psychologiquement difficile à appréhender, en étant dépeinte de manière de plus en plus brutale au cours de sa première partie. La tension monte crescendo, au fur et à mesure que le spectateur est invité à plonger de plus en plus profondément dans son esprit malade. Dans sa deuxième partie, le show tente de donner davantage la part belle aux victimes, en s'arrêtant par exemple longuement sur la personnalité de Tony Hughes, un jeune homme gay, noir et sourd, dont l'histoire personnelle est détaillée dans l'épisode 6. Un épisode audacieux, qui apporte en plus une certaine douceur après avoir illustré autant de crimes en détails.
Reconstituer parfaitement le procès de Jeffrey Dahmer à l'aide des images d'archives permet ensuite à ses créateurs de rendre la parole aux familles de toutes ses victimes, dont la plupart sont encore en vie aujourd'hui. Un choix osé là aussi, même si de récentes accusations révèlent que celles-ci n'ont en vérité jamais été consultées dans le cadre de la fabrication de la série. Ni pour être prévenues, ni pour leur demander leur avis, et encore moins pour le reverser un dédommagement financier. Des révélations des coulisses qui gâchent la tentative, pourtant évidente, de redonner une voix aux victimes et à leurs proches. Les ultimes séquences sur Dahmer, emprisonné et acceptant de tout livrer sur sa personnalité, font également polémique. Il y est question de rédemption et de trouver la foi malgré ses crimes, ce qui ouvre certes des questions intéressantes, mais pour certains spectateurs, qui considèrent que cela participe à romantiser ce personnage, ce sera sans doute la goutte de trop.
Dahmer sur Netflix provoque la colère des familles des victimesLà où Ryan Murphy et Ian Brennan réussissent surtout leur coup, c'est en montrant les mécaniques sociétales qui lui ont permis de s'en tirer durant une si longue période, alors qu'il était loin d'être discret. En retraçant notamment la manière dont sa plus jeune victime, Konerak Sinthasomphone, lui a été "rendue" par la police alors qu'elle était nue, le crâne en sang et incapable de parler, la série devient d'autant plus choquante que la scène a réellement eu lieu dans la vraie vie. Au fil des meurtres, le show critique le climat anxiogène, raciste et homophobe qui a permis à Dahmer de continuer à tuer de jeunes gays, principalement des hommes noirs, latinos ou asiatiques, malgré les appels fréquents de sa voisine à la police, la plainte déposée par un garçon qui avait réussi à lui échapper et même une condamnation à la prison pour avoir agressé sexuellement un mineur. C'était déjà cet aspect critique de la société qui faisaient des deux premières saisons d'American Crime Story des histoires aussi efficaces : la manière dont le procès d'O.J. Simpson permettait de parler de racisme, de misogynie et de l'absence de limites des médias américains avait fortement marqué le public à sa sortie. Dans la suite, la façon de raconter le parcours du tueur de Versace offrait déjà l'opportunité de parler d'homophobie et de la manière dont les sujets tabous, les non-dits, pouvaient influer sur une personnalité psychologiquement fragile (avec en prime une propension au mensonge qui rendait ce criminel particulièrement énigmatique et fascinant). Sans atteindre le brio de ses deux aînées, Dahmer joue sur ce même terrain, avec cette envie similaire de faire réfléchir sur l'obsession des spectateurs pour les histoires de serial killers. Et donc cette ambition d'être le true crime qui enterrera tous les true crimes. Ce n'est peut-être pas parfait, mais à l'heure où ce genre de fictions inspirées des récits les plus glauques de l'histoire récente ont de plus en plus de succès, en particulier sur Netflix, toutes ces réflexions sur les motivations profondes des criminels, la fascination malsaine qu'ils génèrent, et le peu de place laissée à leurs victimes dans ce type de récit, aussi contradictoires soient-elles, ont du sens.
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